opera royal versailles
Les grandes institutions, comme les petites salles se mobilisent sur le front numérique pour faire vivre la culture. Ici, concert à l'Opéra Royal de Versailles sans public. Photo. Pascal Le Mee

Depuis près d’un an maintenant la crise sanitaire frappe de plein fouet le spectacle vivant. Tous les professionnels se trouvent privés de public et souffrent douloureusement de cette situation. Dans ce contexte des artistes, de grandes institutions culturelles et quelques salles de spectacles tentent d’utiliser les outils numériques pour garder le contact avec le public. Des expériences foisonnantes qui ont réussi à proposer de nouvelles formes de relations entre les créateurs et leur public.

En attendant la réouverture des salles, le numérique reste un des rares vecteurs disponibles. Plateformes de diffusion, spectacles filmés mis en ligne… autant d’initiatives qui illustrent les efforts et l’imagination à l’œuvre dans de nombreux secteurs du spectacle vivant

opera royal versailles
Les grandes institutions, comme les petites salles se mobilisent sur le front numérique pour faire vivre la culture. Ici, concert à l’Opéra Royal de Versailles sans public. Photo. Pascal Le Mee

La crise sanitaire touche dramatiquement tout le spectacle vivant. Partout, les artistes et les professionnels qui les entourent attendent désespérément la possibilité de renouer avec leurs publics. C’est évidemment encore plus dur pour tous ceux qui ne bénéficient pas du statut d’intermittent.

Dès le début du premier confinement, des artistes se sont saisis des outils numériques pour garder le contact avec leurs publics. Pendant le second confinement, les mêmes ou d’autres ont poursuivi cette démarche, même si tous affirment avec force que ces expériences ne peuvent se substituer au contact direct avec le public. Le spectacle vivant se joue sur une scène et non sur un écran.

En attendant la réouverture des salles, le numérique reste toutefois un des rares vecteurs disponibles. Et le débat s’ouvre alors autour de la gratuité qui est la solution utilisée le plus souvent par les troupes et les artistes qui font appel aux réseaux sociaux et au Web. Certains professionnels tentent, non sans difficultés de trouver des formules qui permettent de rémunérer les artistes et ceux qui interviennent à leur côté.

comédie d'automne
Comédie Française, Théâtre à la table « Juste la fin du monde » © Coll. Comédie-Française

Le théâtre en ligne

Les grandes institutions se sont mobilisées sur le front numérique. La Comédie Française a fait preuve d’un investissement exemplaire mettant à contribution ses sociétaires dans sa Web TV, créée dès le premier confinement puis dans sa Comédie d’Automne avec au programme des spectacles en version intégrale tous les samedis soir depuis le 7 novembre. Ces rendez-vous prennent la forme d’une lecture très travaillée pour un « Théâtre à la table ». Les comédiens français ont aussi rendu un bel hommage à Molière et proposé de plus intimes causeries favorisant les échanges avec eux. En février 2021 s’est ajoutée la mise en place d’une « Université théâtrale » qui met en contact des étudiants avec des professionnels du théâtre. Et durant tout ce second confinement les artistes se relayent pour lire « A la recherche du temps perdu », une lecture fleuve de l’œuvre de Proust, suivie régulièrement par 15 000 auditeurs.

Le Théâtre de la Ville, parmi de nombreuses initiatives en ligne, propose depuis le mois de mars 2020 des consultations poétiques et musicales par téléphone « pour des rencontres individuelles entre des artistes et une population ». En février 2021 le bilan provisoire annonce 12000 poèmes partagés, 10 000 personnes appelées par plus d’une centaine d’artistes.

Opsis TV propose des spectacles en VOD sur abonnement. Cette plateforme existait avant la crise sanitaire et cette situation l’a conduite à retransmettre en direct certains spectacles. De leur côté les théâtres privés parisiens se sont organisés pour proposer des captations ou des directs sur leur site des Théâtres Associés Parisiens le plus souvent en partenariat avec France Télévision. Leur #Théâtrechezvous propose également des reportages et des « capsules » vidéos sur les artistes et les théâtres participant. C’est sur Facebook que « Le Petit coiffeur », une pièce de Jean-Philippe Daguerre, a été diffusé en janvier, en direct du théâtre Rive Gauche d’Eric Emmanuel Schmitt, une des rares tentatives de spectacle de théâtre en ligne payant.

