jacques higelin deces

Showman incroyable, capable d’improviser pendant des heures sur scène, Jacques Higelin était un troubadour merveilleux à la Trénet, pour qui la vie n’avait de sens que si elle était synonyme de légèreté et de poésie. Pionnier de la chanson-Rock, auteur de nombreux succès, dont « Champagne« , « Tombé du ciel« ,  « Pars » ou « Alertez les bébés« ,  Higelin avait de l’énergie à revendre et des idées plein la tête. Jamais aussi heureux que lorsqu’il regardait le ciel et les  étoiles, il aimait les rencontres et pas vraiment les interviews, un exercice qu’il trouvait beaucoup trop formaté. Quand il  arrivait dans une pièce, sa voix emplissait tout l’espace. Il allait et venait, s’arrêtait et vous fixait, comme pour jauger son interlocuteur. Mais, quand il se sentait à l’aise et en confiance alors il se livrait, parlant de lui, de son métier, de la vie qu’il trouvait belle et parfois agaçante, faisant part de ses envies, de ses coups de gueule ou de ses rêves. J’avais eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises, à chaque sortie d’albums. Depuis l’annonce de son décès vendredi 6 avril 2018, à l’âge de 77 ans, je n’ai pas réussi à trouver de mots assez sensibles pour évoquer le souvenir de Jacques Higelin, poète rock hors norme à la générosité sans pareil sur scène, comme dans la vie. Un homme et un artiste qui laissait parler son instinct doublé d’un formidable libre penseur. Higelin adorait le printemps qu’il chantait comme jamais aux premiers rayons de soleil. Il ne verra pas celui de 2018, nous laissant dans une tristesse infinie. Voici l’un des entretiens qu’il m’avait accordés au moment de la parution  de «Coup de foudre » (2010), qui, je crois, résume bien la mémoire de celui pour qui il était « hors de question de lâcher prise sur l’amour de la vie.». Un album vivant, créatif, lumineux, à son image, enregistré avec Rodolphe Burger, dans le studio-ferme de son ami guitariste à Sainte-Marie-aux- Mines (Haut-Rhin), réalisé par Dominique Mahut.

 

Énergie et générosité à revendre, nouvel album, Coup de foudre, porté par l’amour et le goût de la révolte, show à la Cigale : Jacques Higelin fait son retour en « homme qui chante ». Plus en forme que jamais.

Interviewer Jacques Higelin, c’est aller à l’aventure et partir pour un monde où les images s’enchaînent sans cohérence apparente. Quant à venir avec des questions trop cadrées, c’est à coup sûr s’assurer un refus poli. Si l’ami Jacquot possède l’art de l’esquive, c’est qu’il préfère butiner sur des sentiers bien plus poétiques que le chemin balisé par le journaliste en mal d’information. Higelin aime la folie joyeuse, inventive, créative. Un exercice dans lequel il excelle. En témoigne l’entretien qu’il nous a accordé à l’occasion de la sortie de son nouvel opus, Coup de foudre, et de son retour très attendu à la Cigale, où il se produit jusqu’à dimanche.

Votre album enregistré dans un studio-ferme à Sainte-Marie-aux- Mines donne l’impression d’une certaine insouciance. Notamment dans la chanson Bye Bye Bye, où on vous sent heureux d’être à la campagne. Pourriez-vous y vivre de manière définitive ?

JACQUES HIGELIN. Il y a une poésie incroyable dans cet endroit, cette maison avec un studio. C’est vrai que je suis très à l’aise à la campagne, mais je ne pourrais pas y vivre en permanence. C’est bien pour composer, rêver, être tranquille…

 

Est-ce à dire que vous avez besoin du stress, de l’énergie propre à la ville ?

