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Enki Bilal publie "Nu avec Picasso": un premier récit littéraire étourdissant, déroutant, enivrant... Photo Hannah Assouline

Récit. Jusqu’alors, on le connaissait dessinateur, peintre, scénariste et réalisateur ciné. Et voici Enki Bilal qui se glisse en librairies avec « Nu avec Picasso », un texte enthousiasmant et étourdissant pour évoquer sa nuit au musée…

L’affaire était toute simple : proposer à Enki Bilal de passer une nuit seul dans le musée Picasso à Paris. Ce premier récit littéraire du dessinateur, peintre et réalisateur cinéma est enthousiasmant, étourdissant, enveloppant, parfois même déroutant et enivrant…

  enki bilal nu avec picasso Ce serait la promesse d’une nuit fantastique. Une nuit au musée, seul(e). C’est une nuit, après Lydie Salvayre, Santiago Amigorena ou encore Kamel Daoud, offerte à Enki Bilal, né en 1951 à Belgrade (ex-Yougoslavie), arrivé en France à 10 ans, naturalisé français à 16 ans et récompensé par le Grand Prix du Festival de la BD d’Angoulême en 1987. C’est « Nu avec Picasso », le court (à peine une centaine de pages) et premier récit littéraire du dessinateur, peintre et réalisateur cinéma. C’est étourdissant, enveloppant, parfois même déroutant et enivrant…

En ouverture, un conseil de l’auteur au lecteur : « Pour une lecture pleine de ce livre, se munir d’une reproduction de « Guernica », d’une reproduction du « Meurtre » et d’une reproduction de « La femme qui pleure » de 1937 (plusieurs variantes)… mais aussi de « La Femme au vase » du même Picasso et du « Trois-Mai »de Goya ». L’affaire était toute simple : proposer à Enki Bilal de passer une nuit seul dans le musée Picasso à Paris– le compte-rendu de ce séjour nocturne avec lit de camp en toile beige et plateau-repas aurait pu être rien d’autre qu’une pochade, genre « La Nuit au musée », la saga filmée de Shawn Levy avec Ben Stiller… Sauf que là, c’est Enki Bilal l’acteur, et qui raconte. Et le voyage va mener dans le « dehors » et le « dedans ». L’autre dimension de la nuit fantastique.

  enki bilal nu avec picasso  « La main que je ne vois pas et qui me saisit par le col, alors qu’il n’y a pas âme qui vive à cinquante mètres à la ronde, me propulse à travers le portail grand ouvert du musée PP ». Fin de soirée, début de nuit au musée Pablo Picasso… Enki Bilal seul. Avec les fantômes muséaux. Et cette main, note l’auteur, « est accompagnée d’un souffle batracien, une odeur indicible et laide qui glisse chaudement de part et d’autre de ma nuque et se vrille dans mes deux narines exceptionnellement dégagées en cette période de rhume des foins ». Son front cogne un vase au bout du long bras d’une dame taillée dans le bronze. Quand il retrouve ses esprits, « il fait noir et (…) j’y vois comme en plein jour ». Il croit entendre la dame de bronze lui parler, ce sont en fait les rumeurs de l’extérieur. C’est le  » dehors » et le « dedans », c’est le musée PP, ce pourrait être Bunker Palace…

C’est aussi une promenade en lieu clos- un texte confiné qui résonne avec les affres et tourments d’une pandémie mondiale. C’est léger. Et halluciné. Dans cette nuit fantastique, on va croiser Pablo Picasso, nu, corps rond et petits membres, qui va venir deviser avec Enki Bilal. Et aussi une muse de PP, la belle Dora Maar. Ou encore l’immense Francisco de Goya (1746- 1828) dont PP est un fan absolu- problème, il ne comprend pas grand-chose à « Guernica », le chef-d’œuvre du fondateur (avec Georges Braque) du cubisme dans les premières années du 20ème siècle…

enki bila nu avec picassoEt puis, une question traverse l’esprit du dessinateur de « La Foire aux immortels » (1980) : « Sous le lit, des crânes peut-être ? Pourquoi ai-je dit « ce musée est mon refuge » ? J’ai même dû dire à un moment « musée PP », comme Prison Politique… Un musée ça peut devenir prison, comme prison et hôpital deviennent hôtels de luxe un peu partout dans le monde… Je ne me souviens pas avoir envisagé ce jour une visite de musée, ni prison, ni hôpital, ni hôtel d’ailleurs. Mon seul et unique but était de trouver du matériel de première nécessité pour peindre… »

Peindre, peut-être, l’assassinat de Marat par Charlotte Corday… Ou encore ces créatures qui hantent le musée- le cheval, le minotaure, le taureau, les humains déformés… Les apprivoiser, leur échapper… Ne pas se demander dans quel état l’auteur (et aussi le lecteur) sortira de cette nuit au musée. Peut-être nu avec, pour compagnon de déambulation, ce PP, ce Pablo Picasso dont les « doigts sont noirs de graphite. Moins que son œil qui brille, je le constate avec fascination ». Ce Picasso qui, dessinant « Le Meurtre » de Marat par le couteau de Charlotte Corday, évoquait symboliquement Adolf Hitler et la Nuit des longs couteaux, le 2 juillet 1934. Encore et toujours, le « dehors », le « dedans »… « Le dehors nous avale, mon dedans chargé d’une expérience hors norme et moi », c’était une belle nuit au musée.

Texte Serge Bressan

  • A lire : « Nu avec Picasso » d’Enki Bilal. Stock, 104 pages, 16 €.
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Enki Bilal. Photo Hannah Assouline

L’auteur

Né le 7 octobre 1951 à Belgrade (ex-Yougoslavie), Enki Bilal est l’auteur de nombreux albums de bande dessinée et de livres mêlant l’écrit et l’illustration, traduits dans plusieurs pays. Parmi ses plus célèbres titres, on peut citer : « Les Phalanges de l’Ordre Noir » (1979) et « Partie de chasse »– avec Pierre Christin (1983), « Le Sommeil du Monstre » (1998) et, tout récemment, la série « Bug » (2017 et 2019). Peintre très coté, il expose à Paris et à travers le monde. Enki Bilal est également auteur-réalisateur de trois films de cinéma (« Bunker Palace Hôtel »– 1989, « Tykho Moon »– 1996, et « Immortel, ad vitam »– 2004), scénographe (le ballet « Roméo et Juliette » d’Angelin Preljocaj- 1990) et fait des incursions dans le théâtre et l’opéra.

enki bilal exposition landerneauUne exposition Enki Bilal à Landerneau

        Direction le Finistère, plus précisément à Landerneau. Dès ce 18 juillet 2020 et jusqu’au 4 janvier 2021, rendez-vous au Fonds pour la Culture Hélène & Edouard Leclerc pour une exposition à la découverte de l’univers d’Enki Bilal. À la croisée des arts, des cultures, des temps, des mondes et des sociétés, réels ou fictionnés, son œuvre se parcourra dans l’exposition, autour des grands thèmes qui s’y déploient. Dessins, peintures, films, écrits, seront présentés, depuis ses débuts dans la bande dessinée dès les années 1970 jusqu’à ses œuvres les plus récentes et, pour certaines inédites, réalisées pour Landerneau, comme la série qu’il prépare en écho avec le célèbre tableau de Picasso, Guernica.

Tarifs : 8€ / 6€ (réduit). Gratuit (sur justificatif) pour les moins de 18 ans, les demandeurs d’emploi, les bénéficiaires des minima sociaux, les personnes handicapées, les étudiants, les enseignants et les cartes ICOM.

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