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Opéra de Paris: La Flûte Enchantée en ligne (crédit : Charles Duprat)

L’opéra chez soi

L’Opéra de Paris a mis en place une plateforme numérique, « L’Opéra chez soi », et propose de nombreuses vidéos et quelques retransmissions payantes en direct et en différé comme celle de « La Flûte Enchantée » mise en scène par Robert Carsen. En région l’Opéra de Rouen a retransmis en direct « Pelléas et Mélisande » de Debussy le 26 janvier dans une mise en scène d’Eric Ruf, le directeur de la Comédie Française. L’Opéra de Rennes avait de son côté diffusé « La Dame Blanche » de Boieldieu dans une mise en scène de la lyonnaise Louise Vignaud en décembre 2020. C’est ce même opéra mais dans une autre mise en scène que l’Opéra de Nice a présenté en janvier 2021.

l'amour de loin
Logo de « L’Amour de loin »

Face au confinement, Forces Musicales, le syndicat professionnel qui regroupe 46 opéras et orchestres français a organisé « L’amour de loin », un festival en ligne durant 3 semaines. Cet événement a réuni près de 300 000 spectateurs qui ont assisté à 38 concerts du 4 au 16 décembre 2020. Pour Loïc Lachenal, directeur de l’Opéra de Rouen Normandie, Président des Forces Musicales, “le numérique ne remplacera jamais le spectacle vivant mais il est un formidable outil de partage et d’échange ; il nous a permis d’être réactifs et de donner à voir tout ce qui s’invente et se crée jour après jours dans nos maisons, même dans ce moment d’incertitude”.

La musique classique s’invite chez vous

« La Philharmonie de Paris s’invite chez vous » a proposé plusieurs concerts en direct et en différé mais aussi des contenus éducatifs familiaux, des podcasts et des playlists musicales ainsi qu’une visite virtuelle du Musée de la musique et de l’exposition « Les musiques de Picasso ». Même politique à Lyon avec de nombreuses retransmissions en direct ou en différé de l’Auditorium.

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Ismaël Margain. Photo Stéphane Delavoye

100 concerts et 7000 inscrits, tel est le bilan de « Recithall » créé en juin 2020 par le pianiste Ismaël Margain et ses amis. Cette plateforme permet aux artistes et organisateurs professionnels de diffuser sur internet « des spectacles interactifs, en direct et rémunérés ». Les spectacles sont tous payants pour un tarif de 5 à 10 euros ou une contribution libre. Avant, pendant et après chaque concert un chat permet aux spectateurs d’interagir et de poser des questions aux musiciens après chaque spectacle. La captation revient en général à quelques centaines d’euros, la diffusion est gratuite mais la plateforme perçoit une commission sur la billetterie en ligne pour couvrir ses propres frais (hébergement, serveur et développement). L’audience des concerts qui se situe entre 100 et 200 personnes, augmente régulièrement. Les concerts approchent maintenant de l’équilibre économique et il va donc devenir possible de rémunérer les artistes, un des objectifs de départ de la plateforme.

La chanson en réseaux

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Francis Cabrel et ses mini-concerts à la maison sur les réseaux sociaux

Pendant le premier confinement la chanson a été très présente sur les réseaux sociaux avec des vidéos en direct ou en différé. A l’image de Francis Cabrel, Kent, Marie-Paule Belle ou Frasiak, présents quotidiennement. Valentin Vander a connu un succès phénoménal avec une chanson de Bourvil filmée à distance, puis avec une reprise d’un titre de Bob Dylan. Une version de « La Javanaise » de Gainsbourg a été réalisée à partir de vidéos adressées par 3600 personnes par la Maîtrise de Radio France et le Théâtre du Chatelet, associés à France Musique. D’autres artistes ont pris le relai lors du second confinement, tel le lyonnais Frédéric Bobin et le duo de Lili Cros et Thierry Chazelle.

