alain souchon âme fifties
Alain Souchon (c) Reporters/Abaca

Télé. « Culturebox L’Émission » diffuse ce soir le concert d’Alain Souchon au Dôme de Paris, de sa tournée « Ici & là ». L’occasion de (re)découvrir en live les chansons de son dernier opus «Âme fifties». Jonglant,  avec les mots, les rimes et les clins d’œil, l’artiste y livre des textes qui reflètent le monde d’aujourd’hui, écrit d’une plume malicieuse entre spleen et hédonisme. Un disque aux élégantes ballades pop-folk, sacré meilleurs album de l’année aux Victoires de la Musique 2020, dans lequel l’interprète de « Foule Sentimentale » pose un regard teinté de nostalgie sur les années 1950. A voir, mercredi 1er juin 2022 sur France 4 – 21:10.


Alain Souchon : « Avec les fifties, je découvrais le monde »


Onze ans après son dernier album « Ecoutez d’où ma peine vient », cinq ans après son album duo avec Laurent Voulzy, Alain Souchon revient avec l’exquis « Âme fifties ». Un album dans lequel ce tendre rêveur qu’est l’auteur de « Foule sentimentale » ou « J’ai dix ans« , pose un regard teinté de nostalgie sur les années 1950 qui l’ont vu grandir.

Un registre sensible aux élégantes ballades pop-folk, où l’on se promène de Lille (« Presque ») au Crotoy en passant par les ambiances de blues noir américain (« Ronsard Alabama »). Dix chansons où Souchon s’émeut de l’inégalité culturelle entre Paris et la banlieue (« Ici et là »), observe la France avec ses lumières mais aussi ses souffrances quand une usine est vendue  (« Un terrain en pente »).

Un brin mélancolique, il évoque le temps qui passe (« On s’ramène les cheveux ») sur un air de ragtime et fini en joyeuse fanfare avec la tourbillonnante « Ouvert la nuit ». Un disque qu’il a dévoilé lors de sa tournée « Ici & là », jouée à guichets fermés à travers la France et au Dôme de Paris. Un concert diffusé mercredi 1er juin 2022 sur « Cultureboxe l’Émission ». A voir sur France 4 – 21:10.

alain souchon âme fiftiesLes Fifties, que représentent-t-elles pour vous ?

Alain Souchon : C’est une photo de ce que j’ai vu quand je suis arrivé sur la terre. Les 4cv, Jean Gabin, la guerre d’Algérie, le film « A bout de Souffle » de Godard, qui est sorti un peu plus tard en 1961, avec cette scène extraordinaire que j’évoque dans « Âme fifties »  où Belmondo dit avant de mourir: « qu’est-ce que c’est dégueulasse… ». On est marqué par ses premières années, où on découvre le monde. On était mômes, mais on connaissait toutes les marques de bagnoles. Dans les années 1950, il n’y avait pas la télé, donc, on lisait le journal et les journaux illustrés, Paris Match, Paris Flirt, etc… et dedans il y avait Jeanne Moreau « la fatale » et plein de vedettes. A l’époque, le PCF était très fort. Il m’impressionnait par l’influence qu’il avait sur le monde littéraire, sur les gens qui avaient la parole. Automatiquement, on se mettait du côté des défavorisés. Il y avait cette générosité d’aider les gens qui ne vont pas bien et Aragon, une divinité pour moi. Je relis souvent la Rose et le Réséda « celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas »… Jean D’Ormesson, aristocrate, et tant d’autres… tout le monde l’admirait. Il faisait l’unanimité tellement c’était brillant.



Etes-vous nostalgique de cette époque ?

Alain Souchon : Non. Je pense que c’est mieux maintenant. On appelle ça « les Trente glorieuses », je n’aime pas cette expression. La France était entièrement détruite, alors il a fallu la reconstruire. « Les Trente glorieuses », ça veut dire qu’il faudrait une bonne guerre pour que ça marche, ça me dégoutte. Dire que les gens étaient plus heureux dans les années 1950, certainement pas. J’allais beaucoup à la campagne, je me souviens des cultivateurs avec leur charrue, qui se levaient à l’aube, après avoir donné à boire à leur cheval harnaché, c’était dur.

Dans « Un terrain en pente » vous parlez d’une usine que l’on vend et « des hommes qui pleurent devant ». Comment ressentez-vous la France d’aujourd’hui ?  

Alain Souchon : C’est touchant les gens qui sont atteints, comme ça. Ils sont depuis trente dans la même boîte,  ils ont leurs amis, ils travaillent, ont les paie tous les mois et d’un seul coup, on leur dit « c’est fini, vous vous démerdez ». Putain, c’est cruel ! Le monde du libéralisme est très dur, même s’il a apporté des progrès considérables. J’ai écrit sur les migrants, là aussi c’est tellement bouleversant. J’ai l’impression que le monde est plus violent.

