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Cyril Mokaiesh: "Beyrouth est une ville passionnelle où l'on vit des moments extraordinaires, voire même euphoriques." (c) Tamina Manganas

Trois ans après « Clôture », le chanteur Cyril Mokaiesh sort « Paris-Beyrouth ». Un album aux parfums de jasmin, mêlé de sonorités électro-orientales où il revient à ses racines libanaises.

Cyril Mokaiesh: « Ce qui s’y passe en ce moment au Liban me réjouit parce que j’ai des amis qui vivent là-bas et qui voient une vraie fenêtre tournée vers l’avenir avec cette révolution qui est en marche depuis le 17 octobre. » 

« Du rouge et des passions », son premier album (2011) avait déjà la force et le souffle romantique d’un chanteur dont les mots portaient loin, invitant à réfléchir sur nos vies bousculées par le chaos du monde. Après « Clôture » et le titre « La loi du marché » en duo avec Bernard Lavilliers, l’interprète de « Communiste » sort « Paris-Beyrouth ». Un album aux parfums de jasmin et de fleur d’oranger, où Cyril Mokaiesh revient à ses racines libanaises. Un registre où se mêlent vision spirituelle, regard politique et rêveries poétiques sur fond de douce transe, qui nous envoûte dès les premières mesures. Un disque et une aventure collective réalisées avec la complicité de Valentin Montu, qui lui a apporté tout un univers électro. Avec au cœur de chaque chanson des sonorités orientales entre oud, piano et refrains parfois en arabe, en un mariage réussi de l’Occident et de l’Orient. Un album émouvant, fort, voyageur, marqué par une volonté d’altruisme où Cyril Mokaiesh fait part de ses envies de chants d’amour migrateurs et de ses espoirs d’un avenir plus humain.

En quoi était-ce important pour vous de revenir à vos racines libanaises ?

Cyril Mokaiesh : C’est quelque chose que je gardais secrètement, qui a pris naissance à la fin de la tournée avec Bernard Lavilliers, dont je faisais les premières parties. J’aime qu’il y ait une ligne directrice qui me donne envie d’aller vers une nouvelle quête, un nouvel album. Je ne me sentais pas de rester dans mes habitudes parisiennes et de faire la continuité du disque précédent. J’avais envie d’un nouveau regard et les voyages pour ça sont formidables parce que ça nous replonge dans une forme d’émerveillement et de découverte. Et naturellement,  j’ai eu envie d’aller sur la terre de mes ancêtres. J’ai tout une partie de ma famille libanaise, j’ai encore ma grand-mère qui vit là-bas. On a cette maison de famille, qui fait que d’un point de vue technique, c’était hyper naturel de pouvoir séjourner quelques mois, de faire des allers et retours. Ça été la découverte d’une culture, une confrontation avec ce que je connaissais déjà et qui m’est apparu, de nouvelles rencontres. C’est un retour aux sources. J’avais besoin de me retourner vers ce que j’ai été par mon éducation et j’ai essayé  d’avancer sur cette terre chargé de sentiment. Mon père est né là-bas, il y a fait toutes ses études. Quand la guerre civile a éclaté, il a trouvé préférable de quitter le Liban avec mon grand frère. Moi, je suis né quelques années après, à Paris.

Le voyage est-il une source d’inspiration pour vous qui étiez déjà parti à Buenos-Aires pour écrire l’album « L’amour qui s’invente » ?

Cyril Mokaiesh : Le décor joue beaucoup. Il faut qu’il y ait une démarche personnelle. Sur « Clôture », l’album précédent qui était très ancré dans l’actualité, il y avait une envie de me  confronter aux problèmes sociaux, à un engagement politique. J’ai besoin de m’investir d’une certaine manière, même physiquement dans les choses. Le voyage invite à nous poser des questions. Là, il y avait le coté racines, origines, et je pense qu’il y avait une volonté de retrouver un peu de mon âme d’enfant. J’aime cette phrase de Baudelaire : « le génie c’est l’enfance retrouvée à volonté. «  Ecrire est un acte vers la vie. Pour cela, il faut être dans une énergie qui nous donne de la force et non pas d’être enfermé entre ses quatre murs. Le voyage est un bon moteur.

Comment vous est apparu Beyrouth. Vous y êtes-vous senti en osmose ?

Cyril Mokaiesh : Beyrouth est une ville passionnelle où l’on vit des moments extraordinaires, voire même euphoriques. On rencontre des gens qui sont très curieux de pourquoi on est là, qui deviennent rapidement des amis. Ils sont extrêmement tournés vers l’autre. Et puis, il y a une vie nocturne, les gens se donnent rendez-vous dans les cafés le soir. On sait à quelle heure ça commence mais on ne sait jamais quand cela se termine et avec qui. C’est ce que j’aime aussi dans la vie, faire des rencontres qui vous emmènent où on se laisse perdre dans une ville intense qui est en ébullition tout le temps. Ce qui s’y passe en ce moment me réjouit parce que j’ai des amis qui vivent là-bas et qui voient une vraie fenêtre tournée vers l’avenir avec cette  révolution qui est en marche depuis le 17 octobre. Cela faisait des années qu’il y avait un pessimisme ambiant. Les gens demandent à ce que toute la classe gouvernante dégage et laisse place à des hommes politiques vierges de toute corruption.