D’autres professionnels ont utilisé le numérique en assurant une rémunération des artistes et de leurs partenaires. Des plateformes ont été créées pour promouvoir une diffusion payante de spectacles et de concerts. La plateforme « InLive Stream » aurait trouvé les 20 000 spectateurs payants pour « rentabiliser » le concert de Matt Pokora retransmis depuis « La Seine Musicale ». L’Olympia a ainsi retransmis en ligne le 6 février et pour 24,99 euros la soirée « New Live Experience » avec Dadju, Gims, Vitaa et Amel Bent.

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Mathias Malzieu. (Photo Joël Saget / AFP)

Quant à Mathias Malzieu il proposera le 4 mars « Time Machine Experience », un concert en direct avec son groupe Dionysos au tarif de 15 euros. L’application « DICE » participe à la billetterie de ce projet comme à celle de nombreux concerts en ligne à l’échelle internationale. D’autres propositions plus pointues comme celle de Gaiar mettent l’accent sur la protection des œuvres et « la monétisation des créations » en ligne.

Nicolas Bacchus et sa société « Bacchanales Productions » a réussi de son côté à monter deux concerts à Lyon, qui ont été financés par l’appel aux dons lancés, à l’occasion de ces évènements. De leur côté les jeunes montpelliérains du groupe « Une Touche d’Optimisme » proposent de chanter à la demande une chanson du répertoire contre une rémunération minimum de 20 euros. Ils « sont débordés par leur succès » confie Evan Braci, leur chef de fil, sur les réseaux sociaux.

myriam daups et gérard dahan
Myriam Daups et Gérard Dahan de la salle de concerts Le Petit Duc, à Aix-en-Provence

Enfin, Myriam Daups et Gérard Dahan de la salle aixoise du Petit Duc ont mis en place un équipement qui permet de filmer et diffuser en direct l’ensemble des spectacles de la saison 2020/2021 sur leur chaîne « Petit Duc Web ». Contre le paiement d’un abonnement ou par un achat à la séance cette programmation de jazz et de chansons propose au spectateur une participation avant et après le spectacle. Les recettes s’élèvent en moyenne au tiers de ce qu’elles auraient été en temps normal. Gérard Dahan insiste sur le fait que le direct se fait « sans filet et en temps réel ». Des spectacles diffusés en direction des programmateurs dans toute la France et d’un public dont plus d’un tiers vit en dehors de la région PACA. Une opportunité de faire connaître de nouveaux projets et on imagine déjà que que les diffusions pourront se poursuivre quand la salle sera à nouveau ouverte au public. De son côté le Centre National de la Musique a mis en place un soutien aux « diffusions alternatives » destiné aux « entrepreneurs de spectacle de musique et variétés » qui doit aider ce type d’expériences, tant que durera la crise sanitaire.

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La chaîne éphémère culturebox est entièrement dédiée aux spectacles vivants

A toutes ces initiatives est venue s’ajouter depuis le début février l’offre de France Télévisions qui a débuté la diffusion de Culturebox, une chaîne éphémère accessible sur le canal 19 de la TNT mais également sur le Web via le site de Francetv. Cette chaîne est consacrée aux artistes et au spectacle vivant sous toutes ses formes. Au programme, des rencontres, des spectacles en direct et des retransmissions des meilleures émissions culturelles de France Télévisions, tel « Le Grand Echiquier ». Une grande place va y être accordée à la jeune scène musicale comme aux jeunes créateurs et humoristes. Les premiers jours de diffusion montre déjà la diversité et la qualité de l’offre ainsi mise en place par le service public. Une occasion exceptionnelle de faire connaître le meilleur du spectacle vivant.

Autant d’initiatives qui illustrent les efforts et l’imagination à l’œuvre dans de nombreux secteurs du spectacle vivant. Si elles n’ont pas vocation à s’imposer au détriment des spectacles « en présentiel » au terme de la crise sanitaire, elles ouvrent des pistes et peuvent valoriser certains spectacles ou démarches interactives en direction d’un public plus large que celui qui est habitué à se rendre dans les salles de spectacles.

Yves Le Pape

 

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