Vous évoquez également le problème de l’inégalité culturelle entre Paris et sa banlieue…

Alain Souchon : Avec d’un côté des gens qui ont la chance d’être en prise avec la culture et de l’autre des gens au-delà du périphérique, qui n’ont pas cette chance et ne peuvent pas s’en sortir. C’est impressionnant. Il y avait une chanson de Maxime Le Forestier qui disait « est-ce que les gens naissent égaux en droit à l’endroit où ils naissent ? ». C’était bien tourné. A chaque fois que je passe sur le périph, je pense à ça. Il y a une coupure culturelle qui est terrible et émouvante. On se demande quoi faire ? Si on n’ait pas un peu drivé dans sa jeunesse, on n’a pas envie d’aller à l’école. J’ai la chance d’être né chez des gens qui adoraient la culture, je sais que c’est ça qui m’a porté.

Le mot « ennui » revient souvent dans vos chansons. Est-ce un moteur à la création ?

Alain Souchon : Sans doute. On en parle souvent avec Jean-Jacques Goldman. Il me dit « nous, on a été élevés à une époque où il n’y avait pas la télé, les jeux vidéo, les portables ». C’est vrai qu’on s’ennuyait. Moi, je me suis acheté une guitare rue de Rome sur laquelle je jouais trois accords, qui résonnaient incroyablement dans ma tête. C’est l’ennui qui nous a dirigés. C’était notre liberté d’être dans notre chambre, de chanter comme les artistes qu’on entendait sur nos petites radios, Bob Dylan ou Gilbert Bécaud…L’ennui, cela m’a donné envie de lire. J’ai beaucoup aimé « La légende des siècles » de Victor Hugo, j’étais en 5ème, j’avais 11 ans. Tout cela m’a orienté.

Vous continuez à être gourmand de mots, de poésie, de littérature ?

Alain Souchon : Je ne suis pas sensible à la littérature ultra moderne, qui n’a plus de rimes, de rythme, que j’adore. J’aime la poésie avec du flow, du souffle. C’est pour ça que les rappeurs ont cette rythmique des phrases. C’est chantant, ça vous emporte. Victor Hugo faisait ça, Louis Aragon aussi, c’était la folie.

Comment faites-vous pour vous régénérer?

Alain Souchon : Je regarde le monde, je regarde les filles comme elles sont jolies. Les couples, les amis autour de moi, je vois bien qu’avec le temps tout est râpé. Je suis impressionné par le temps qui passe, par la beauté des filles, le fait que quand vous avez 70 ans, elles vous regardent moins qu’à 35 ans ! (rires). C’est la jeunesse qui s’en va… Mais j’ai ce goût après de trouver des phrases qui m’amusent. Je les note sur des feuilles, que parfois je perds (rires).

Il y a aussi le blues  de la chanson « Ronsard Alabama ». Une forme musicale inhabituelle chez vous…

Alain Souchon: C’est une pâle imitation de ce que chantaient les noirs américains qui racontaient leur peine dans les champs de coton, avec des rythmes répétitifs. La poésie de Ronsard exprime des choses tellement définitives et simples « Jamais l’homme avant qu’il meurt ne demeure heureux parfaitement car toujours avec la liesse, la tristesse se mêle secrètement ». Tout est dit en trois secondes. Vous savez, j’ai été drivé dans ma toute ma petite carrière par Laurent Voulzy. Je l’admire. C’est un  maître en musique. Il joue des accords de passage, des subtilités harmoniques, des choses que je suis incapable de faire. Ce que je fais en musique est extrêmement basique. Je me dis, c’est mon genre, c’est comme ça tandis que Laurent, c’est une pointure. C’est une chance de l’avoir rencontré. En même temps, il est content aussi parce que j’ai fait presque tous ses textes et il est heureux de mon travail (rires). Ça crée une espèce de lien, qui nous ébloui. On a besoin de l’autre, comme dans un couple, sans sexe. Ça nous fascine. Là, il est parti en tournée, alors je n’ai fait qu’une chanson (« Irène ») avec lui. Après, j’ai travaillé avec mes enfants, Pierre et Charles (alias Ours), avec qui on avait créé Le Soldat Rose, un conte pour enfant, avec Edouard Baer (coauteur de la chanson « Presque ») qui racontait l’histoire. Tout cela nous a soudés. On était content de se retrouver et de travailler ensemble.

Entretien réalisé par Victor Hache

  • Album « Âme fifties »Parlophone/Warner.

 

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