miossec sort son 11ème album les rescapés

Deux ans après les ambiances folks de Mammifères, le chanteur brestois Miossec revient avec Les Rescapés. Un album pop émouvant et sensible où se mêlent espoir et pessimisme devant les maux de l’époque et l’urgence d’agir face au dérèglement climatique. Entretien avec un «survivant ».

Miossec: « Ce qui est terrifiant avec ce mot « rescapés », c’est qu’il y a l’idée qu’on s’en est sorti, avec à la fois l’apocalypse qui nous fonce droit dessus »

miossec portraitLes Rescapés, est un titre d’album à la fois triste et optimiste. Quel sens lui donnez-vous?

Miossec : C’est un mot qui nous questionne. Pouvoir prononcer « les rescapés », ça veut dire qu’on en fait partie. Ce qui est terrifiant avec ce mot « rescapés », c’est qu’il y a l’idée qu’on s’en est sorti, avec à la fois l’apocalypse qui nous fonce droit dessus. C’est assez étonnant. L’horizon, on ne peut pas dire qu’il soit rose.

C’est une manière de chanter l’urgence face au dérèglement climatique ?

Miossec : J’habite  à Locmaria-Plouzané (29), du coup je suis à côté de l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer) où j’ai sympathisé avec un chercheur du CNRS qui analyse les coquilles Saint-Jacques.  Cela permet de reconstituer toute la climatologie de ces  derniers siècles et de voir ce qui va nous arriver. Son verdict, c’est qu’il est déjà trop tard. Il enrage que toutes ses données ne fassent pas plus de bruit jusqu’à présent. Il voulait m’emmener à Saint-Pierre et Miquelon sur une campagne de plongée,  je n’y suis pas allé mais j’en voulu faire une chanson pour aider à sensibiliser.

Miossec : « Il n’y a que cela qui m’intéresse, d’essayer d’être juste par rapport à ce que je suis. »

Vous pensez qu’il est trop tard pour changer le cours des choses ?

Miossec : J’ai toujours été assez pessimiste. Il faudrait une révolte des gens d’en bas contre ceux d’en haut. Ce qui arrive, c’est à cause de l’emballement de l’économie. J’ai trouvé formidable la grande marche pour le climat qu’il y eu récemment à Paris. Cela fait du bien.

Vous-même, vous considérez-vous comme un survivant comme vous le chantez dans « Nous sommes » ?

Miossec : Dans le métier, professionnellement oui ! (rires). En 25 ans, j’ai connu beaucoup d’artistes qui ont dû arrêter de chanter. Il y a cette tristesse. Je connais des gens qui sont vraiment bons et qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts avec la musique.

Que voulez-vous signifier par « je voulais que derrière chaque son, on sente la chair, on sente l’os » ?

Miossec : Disons que je ne voulais pas que le disque soit fait par un ordinateur.  Les rares synthés qu’on utilise datent tous du début  des années 1970, où rien n’était programmable. Tout était fait à l’huile de coude. Le disque a été fait manuellement avec des êtres humains derrière, pas par des programmations et des ordinateurs.

Une manière d’être au plus près de la vérité des sentiments ?

Miossec : Il n’y a que cela qui m’intéresse, d’essayer d’être juste par rapport à ce que je suis. Il y a des moments dans ma discographie  où j’étais moins juste. C’est très douloureux quand on est à côté de la plaque. Pour cet album, j’ai fait toutes les parties guitares, ce qui m’a permis de ne pas faire œuvre de professionnalisme. Je voulais qu’il y ait une certaine naïveté dans le son.

Comment est née la chanson Les Infidèles ?

Miossec : En tournée, on est beaucoup dans les hôtels. Les infidèles, on les voit au petit déjeuner le matin. Cela m’a toujours étonné. Est-ce qu’ils sont capables d’avoir trois cerveaux et plusieurs vies en même temps ? (rires). C’est assez fascinant. Pour moi, c’est un peu des cosmonautes. Je me sens complètement incapable de ce genre de chose. Tout se lit sur mon visage, ce n’est même pas la peine ! (rires).

Quelle lecture faites-vous de la chanson Les gens (quand ils sont les uns dans les autres) ?

Miossec : Dans cette chanson je parle de faire l’amour en simulant. Cela me faisait rire d’une certaine façon, comment dans le couple, jusque dans l’acte de faire l’amour, on peut simuler également. Et  surtout comment les femmes doivent simuler pour faire plaisir aux hommes (rires).

Miossec : « J’ai un copain, Gildas Morvan, qui me fait barrer son bateau de course, de temps en temps. C’est juste démentiel. »

Vous dites de la mer « quand elle mord, c’est méchant ». Est-ce qu’il vous arrive d’en avoir peur ?