JACQUES HIGELIN. Le stress et moi, ça fait deux. Je le supporte assez mal. Dans la ville, il y a une énergie qui n’est pas forcément positive. À Paris, les gens sont devenus trop nerveux. Ça pourrait être plus sympa s’il y avait moins de bagnoles. Pour se garer c’est un problème, c’est fliqué à outrance. Il y a des villes, comme Montréal, où dans le vieux quartier les gens sont plus cool. Le côté province fait que les gens sont plus aimables, détendus. La nervosité, ce n’est pas un truc naturel chez l’être humain. Aujourd’hui, c’est trop. Entre les sirènes, les flics, le côté « pousse-toi » en bagnole… Des fois, il suffit juste de passer le périphérique vers la banlieue pour se sentir tout de suite mieux. On a l’impression de sortir de la guerre. Il y a un côté agressif que je ne supporte pas. Avant à Paris, il y avait une vie de quartier, une vie nocturne. J’ai connu une époque où, par le fait des anciennes halles, Paris était une ville plus marrante. Les cabarets, les cafés-théâtres fermaient tard et, si on buvait un coup, personne ne venait vous emmerder. À un moment donné, tous les endroits qui étaient sympas sont devenus, sous l’impulsion de Chirac d’ailleurs, des quartiers à touristes au détriment du vieux Paris. Ce côté-là des gens poussés à bout sans aucun programme d’aération, forcément, tôt ou tard, ça coince au portillon. On est tendus, pas joyeux, et il y a de quoi. Il y a tellement de licenciements. Tous les jours, on entend que telle ou telle usine va fermer. On voit de plus en plus de gens en fin de droits, des clochards, des gens à la rue… et un président qui s’agite. Il promet tout et son contraire et finit par appliquer une politique de droite, voire d’extrême droite sur le mode « fais du pognon, sinon t’es un con » et si t’as pas la Rolex, t’as raté ta vie. C’est tout pour le fric.

Qu’avez-vous pensé du débat sur l’identité nationale ?

JACQUES HIGELIN. Nul ! Un débat sans intérêt, complètement ridicule. Il n’y a pas un être humain sur terre qui ne vient pas de plusieurs influences, racines. Il n’y a qu’une race : l’humanité. Je me souviens d’un chercheur qui expliquait que le terme « raciste » ne pouvait pas marcher parce qu’il n’y avait qu’une race humaine qui prenait différentes formes. Il y a des Pygmées, des Esquimaux, des Indiens, des Asiatiques, des Africains, différentes civilisations. Mais ce que je vois, c’est un durcissement. La chasse au faciès, de plus en plus de flics. Ça devient intolérable. Moi, je me sens bien de faire partie de ce peuple cosmopolite, mondial où tout le monde vient de partout.

La chanson « Hôtel Terminus », c’est l’idée du bout de la route ?

JACQUES HIGELIN. C’est le dernier truc. Un squat où les chambres sont en plein air. Un hôtel des courants d’air où on retrouve des travailleurs, des gens courageux, des Africains qui en ont marre de ne pas avoir de papiers, qui paient des impôts. Ils sont à la rue. Est-ce qu’on voit ce qui se passe ? Chaque fois qu’une usine ferme, que l’on renvoie des gens par paquets pendant que d’autres se font des couilles en or de bénéfices, qu’est-ce qu’ils deviennent ? Quand on arrive en fin de droits, que fait-on ? Les gens ont peur.

Votre reprise d’ « Aujourd’hui la crise » que vous chantiez déjà en 1976 dans l’album « Alertez les bébés » est, de ce point de vue, dramatiquement d’actualité…

JACQUES HIGELIN. Hélas, oui. On pourrait donner une part du surplus des bénéfices et le répartir pour que les gens vivent dignement avec un toit, aient de quoi manger tous les jours et puissent envoyer les enfants à l’école. J’ai vu comment ça se passe dans les hôpitaux récemment : des infirmières débordées, de moins en moins de personnel. Ils ne peuvent pas faire autrement, il y a de moins en moins de gens. Dans le secteur de l’éducation, la recherche, c’est pareil… Ça déconne de plus en plus gravement.

 

Comment faites-vous, dans ce monde en crise, pour garder vos yeux de poète ?

JACQUES HIGELIN. J’avais écrit pas mal de choses très noires, mais je n’avais pas envie d’en rajouter une couche. C’est le devoir d’un artiste d’être à l’écoute de ce qui se passe autour de nous. S’il ne voit pas et n’entend pas, pourquoi alors faire de la musique, de la peinture ?

Le bonheur pour Jacques Higelin, c’est quoi, vous qui chantez « Tout bonheur que la main n’atteint pas est un leurre » ?

JACQUES HIGELIN. Dans cette chanson, j’essaie de dire que si on ne se touche pas, si on n’essaie pas de danser ensemble, qui est un truc très sensuel, eh bien l’idée de bonheur reste un leurre. Dans une journée, il y a plein de moments de bonheur. C’est peu de chose. Un bébé, une personne qui donne un sourire, un coup de foudre. J’ai toujours été attiré par la beauté, la grâce. L’existence nous donne plein de choses. Pour moi, ça aurait été comme une trahison, après avoir été nourri par la vie, de baisser les bras. J’ai toujours été heureux avec ça : le cadeau de la vie. Je viens de ce qu’on appelle les petites gens. Je suis resté dedans. Je ne dis pas que la vie est rose. Mais ça serait horrible de dire à un moment donné « je vais vous chanter la merde ». Je quitterais la scène auto-déprimé. Il est hors de question de lâcher prise sur l’amour de la vie.

