juliette greco est morte
Icône de la chanson, Juliette Gréco est morte à l'âge de 93 ans

Disparition. Juliette Gréco est décédée dans sa maison de Ramatuelle à l’âge de 93 ans. Elle n’a jamais été sage, toujours subversive, formidablement mutine. Juliette Gréco, c’était la passion des mots de la chanson et le combat pour la vie qu’elle a croqué jusqu’au dernier souffle.


Juliette Gréco était notre plus belle ambassadrice de la chanson, assurément la plus grande chanteuse qui soit. Il suffisait de la voir sur scène dans sa longue robe noire, le visage blanc, les mains s’envolant vers le ciel, pour que le public soit subjugué, fasciné par cette extraordinaire manière de théâtraliser ses textes sur scène


La rencontrer était chaque fois un plaisir et l’on ressortait de ses interviews un peu plus grandi. Juliette était habitée par le doute, mais cela ne se voyait pas, tant elle paraissait sûre d’elle. Elle était impressionnante de conviction et d’appétit de vivre. Lorsqu’on lui demandait comment elle se sentait, elle répondait toujours par un grand « ça va!, je suis en forme »,  y compris quand elle fut atteinte d’un cancer vers l’âge de 81 ans. Gréco m’avait parlé de son traitement par la chimio et de la maladie qu’elle avait décidé de combattre de toutes ses forces : « Il faut se battre, c’est très important. Si on accepte ce crabe, c’est extrêmement dangereux parce qu’il vous bouffe. Si on ne l’accepte pas, il vous bouffe beaucoup moins (…) il faut faire face à la chose et se dire « c’est moi qui vais le tuer ».

Juliette Gréco avait finalement réussi à vaincre le cancer à la grande admiration de ses propres médecins qui étaient venus la voir fêter ses 85 ans au Châtelet. Gréco était dotée d’une force physique et d’un caractère incroyable. Surtout, elle aimait la vie et avait choisi d’en goûter chaque instant.

Elle est partie aujourd’hui à l’âge de 93 ans dans la maison où elle aimait se retirer, à Ramatuelle. C’était une fille du sud. Née à Montpellier le 7 février 1927, elle a très peu connu son père originaire de Corse. A propos de son enfance, elle disait volontiers dans une récente autobiographie « Je suis faite comme ça «  qu’elle n’a été « ni heureuse, ni très malheureuse », ajoutant : « elle est juste sans amour maternel et sans père ».

A partir de là, Gréco a vécu dans cet imaginaire indispensable aux rêves, celui qui permet d’exister dans « une autre vie très longtemps » aimait-elle dire.

Elevée à Bordeaux avec sa sœur Charlotte par ses grands-parents maternels, Juliette se souvenait de son tempérament solitaire, de sa scolarité passée dans un austère établissement religieux. Elle a à peine 7 ans quand elle part avec sa sœur et sa mère s’installer à Paris. Elle prend alors des cours de danse classique qui fut sa première passion et entre à l’Opéra. Une innocence et des rêves d’enfant rapidement fauchés lorsque la guerre éclate en 1939. Sa mère, membre de la Résistance est arrêtée par la Gestapo en 1943 ainsi que Charlotte, toutes les deux seront déportées. Juliette, en raison de son jeune âge, est transférée et emprisonnée à Fresnes : « En cellule, m’avait-elle confiée un jour, c’était bien. Je suis tombée sur trois prostituées humainement formidables qui m’ont appris à me méfier de certains hommes. En revanche, je garde un moins bon souvenir des interrogatoires… ».

De là est née la conscience militante de cette femme qui ne cessa de chanter « Le temps des cerises ». Elle fut de tous les engagements et les combats de gauche. Au lendemain de la guerre, elle adhéra aux Jeunesses Communistes où elle ne resta pas longtemps. Elle y avait découvert « une fraternité extraordinaire, inégalable » m’avait-elle confié en 1991 dans sa maison de  Verderonne dans l’Oise, « Des gens d’une ferveur, d’une générosité qu’on rencontre rarement. C’est une famille très forte. D’ailleurs, si la Fête de l’Humanité est ce qu’elle est, c’est grâce à eux ».