Miossec : La mer, c’est un drôle de truc. Mon père était plongeur sous-marin chez les pompiers de Brest. Il allait ramasser des corps. C’est aussi toute mon histoire familiale. Mon grand-père est mort à la guerre au large de l’Egypte. Le bateau a été torpillé,  il ne savait pas nager, il a coulé. Du coup, les familles des disparus en mer n’ont pas touché la pension. Ma grand-mère s’est retrouvée boniche dans un  village. Ma mère, pupille de la Nation, a rejoint l’arsenal de Brest à 18 ans. C’est non seulement le grand-père qui disparait mais le chaos qui arrive avec sa disparition. Aujourd’hui, il y un cénotaphe à la Pointe Saint-Mathieu près du Conquet (Finistère) où il y a la photo de mon grand-père. C’est très important pour ma mère. Elle n’a jamais pu nager dans l’Océan. Elle est effrayée quand elle met un pied dans l’eau.

Et vous, quel rapport entretenez-vous avec l’Océan ?

Miossec : J’ai un copain, Gildas Morvan, qui me fait barrer son bateau de course, de temps en temps. C’est juste démentiel. Quand on a été sur ces bateaux-là, ces fusées, c’est complètement inhumain, pour moi. Faire le tour du monde là-dedans, c’est incompréhensible. Il y a trois ans la tempête Zeus nous est tombée dessus, avec des vagues géantes. Les anciens de mon village n’avaient jamais vu ça. C’était vraiment les valkyries de vagues de 15-18 mètres qui arrivaient sous un grand ciel bleu. C’était d’une beauté terrifiante. J’ai pas mal de copains marins pécheurs qui vont au large de Ouessant où il y le Fromveur, le courant le plus puissant d’Europe. Ce sont des conditions de guerre. Cela fait partie de ces métiers qui sont au-delà de l’imagination.

Miossec: « Avec ma guitare je me sens moins couillon, chanteur éploré tout seul avec son pied de micro. J’ai l’impression de faire partie de la communauté des musiciens. »

Vous avez beaucoup tourné ces dernières années à travers la France. Que ressentez-vous de l’état d’esprit des gens que vous avez pu rencontrer?

Miossec : En 25 ans, tout a été bouleversé. On a pu voir des coins de France se casser la figure d’une façon absolument incroyable, avec la disparition des industries. Et une autre partie du pays, avec des grandes villes qui se portent de portent de mieux en mieux. Il y a un décalage monstrueux qu’on éprouve. Surtout, on ressent une montée du racisme qui est dingue. Les gens ne prennent plus de gants dans leur vocabulaire. Du coup, quand on est artiste, c’est là qu’on a un rôle à jouer, même le temps d’une soirée. On a la responsabilité de faire le meilleur concert possible, une obligation de ne pas massacrer un moment qui doit faire du bien.

miossec portraitComment vivez-vous la scène que vous évoquez notamment dans la chanson «Pour» ?

Miossec : On sera six-sept en tournée. C’est l’idée de fabriquer une communauté avec cette humanité qu’on se trimballe. Il y a une obligation que l’ambiance soit bonne. Ce n’est pas possible de reproduire ce qu’on reproche au monde du travail, les contremaitres, les gens qui gueulent et tout ce qu’on  déteste dans la société, dans notre petit groupe. On forme une famille.  On sera trois sur scène. Je vais jouer de la guitare durant tout le concert. Je deviens vraiment chanteur-guitariste sur le tard! (rires). J’ai commencé l’instrument à 14 ans, arrêté à 18 ans et repris à 30 ans. Et là, je m’y suis remis sérieusement depuis deux ans. Je me sens moins couillon, chanteur éploré tout seul avec son pied de micro. J’ai l’impression de faire partie de la communauté des musiciens, avec ma guitare, d’être dans la musique et de ne plus être simplement le chanteur et les musiciens derrière. Et si je me plante eh bien c’est de ma faute ! (rires).

Entretien réalisé par Victor Hache

Album Les Rescapés, Sony/Columbia. Tournée jusqu’au 9 avril. Festival Les Inrocks 21 novembre 2018 Gaité Lyrique 75003 Paris, 21 mars 2019 Salle Pleyel 75008 Paris.

LireMiossec : «Arrivé à 50 ans, on commence à compter…»: https://www.weculte.com/non-classe/francofolies-miossec-arrive-a-50-ans-on-commence-a-compter/ 

LireMiossec, regard tourné vers l’océan : https://www.weculte.com/non-classe/miossec-regard-tourne-vers-locean/

 

 

 

 

 

 

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