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Hugues Aufray. Photo Yann Orhan/Universal Music

Musique. A 91 ans, l’infatigable Hugues Aufray a sorti cet été « Autoportrait ». Un album réussi, joyeux et émouvant, inspiré des airs populaires du folklore américain, enrichi pour les fêtes de fin d’année d’une belle édition de Noël regroupant sept titres, dont un duo inédit avec Nolwenn Leroy. L’occasion pour WE CULTE, d’aller à la rencontre de l’éternel troubadour, dont les chansons intemporelles (« Hasta Luego », « Stewball », « Santiano » etc…) continuent d’être chantées par toutes les générations.

Hugues Aufray, 91 ans: « Il n’y pas de secret. J’ai mené une vie normale, je ne bois pas d’alcool, où à peine, j’ai arrêté de fumer suffisamment tôt… J’ai encore des tas de choses à dire, des disques, des peintures, des sculptures à faire. Pour l’instant, pour moi la retraite ça n’existe pas »

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Hugues Aufray. Photo Yann Orhan/Universal Music

Hugues Aufray n’est pas prêt de raccrocher sa guitare. A 91 ans, il garde une santé de fer et une énergie qui lui vaut de continuer sur les chemins de la musique, comme au premier jour. Le chanteur a sorti cet été « Autoportrait », un album qui fait écho au folklore américain, où l’on retrouve ses chansons éternelles, « Hasta Luego » (1973) ou encore « Stewball » (1966) en duo avec le chanteur franco-gallois Michael Jones, enregistré dans les studios Abbey Road, à Londres. Un disque d’airs traditionnels, mélange de country, de folk, de blues-rock, de cajun et de ballades celtiques, qui évoque les laissés-pour-compte, les vagabonds, les marins, les ouvriers agricoles… A l’image du vieux baroudeur « Dan Tucker », popularisée par Bruce Springsteen. Un album réussi, joyeux et émouvant, réédité à l’occasion des fêtes de fin d’année, accompagné d’une « Galette de Noël », où Hugues Aufray revisite « Let it snow » (« C’est Noël ») et « Jingle Bells ». Sept chants de partage et de fraternité, où il interprète « Dans une mangeoire », « Dort, dort l’enfant béni », « A la nuit, à la veillée », « Quel est ce chant si pur ? » en duo avec Nolwenn Leroy et l’inoubliable « Le Petit âne gris », accompagné d’une chorale.

Dans « Autoportrait », vous reprenez des chansons du folklore américain… D’où vient votre attirance pour les musiques anglo-saxonnes ?

Hugues Aufray : On a tous une éducation qui se dégage de l’environnement dans lequel on a vécu. J’avais dix ans quand la guerre de 1939 a éclaté. J’ai passé cinq ans dans un village du Tarn en zone libre dans un collège tenu par des moines dominicains. Et puis, j’ai rejoint mon père après la guerre en Espagne, qui m’a offert ma première guitare à Noël. J’avais 16 ans et j’ai commencé à chanter des chansons du folklore. Je suis d’une famille où les gens étaient d’un niveau assez élevé en musique classique. Ma grand-mère était professeure de piano et cantatrice, avec une voix exceptionnelle, ma maman jouait du violon, ma tante jouait du violoncelle. J’ai été élevé dans la musique classique et pendant la guerre, entre 1939 et 1945, la seule chose qui était un peu moderne, c’était Django Reinhart et Charles Trenet. Le reste, c’était Tino Rossi, des trucs à l’ancienne. J’ai toujours été fortement marqué par deux choses qui ont l’air de s’opposer : la musique classique et le folklore. Je ne suis pas né avec la vocation d’être auteur-compositeur-interprète, ce que les Américains appellent « songwriter », des gens qui écrivent des chansons. Interpréter les œuvres existantes, c’est un signe de grande paresse intellectuelle, mais je revendique d’être un paresseux intellectuel.