Libérée, seule et sans argent à Paris, elle est hébergée chez son professeur de français, la comédienne Hélène Duc. Pour Juliette, c’est un nouveau départ, elle se familiarise avec le théâtre et l’art dramatique et la poésie qu’elle découvre en traînant dans le quartier de Saint-Germain des Prés. Juliette plonge dans la vie intellectuelle de la rive gauche. Elle a vingt ans et apprécie cette existence de bohème où elle croise la route des plus grands écrivains ou philosophes. Sartre, Beauvoir, Camus, Vian, Picasso, Sagan, Merleau-Ponty qui la poussent à regarder la vie autrement et surtout qui lui donneront l’amour de l’art et des mots.

Gréco est une femme libre aux longs cheveux noirs et à la peau blanche. Elle porte des pantalons, fume des cigarettes, regarde les gens droit dans les yeux et dit ce qu’elle pense. On la trouve fascinante, féminine et scandaleuse à la fois : « j’étais différente, J’étais jeune, ce qui est déjà très condamnable. J’avais un physique étrange…Je n’en faisais qu’à ma tête et on ne m’imposait rien, ni pour mon habillement, ni pour mon apparence, ni pour ma vérité profonde. J’étais moi, ce qui fait que c’était inacceptable ».

Sartre fut l’un des premiers à croire en elle. Il l’incitera à se produire au Bœuf sur le toit à l’occasion de sa réouverture en 1949 où elle chante « Rue des Blancs-Manteaux », chanson qu’il avait écrite pour Huis Clos. Gréco est accompagnée au piano par Jean Wiener. Elle avait déjà une manière unique de théâtraliser son répertoire et de faire vivre les textes. Juliette est une magnifique interprète, une chanteuse aux accents réalistes qui  prononce les mots telle une actrice dramatique : « Juliette est une diseuse qui a de la voix » dira ainsi Gérard Jouannest, pianiste de Jacques Brel, mari et complice de scène de Gréco qu’il accompagna jusqu’au dernier moment.

La chanson lui a ainsi donné ses plus grands moments de bonheur, d’angoisse de trac sur scène. Car elle avait une haute idée de son métier, des gens et du public qu’elle ne voulait jamais décevoir. Elle y donna toute son âme au travers de chansons comme « Si tu t’imagines » (Raymond Queneau), « L’éternel Féminin » (Jules Lafforgue), « Les Feuilles mortes » (Jacques Prévert), « J’arrive » (Jacques Brel ), « La chanson des vieux amants » (Brel) , « Jolie Môme » (Léo Ferré ),« La Javanaise » (Gainsbourg), « Il n’y a plus d’après » (Guy Béart) sur des musiques souvent composées ou arrangées par Joseph Kosma ou Gérard Jouannest….

Gréco devient cette chanteuse existentialiste que l’on voit souvent du côté du Café de Flore, ou des Deux Magots, rapidement baptisée par la presse « la muse de Saint-Germain des prés ». Juliette s’amusait de cette image : « c’est l’invention d’une certaine presse de  l’époque, style Paris Soir ou France Dimanche où il y avait d’ailleurs de formidables écrivains, qui étaient là pour gagner leur vie. Des journaux à scandale, dont ils faisaient leur miel. C’est venu de là » souriait-elle.

Elle était cette artiste existentialiste à cause de sa manière de ne faire aucune concession, de ses yeux charbonneux qu’elle maquille d’un trait noir, et de sa proximité avec Sartre ou Merleau-Ponty, beaucoup plus âgés qu’elle, et qui rendaient les gens interrogateurs.

Gréco est une artiste libre qui chante tout ou presque, délicieusement érotique dans « Deshabillez-moi », écrite en 1967 et qui témoigne de manière sensuelle de la libération des mœurs bien avant 1968.  Chanson, théâtre, cinéma…Elle est curieuse de tout. Elle, à qui Jean Cocteau avait offert un rôle dans le film Orphée, s’envole pour l’Amérique, devient la compagne du grand producteur de l’époque  Darryl Zanuck et tourne à Hollywood dans les années 1950 avec Henry King, John Huston ou Orson Welles.  A son retour en France, elle accroit encore plus sa popularité grâce son rôle mystérieux dans la série télévisée Belphégor.