Il y a dans votre album des ambiances de jazz New Orleans. Aviez-vous déjà abordé ce style de musique ?

JACQUES HIGELIN. Quand j’étais plus jeune, j’écoutais sur un vieux phonographe qu’on m’avait donné Miles Davis, Charlie Parker, Dizzy Gillespie. Je suis né au début de la guerre mondiale et, à vingt ans, je suis parti pour le service militaire en Algérie, où je suis resté cinq mois, après j’ai été en Allemagne deux ans. Je me souviens avoir lu la Question d’Henri Alleg, qu’on m’avait envoyé, et commencé le Capital… Je n’ai jamais été dupe, mais j’avais l’estomac serré et la peur au ventre. Tout cela ne m’a pas empêché d’être amoureux. C’est pour ça qu’il y aura toujours cohabitation dans la même personne. Les deux sentiments, de bien-être et de rébellion contre des lois scélérates, un pouvoir aveugle et sourd. Ainsi, j’ai toujours été sensible à tous les artistes de la planète, des gens comme Brassens, Brel, Ferré, Nougaro, Gainsbourg, Trenet bien sûr. Un jour, il avait eu cette phrase : « Il faut savoir se glisser dans les interstices du malheur. » Une manière de dire qu’il faut continuer à progresser. Après le jazz, il y a eu le rock et le blues. Au moment de composer, ça m’a évoqué mon enfance. Mon père disait : « Arrête d’écouter ça, c’est de la musique de sauvages. Ce n’est pas de la musique c’est du bruit. » Mais il pensait également que Brassens, c’était triste, alors que moi je trouvais ça magnifiquement léger. Il parlait de la vérité qui n’est pas forcément une chose triste. J’ai toujours vu la rébellion comme quelque chose de nécessaire et de joyeux. C’est un acte amoureux.

Troubadour conscient, ça vous va comme définition ?

JACQUES HIGELIN. Troubadour n’est pas un mot que j’adore. En même temps, c’est plus joli que tueur. Un troubadour, c’est quand même un homme qui chante l’amour, la paix, la beauté du monde. François Villon n’était pas inconscient, Rimbaud non plus, Artaud, Jean Genet pareil. Tous les poètes sont des gens hors la loi. Hors les lois de la bienséance et du rangement dans des cases.

Le temps qui passe ?

JACQUES HIGELIN. L’âge ne me dérange pas. Il y a des passages, des révolutions, des bouleversements physiques, intellectuels. À un moment donné, on a une expérience de sa propre vie. Une vie que je n’ai jamais voulu coller à qui que ce soit. J’adore voir pousser les enfants en liberté. C’est ce que disaient ma fille et mes fils : « Mon père nous a appris la liberté de penser. » Le goût de la liberté. Je ne dis pas qu’on peut être parfait. C’est une trajectoire guidée par la soif de libération. La part secrète de l’amour, la part sensuelle, la part sexuelle, intellectuelle, romantique, je ne l’ai jamais exclue. J’ai toujours dit à mes enfants : « Je vous aime. » Parfois, j’ai manqué de présence parce que j’étais sur les routes, mais après on a discuté, surtout avec les deux garçons. Pour la petite, j’étais plus présent. Ouais, des fois j’ai manqué à mes enfants. C’était ça qu’ils me reprochaient, pas de ne pas les aimer.

Diriez-vous que la musique, les arts, vont ont sauvé d’un monde parfois très sombre ?

JACQUES HIGELIN. Il y a toujours eu un piano à la maison, une guitare, des amis musiciens, des fêtes… Par bonheur, la musique a accompagné ma vie. C’est sans doute pourquoi je regarde beaucoup le ciel, l’infini. On est une petite boule bleue perdue dans l’univers. Il y a des rivières magnifiques, des torrents, des couchers de soleil, la nuit, les étoiles. On est au milieu de centaines de milliards de galaxies. Ça aide à relativiser. On est là parfois à s’engueuler les uns les autres, alors que l’on pourrait jouir de l’existence… La vie c’est tellement fort. C’est une énergie vitale.

 

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