lolita l'affiche du film de stanley kubrick
L'affiche du film Lolita réalisé par Stanley Kubrick en 1962

Adapté du roman éponyme de Penelope Fitzgerald paru en 1994, le film The Bookshop de la réalisatrice espagnole Isabel Coixet, témoigne du pouvoir et de la force de la littérature. L’histoire se déroule dans une petite ville d’Angleterre, Hardborough, où Florence Green (Emily Mortimer) ouvre une librairie dans l’ancestrale maison qu’elle a achetée. Elle voue son entreprise à transmettre le plaisir de lire quand elle se retrouve face à Violet Gamart (Patricia Clarkson), notable de la région, qui déploie toute la puissance de son réseau pour arriver à ses fins. Ce sera sans compter l’obstination et l’audace de la jeune libraire lorsqu’elle met en vitrine « Lolita » de Nabokov, provoquant ainsi des remous au sein de la communauté locale. A travers ce long métrage couronné lors de la 32ème cérémonie des Goyas du prix du meilleur film et du meilleur réalisateur, retour sur la genèse, l’odeur de soufre et la rumeur de scandale qui ont collé aux pages de « Lolita » 

Les pages du roman Lolita nous interrogent sur notre rapport à la subversion, la permissivité, le corps comme objet d’expérimentation, l’exclusion à l’image de la cavale du couple déambulant de motels en motels

couverture du roman Lolita de Nabokov«Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois reprises, contre les dents. Lo. Lii. Ta. »
Les premières pages du roman de Vladimir Nabokov devenu un classique. Cette histoire toxique entre un homme et une adolescente faillit ne jamais voir le jour. Quelques années avant sa parution, l’auteur las de ne pas en voir la fin avait envisagé de brûler son manuscrit. Il raconte que c’est vers 1949 à Ithaca, aux États-Unis, que la « palpitation, qui n’avait jamais tout à fait cessé » le reprit. Il fut achevé le 6 décembre 1953 soit quatre ans avant l’origine du projet.
« Son adorable profil, ses lèvres entrouvertes, ses cheveux brûlants  n’étaient qu’à quelque sept ou huit centimètres de ma canine dénudée ; et je sentais la chaleur de ses membres à travers la toile rugueuse de ses vêtements de garçon manqué. »
Humbert, le narrateur, s’adresse au lecteur, le prend à témoin de ses « exploits », une mise à distance permettant un pas de côté sur les agissements décriés par l’Amérique puritaine de l’époque. Si certaines scènes sont charnellement explicites, il est à noter que pas un seul mot obscène ne se dit et que les occurrences du mot viol délimitent des contextes particuliers. Nabokov savait que le sujet allait choquer, les États-Unis étaient traversé par trois tabous : la pédophilie, l’inceste et le mariage interracial.
« Je suis mû par une ambition plus noble : fixer une fois pour toutes la périlleuse magie des nymphettes. »

Un an après sa parution en France, le roman est censuré ; la censure est levée un temps en 1958. Aux États-Unis, publié par Putnam, « Lolita » est dévoré par le public et reste pendant 180 jours en tête des ventes du pays. Il est même le second ouvrage après « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell (1936) à atteindre les 100 000 exemplaires vendus en trois semaines. Depuis, l’œuvre nabo kovienne s’est distribuée à plus de 15 millions de livres dans le monde. Il figure dans la liste des neuf meilleurs ouvrages établie par le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa ou encore dans la bibliothèque idéale du magazine « Lire » parmi les dix meilleurs romans américains.
«L’autre jour encore, nous avons lu dans les journaux l’histoire ridicule de cet adulte incul pé d’outrage aux mœurs et qui reconnaissait avoir violé la loi Mann et déplacé d’un État une fillette de neuf ans à des fins immorales, quoi que veuille dire cette expression. »

Le parfum de scandale au regard de la notoriété de Lolita révèlent le prisme grossissant de l’impact de la morale sur la littérature.

L’actrice Sue Lyon dans le rôle titre du film Lolita de Stanley Kubrick

Ces pages nous interrogent sur notre rapport à la subversion, la permissivité, le corps comme objet d’expérimentation, l’exclusion à l’image de la cavale du couple déambulant de motels en motels. Dans « Structures élémentaires de la parenté », Claude Lévi-Strauss écrit : « Le “ fait de la règle”, envisagé de façon entièrement indépendante de ses modalités, constitue en effet, les sens même de la prohibition de l’inceste. » Et plus loin : « La prohibition de l’inceste n’est pas seulement (…) une interdiction ; en même temps qu’elle défend, elle ordonne. » Sujet de la norme et de la loi, l’être humain peut les transgresser, se désocialisant du groupe. Délictueux, il défie  l’interdit et la culpabilité.
« Mon amour pour elle avait beau se transformer, ma maudite nature, elle, était incapable de le faire. »

En droit français, le viol est considéré comme un crime, il est passible de 15 ans de réclusion criminelle. Où dès lors placer en juste place la littérature ? Nabokov n’appelle aucun doute sur la construction de son roman, il désapprouvait la sexualité d’Humbert, psychologisant ainsi son personnage. « Ce livre est de tous mes livres celui qui a été le plus difficile à écrire – il traitait d’un thème si étranger, si éloigné de ma vie affective que j’ai éprouvé un plaisir tout particulier à faire appel à mes ressources de “combinateur” pour le rendre réel », avoue-t-il. Il est à la fois le propre inquisiteur de sa narration et le jubilateur de son écriture. Si « Lolita » est respecté, adoubé, reconnu, il peut susciter l’effroi chez tous les prosélytes et harangueurs d’une morale extrémiste, confondant réel et imaginaire, clouant au pilori les défenseur-e-s du droit à disposer de leur corps, partisans d’autodafés. Dans  » Fahrenheit 451″, de François Truffaut, film adapté du roman d’anticipation dystopique de Ray Bradbury, des marginaux apprenaient ainsi par cœur des livres pour les sauver de l’oubli et de la destruction. Ils s’appelaient « les couvertures de livres ».

-Lolita de Vladimir Nabokov, traduit de l’anglais et préfacé par Maurice Couturier
Gallimard/Folio, 551 pages, 9,40 euros

Lire: Au grand lavoir -Sophie Daull. Une tragédie grecque à Nogent-le-Rotrou : https://www.weculte.com/litterature-2/au-grand-lavoir-sophie-daull-une-tragedie-grecque-a-nogent-le-rotrou/

 

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