Magnétique, elle a séduit tous les hommes sur son passage, Miles Davis dont elle tombe amoureuse, Michel Piccoli qu’elle épouse en 1965, Philippe Lemaire avec lequel elle aura une fille, Laurence-Marie, les femmes aussi, Anne-Marie-Cazalis, rencontrée au cabaret Le Tabou, François Sagan… Et les plus grands auteurs auteurs se bousculent pour entendre leurs chansons interprétées par elle, dont Serge Gainsbourg, Guy Béart, Léo Ferré, Jacques Brel… Gréco était une boulimique de poésie, une gourmande de mots qui a toujours su choisir ses auteurs, sans s’enfermer dans le passé. En témoigne son album « Je me souviens de tout », où elle fit appel aux artistes d’aujourd’hui les plus créatifs, tels Miossiec, Abd Al Malik ou Olivia Ruiz.

Gréco avait placé très haut ceux qu’elle appelait ses « frères de joie », tous ces poètes célestes dont elle a rempli sa vie. Elle était notre plus belle ambassadrice de la chanson, assurément la plus grande chanteuse qui soit. Trois petites notes de musique sur des touches d’ivoire, accompagnée d’un accordéon, il suffisait de la voir sur scène dans sa longue robe noire, le visage blanc, les mains s’envolant vers le ciel, pour que le public soit subjugué, fasciné par cette extraordinaire dramaturge de la chanson. Ce qu’elle attendait d’un récital ? « que le public et moi fassions l’amour » disait-elle, l’œil malicieux « La scène est une chose physique extrêmement forte. C’est une forme de jouissance très intense ».

Elle n’a jamais été sage, toujours subversive et formidablement mutine. Juliette Gréco, c’était la passion pour la vie qu’elle a croqué  jusqu’à ses derniers instants.

Gréco avait entamé sa tournée d’adieu en avril 2015 au Printemps de Bourges, mais ne voulait pas quitter la scène tellement elle aimait son public. Un jour d’été, dans le jardin de Ramatuelle où elle aimait regarder les oiseaux voleter de branches en branches, elle me montra les dates de sa tournée qui l’attendait composée de concerts jusqu’en 2016: « en juin, je serai à Tokyo » me soufflait-elle avec joie, car elle n’imaginait pas pouvoir s’arrêter. Il lui arrivait même de blaguer en envisageant sa disparition, qu’il lui arrivait de souhaiter, pour ne pas avoir à prendre de décision après le dernier jour de sa tournée « Il m’arrive d’y penser ». Elle a chanté jusqu’à ses 89  ans et puis il y a eu cet AVC qui l’a frappée, l’obligeant à se retirer de la scène.



Gréco était comme ça, directe et formidablement consciente que nous sommes tous de passage, et qu’on ne peut rien contre la grande faucheuse « la mort est une chose normale. Pourquoi en faire une affaire ? On n’est pas si important que ça. Il y en a d’autres derrière ! C’est comme ça, on n’y peut rien. Dans la vie, c’est la seule égalité ».

Archétype de la femme moderne, elle a profité au maximum de l’existence qu’elle résumait ainsi : « Passion, combat, amour et rigolade intense ». Au moment, où elle nous quitte, on songe aux  mots, qui dans sa bouche, pouvaient parfois faire peur. Comme dans « J’arrive » de Brel, effrayant dialogue avec la mort qu’elle semblait défier à jamais: « J’arrive/ J’arrive/Mais qu’est-ce que j’aurais bien aimé/Encore une fois traîner mes os/Jusqu’au soleil, jusqu’à l’été/Jusqu’à demain, jusqu’au printemps/ ». Désormais, il n’y aura plus d’après… Juliette Gréco.

Victor Hache

 

 

 

 

 

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