Vous avez d’abord commencé par des chansons du folklore sud-américain…

Hugues Aufray: Après le service militaire, entre 20 et 30 ans, je ne chantais pratiquement que des chansons en espagnol et très peu de chansons françaises. J’ai fait mon premier disque à 30 ans. Et c’est à partir de ce moment-là qu’on m’a fait comprendre qu’il fallait que écrive mes chansons. Je me suis trouvé en face de quelque chose que je n’avais jamais fait et pas envie de faire. C’est la raison pour laquelle j’ai eu pendant longtemps des collaborateurs. J’ai puisé dans le folklore sud-américain, que je connaissais le mieux avant de faire des disques. Et j’ai appris  à découvrir le folklore américain. Ce qui a été déterminant, c’est mon voyage aux Etats-Unis en 1961, d’où j’ai ramené une vingtaine de chansons. J’ai découvert le courant musical qui m’intéressait. Je m’intéresse au talent des autres. J’ai une culture de folklore qui fait que j’ai toujours eu envie de faire connaître ces morceaux. Un des grands plaisirs de la vie, c’est le mot partage. Dans mon répertoire, j’ai sélectionné une douzaine de chansons que j’ai traduites en français. Si j’ai traduit Bob Dylan et beaucoup de chansons dans ma vie, c’est pour savoir ce que le chanteur racontait. Après, quand on découvre que ce qu’il raconte c’est formidablement intéressant, on s’applique à essayer, non pas de le traduire parce qu’on ne peut pas traduire la poésie, mais à la transmettre. Je fais de la transmission.

Vous avez ajouté à votre album un volet sur les chants de Noël, où vous interprétez des standards comme « Jingle Bells ». Une manière de célébrer la culture chrétienne ?

Hugues Aufray : Exactement. Quand j’ai terminé le disque, les gens d’Universal m’ont dit qu’ils aimeraient que je fasse des chansons de Noël. J’ai sauté sur l’occasion  parce que presque tous les chants de Noël sont d’origine folklorique et chrétiens. Je n’ai jamais été engagé politiquement, mais n’allez pas croire que je ne sois pas courageux. Aujourd’hui, je revendique d’être chrétien par mon baptême et par ma culture. Je ne suis pas pratiquant, mais j’estime que ce qui constitue le christianisme, ce sont les valeurs de l’humanisme, que l’on retrouve normalement dans toutes les religions. Le sens de la fraternité, du partage, de la solidarité, tout cela ce sont des valeurs humaines. Dans cette galette de Noël, je chante en duo avec Nolwenn Leroy, un très ancien chant que j’ai traduit en français, mais par respect pour l’histoire, j’ai mis le premier couplet en breton et c’est elle qui le chante. Je suis très attaché à mes racines. Aufray est un nom d’origine bretonne par mon père et béarnais, par ma mère. J’ai beaucoup travaillé avec Gildas Arzel, c’est avec son assistance que j’ai conçu « Autoportrait ».

Vous admirez Rimbaud, le poète aux semelles de vent. Vous, vous préférez vous définir comme un homme « aux semelles de tempête », pour marquer votre côté révolté ?

Hugues Aufray : Je ne dirai pas révolté, parce que dans « révolte », il y a révolution. Moi, je suis antirévolutionnaire. J’estime que toutes les révolutions finissent par des terrorismes et des dictatures. Elles ont toutes échoué. Les seules choses qui ont réussi dans l’histoire de l’humanité, ce sont les réformes, qui sont, pourrait-on dire, des révolutions lentes, humanisées. Elles ne passent pas par la barbarie. Rimbaud a écrit de la poésie entre 15 et 19 ans et puis, il s’est arrêté en laissant un dernier texte « La saison en enfer », écrit en prose. Je pense qu’il a voulu dire en abandonnant la poésie en tant que genre littéraire, qu’elle était finie, qu’elle était morte. Pourquoi, a-t-on donné le Prix Nobel de littérature à Bob Dylan, parce qu’il cristallise le symbole du poète moderne, c’est-à-dire le poète qui chante. Comme le faisaient les Grecs ou les troubadours au Moyen-Age. La poésie était chantée. Elle est devenue littéraire au 18ème et surtout au 19ème siècle et c’est comme cela qu’est apparu Rimbaud qui incarne l’image du poète. Pour moi, c’est un messager qui a dit « la poésie, on ne l’écrit plus ».

Les temps changent chantaient Bob Dylan, que vous avez été le premier à adapter en France. Pensez-vous que le monde a changé en bien ?

