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La photographe brésilienne Claudia Andujar. Photo Victor Moriyama

Exposition. A Paris, la Fondation Cartier est rouverte et reprend l’expo consacrée à la photographe brésilienne Claudia Andujar, 88 ans. En 300 clichés, un hommage aux Yanomami, une tribu de l’Amazonie. Une escale aussi politique qu’artistique.  

    La photographe Claudia Andujar ne veut pas voir les Yanomami, sa « deuxième famille » victimes d’un nouveau génocide. « Les sauver est devenu le but de ma vie », confie-t-elle                          

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Antônio Korihana thëri, jeune homme sous l’effet de la poudre hallucinogène yãkoana, Catrimani, Roraima, 1972-1976. Pigment minéral sur papier coton

On la dit partout et nulle part. Au fil du temps, elle a photographié. Entre reportage de presse et travail personnel- quasi militant. A 88 ans, Claudia Andujar fait escale à Paris à la Fondation Cartier– l’œuvre architecturale toute en glaces et transparence signée Jean Nouvel. Une escale en majesté pour une exposition sobrement intitulée « Claudia Andujar. La Lutte Yanomami »– une expo déjà présentée à l’Institut Moreira Salles de Sao Paulo en 2018. Là, on y découvre pas moins de trois cents photographies, toutes consacrées aux Yanomami, une tribu d’Amazonie qui compte aujourd’hui à peine trente mille membres. Une tribu, une photographe, deux destins…

Se déplaçant difficilement, Claudia Andujar est tenue pour une des grandes photographes du siècle. Elle est née en 1931 à Neuchâtel, en Suisse, d’un père juif hongrois propriétaire d’une entreprise et d’une mère protestante. Le père est souvent absent, et la famille va vivre en Transylvanie, région du centre de la Roumanie. En 1944, alors âgée de 13 ans, Claudia voit son père et sa famille paternelle emmenés par les nazis- direction les camps de concentration de Dachau et d’Auschwitz où ils disparaîtront… Avec sa mère, elle fuit vers la Suisse et quelque temps plus tard en 1946, son unique oncle survivant l’accueille à New York.

Trois ans plus tard, elle se marie avec un ami de lycée, Julio Andujar– quelques mois, ils divorcent mais elle décide de garder le nom de son ex-mari. En 1954, elle retrouve sa mère installée au Brésil ; elle peint, elle découvre la photographie et, boîtier en main, elle fixe les habitants de son nouveau lieu de résidence. Elle dit : « J’ai besoin d’un moyen d’expression et de communication depuis que je suis petite. J’ai toujours vécu seule ». Elle photographie, des journaux américains- « Life », « Look » , le « New York Times Magazine », et un hebdomadaire brésilien, « Realidade », achètent ses reportages et à New York dès 1970, elle est représentée par l’agence de presse photographique Rapho-Guillomet.

Toutefois, sa vie va basculer en 1971. Un reportage en Amazonie. Chez les Yanomami, une des tribus qui peuplent la forêt amazonienne. Pour les approcher, elle va se fondre dans leur décor. S’habiller comme eux qui s’enveloppent de vêtements végétaux. En 1973, débarquent les ouvriers dépêchés pour la construction d’une route transamazonienne par le gouvernement brésilien qui n’a pas prévu de programme de santé préventif. Débarquent aussi les « garimpeiros » (les orpailleurs clandestins)- surgit la mort, conséquence de grippe, rougeole, tuberculose, violences en tous genres…

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Candinha et Mariazinha Korihana thëri lavent un hocco dont les plumes seront utilisées pour empenner des flèches, Catrimani, Roraima, 1974. Tirage gélatino-argentique

Claudia Andujar ne veut pas voir sa « deuxième famille » victime d’un nouveau génocide. « Les sauver est devenu le but de ma vie », confie-t-elle. Compagnon de lutte de la photographe, l’anthropologue Bruce Albert ajoute : « La rougeole, c’est 60% d’un village qui se retrouve malade en quelques jours. C’est une vision de l’enfer, une vraie guerre bactériologique ! Quant à l’or, on peut considérer que la vie des Yanomami est indexée sur son cours ». Et encore Claudia Andujar : « Je suis liée aux Indiens, à la terre, à la lutte première. Tout cela me touche profondément. Tout me semble essentiel. Peut-être ai-je toujours cherché la réponse au sens de la vie dans ce noyau fondamental. J’ai été poussée là-bas, dans la forêt amazonienne, pour cette raison. C’était instinctif. C’est moi que je cherchais ».

Dans les yeux de Claudia Andujar, des moments de vie des Yanomami. Sur les murs de l’exposition, sur ces trois cents clichés mis en scène, ce sont les paradis perdus, l’amour, la forêt… En 1978, avec ses amis Bruce Albert et le missionnaire italien Carlo Zacquini, elle fonde la CCPY- Commission pour la Création du Parc Yanomami, qui demande au gouvernement la délimitation d’un large territoire indien. Ce qui sera mis en place quinze ans plus tard.

Ce qui est remis en cause, depuis son élection à la présidence brésilienne l’an passé, par Jair Bolsonaro qui, explique Bruce Albert, « encourage de façon obscène et explicite l’invasion des orpailleurs illégaux, des coupeurs de bois clandestins et autres mafias incendiaires »… La lutte continue pour Claudia Andujar, la photographe qui, dès les années 1950, n’hésitait pas à gonfler les ASA ou encore enduire ses objectifs de gélatine ou de vaseline, à jouer du flou, à user de la superposition (sans jamais en abuser)…

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Susi Korihana thëri au bain, Catrimani, Roraima, 1972-1974. Pellicule infrarouge

Alors, au crépuscule de sa vie, Claudia Andujar le promet : la lutte continue, et elle la photographe ne lâchera rien. Ce qui fait dire à Davi Kopenawa, chamane et porte-parole des Yanomami : « Les peuples non indigènes ont besoin de preuves, sinon ils ne croient pas. Alors regardez ces photos, elles sont les preuves de ce que nous sommes ».

Texte Serge Bressan

A voir : « Claudia Andujar. La lutte Yanomami » à la Fondation Cartier. 261 boulevard Raspail. 75014 Paris

Mardi, 11h- 22h. Du mercredi  au dimanche, 11h- 20h. Fermé  le lundi. Jusqu’au 13 septembre 2020. Tarifs : 11 € (plein tarif) et 7,50 € (tarif réduit). Entrée gratuite pour les moins de 13 ans (les moins de 18 ans, uniquement le mercredi). Achat de billet en ligne obligatoire. Tel: 01 42 18 56 72

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