Un pays écrasé par le poids de sa dette, qui connaît une situation économique très difficile…

Cyril Mokaiesh : Il y a une dette écrasante. Les politiciens sont des hommes d’affaires qui, pour la plupart, n’habitent pas au Liban. Chaque confession paie des taxes sans savoir à qui profite l’argent. Il y a des pannes d’électricité plusieurs fois par jour, les routes sont le plus souvent dégradées, voire impraticables, les ordures sont par terre, il n’y a pas de service public… Ce qui est beau à voir en ce moment, c’est que toutes les confessions sont réunies dans la rue. Elles se revendiquent de la citoyenneté libanaise et non pas sunnite, chiite, druze ou maronite. Vu le passé de guerre civile, au travers de ces événements, on a envie d’être un peu rêveur et de se dire que des jours meilleurs peuvent se profiler. Ça ne peut pas être pire de toute façon.

Vous chantez « /Pardon Paris/c’est ainsi qu’on se quitte/Pardon Paris pour tout l’amour en fuite/. » Vous n’aimez plus cette ville ?

Cyril Mokaiesh : J’ai une relation amoureuse avec Paris. C’est ma ville et j’ai chaque fois un choc quand j’y reviens, je m’aperçois à quel point je l’aime. Mais, on passe par des moments où on l’a déteste. Dans cette chanson, j’ai pris les devants, je me suis autorisé à lui dire adieu et comme souvent, je reviens en courant (rires). Paris, pour des gens comme moi, des jeunes, des étudiants, c’est devenu une espèce de château fort. La vie y est chère. Elle est réservée aux gens qui ont des salaires et des niveaux de vie qui me semblent être très difficiles d’accès. 30 000 personnes par an la quittent. On est en train de fabriquer une société avec des métropoles qui ne contiennent que les plus hautes classes. Cela me rend triste parce que Paris, pour moi, est la plus belle ville du monde.

La chanson « Le grand changement », c’est une réponse à ce monde de folie, de politique libérale, de pollution, de consommation à outrance…?

Cyril Mokaiesh : C’est une chanson qui constate qu’on est en pleine mutation. C’est difficile d’avoir la tête froide quand on observe ce qui se passe aujourd’hui, la privatisation de toutes nos protections sociales. On voit bien que le monde est en train de tendre vers un ultralibéralisme, un modèle à l’américaine. Tous ceux qui résistent, on leur explique qu’ils ne pourront pas résister très longtemps. Sauf qu’en réalité, il y a des enjeux écologiques aussi qui viennent prendre le pas, des enjeux qui vont contre le capitalisme et contre l’ultralibéralisme. Aujourd’hui au Liban, à Paris, au Chili… dans le monde entier, on voit des mouvements qui sont en train de dire « ça fait trente ans que vous nous dites qu’il fallait consommer, acheter des bagnoles, que vous nous parlez d’économie de marché, et aujourd’hui on est en train de revenir à un modèle qui tend vers l’inverse. » A côté de ça il  y a une frange minime, mais qui possède tous les biens, qui, elle se fout de tout. Ça ne peut pas continuer comme ça. Il va y avoir de plus en plus de cassures et de révolutions. On est dans un monde qui marche à trois ou quatre vitesses avec de plus en plus d’argent mais redistribué à trop peu de gens.

« Mater Vitae », qui clôt magnifiquement l’album, que raconte-elle au fond ?

Cyril Mokaiesh : Il y a un côté un peu Requiem. C’est une sorte d’ode. Il y a en chacun de nous un poète qui peut se reconnecter avec la nature. Il est temps aujourd’hui de prendre en compte ces enjeux, de renouer avec les autres, mais aussi avec les forces et les éléments qui nous entourent. Les causes que j’essaie de défendre en chanson sont souvent trop grandes, mais tout au long de cet album ça été un voyage et une volonté d’arriver à un point de sagesse et de lumière. J’avais envie d’imager cela par une dernière chanson « Mater Vitae » qui puisse à la fois rendre des comptes sur la fin d’un cycle et peut-être ouvrir une autre porte. A 34 ans, j’ai l’impression d’avoir vécu suffisamment pour me rendre compte qu’on est aux limites d’un monde ancien et qu’on est en train d’arriver, pour ceux qui veulent bien l’entendre, à une nouvelle ère. Je crois qu’il faut faire le deuil de l’ancien monde et de se tourner vers une autre vision de notre histoire.

Entretien réalisé par Victor Hache

  • Album « Paris-Beyrouth » / Un Plan Simple. Concert le 3 mars au Trianon, 80 boulevard de Rochechouart Paris 18ème , puis tournée en France.

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