Hugues Aufray : On est dans un changement d’ère. La génétique a pris le dessus sur tout. Il est évident que les gens qui vont réussir à aller vivre sur Mars et Venus, ne seront pas des gens comme nous, mais des post-humains. Ils existent d’ailleurs aujourd’hui grâce à un triple pontage que permettent les progrès de la science. Sans s’en rendre compte, ils sont déjà en partie des robots. Des gens comme moi, à 91 ans, il suffit de me mettre une puce dans le bras pour pouvoir éviter Alzheimer, par exemple. C’est formidable.

Vos chansons sont autant aimées par les adultes que par les enfants. Pour un artiste, c’est le plus beau cadeau qui soit, non ?

Hugues Aufray : De très loin. Moi, qui n’ai jamais fait de chansons pour enfants, j’aurais aimé faire des émissions de télévision pour enfants. J’ai fait des propositions, je n’ai jamais été retenu. En France, pour faire de la télévision, tout est politique et copinage. J’avais dit à Jacques Martin, qui se plaignait à un moment d’être fatigué et qu’il voulait s’arrêter : « si tu t’arrêtes, je veux bien te remplacer pour que tu te reposes un peu ». Il ne m’a jamais appelé. Maintenant, c’est un peu tard. Je fais de la peinture, de la sculpture. Peut-être que mes bronzes seront plus  résistants que mes chansons ! (rires).

La chanson vous a-t-elle rendu heureux ?

Hugues Aufray : Elle m’a tout donné. Enfant, je me disais être peintre, c’est vivre dans la pauvreté. C’est ça que je voulais. Donc, j’étais préparé à être pauvre, ça ne me faisait pas peur. Pour moi, la pauvreté, c’est la vie de bohême. On vit très modestement et puis quand on est mort, avec un peu de chance, on devient célèbre. Ça été le cas de Van Gogh qui a vécu dans la misère. Je suis devenu une vedette après la mort de mon frère, quand  j’avais 25 ans. Il avait un physique exceptionnel et surtout une voix d’opéra. Son suicide m’a terrassé pendant deux ou trois ans et puis la résilience m’a permis de revenir et de faire quelque chose que je n’avais pas prévu, une carrière de chanteur. La carrière que mon frère n’a pas eue, c’est moi qui l’ai faite, à un niveau très différent. La chanson m’a permis d’acheter une maison à la campagne, que j’ai donnée maintenant. J’ai quitté ma maison à Marne-la-Coquette où je suis resté 45 ans, qui était trop grande quand mes enfants  sont partis, éparpillés à travers le monde. Je l’ai vendue et j’habite maintenant dans la maison d’Aristide Maillol à Marly-le-Roi. Je travaille dans son atelier et je suis là pour les quelques années qui me restent à vivre, dans ce cadre où je vais reprendre la sculpture et continuer la musique.

Vous avez une forme incroyable, l’énergie ne vous a jamais lâché. Votre secret de jouvence, c’est votre amour de la vie ?

Hugues Aufray : Il n’y pas de secret. J’ai mené une vie normale, je ne bois pas d’alcool, où à peine, j’ai arrêté de fumer suffisamment tôt dès que j’ai compris que c’est la dernière bêtise qu’on puisse faire. J’ai une vie saine, je vis avec une jeune-femme qui m’aide beaucoup. Elle me suit en tournée, elle est calée dans le numérique, les ordinateurs, tout ce qui est un peu difficile pour moi. J’ai encore des tas de choses à dire, des disques, des peintures, des sculptures à faire. Pour l’instant, pour moi la retraite ça n’existe pas.

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Hugues Aufray © Yann Orhan

Envisagez-vous une tournée ?

Hugues Aufray : J’espère que tout cela va repartir. Si les choses redeviennent à peu près normales, je serai le 17 avril à La Seine Musicale à Paris. Ma tournée s’appelle « Eternel retour » après « Les Visiteurs d’un soir » que j’ai fait pendant huit ans, laquelle m’a permis de chanter un peu partout, avec des tarifs modérés, ce qui est important aujourd’hui dans ce monde disproportionné, où on fait des spectacles dans des stades avec 50 000 personnes, à des prix très élevés. C’est exactement le contraire que je veux faire. Ça va me conduire un peu partout à travers la France, Belgique, Suisse. Je ne rêve pas d’aller chanter en Argentine, au Canada ou en Russie. Ce n’est plus mon problème. Je préfère maintenant rester chez nous.

Entretien réalisé par Victor Hache

 

 

 

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