john le carre retour de service
A 88 ans, John Le Carré publie "Retour de service" © Stephen Cornwell

Livre. Le maître du roman d’espionnage publie, à 88 ans, son vingt-cinquième roman. Avec « Retour de service », John le Carré signe un livre virevoltant d’intrigues, d’énigmes, de coups fourrés et tordus. Il y a du badminton et de l’espionnage. Et en prime, on a là le roman le plus étincelant, le plus décapant écrit par un Britannique sur le Brexit…

Particulièrement en verve à 88 ans, avec ce « Retour de service », John le Carré en profite pour balancer de sévères piques politiques. A travers ses personnages, son sujet de prédilection : le Brexit. Et c’est ainsi que John le Carré est grand. Toujours le plus grand…                                  

john le carre retour de serviceA peine plus de trois cents pages… Voilà, il n’en faut pas plus à John le Carré, Britannique de 88 ans, pour rappeler que, depuis près de soixante ans, il est le maître du roman d’espionnage. Il a commencé en 1961 avec « L’Appel du mort », a accédé à la gloire internationale deux ans plus tard avec « L’Espion qui venait du froid » et, en ce printemps 2020, nous arrive son vingt-cinquième roman, « Retour de service ». On a là le livre le plus étincelant, le plus décapant écrit par un Britannique sur le Brexit- tout en étant virevoltant d’intrigues, d’énigmes, de coups fourrés et tordus.

Ancien espion au service de Sa Majesté la reine d’Angleterre dans les années 1950- 1960, David John Moore Cornwell pour l’état-civil / John le Carré pour le monde de la littérature jongle avec bonheur dans les arcanes des bureaux et des légendes. Il y a, dans ce théâtre de l’ombre et de sombres, des personnages flamboyants, des ordinaires, des émouvants, des antipathiques. Et aussi, comme Nat (contraction d’Anatoly devenu Nathanaël) dans ce  » Retour de service », des personnages à l’approche de la cinquantaine et ne se berçant plus de grandes illusions.

En ouverture, on lit la confidence de Nat : « Notre rencontre n’a été arrangée par personne. Ni par moi, ni par Ed, ni par des manipulateurs en coulisse. Je n’avais pas été ciblé. Ed n’avait pas été téléguidé. Nous n’avions fait l’objet d’aucune surveillance, discrète ou visible. Il m’a lancé un défi sportif, je l’ai accepté, nous avons joué. Rien de calculé là-dedans, pas de conspiration, pas de collusion. Certains événements de ma vie (rares ces temps-ci, je le reconnais) sont univoques. Notre rencontre en fait partie. Mon récit n’a jamais varié au fil des nombreuses occasions où on m’a obligé à le répéter ».

A 47 ans, Nat est en fin de carrière- il a travaillé pour les services secrets britanniques surtout en Europe du nord ; retour à Londres, il aspire à une vie familiale douce et tranquille avec sa femme Prue et Steff, leur fille ado qui lui reproche ses trop nombreuses absences. Il fréquente assidûment, dans le sud-ouest londonien sur la rive de la Tamise, l’Athleticus Club de Battersea dont il est le secrétaire « à titre purement honorifique », précise-t-il. Là, il s’adonne à son sport favori : le badminton, qu’il pratique à un bon niveau- sa réputation de très bon joueur a même dépassé les murs du club. Un jour, se pointe Ed, à peine 30 ans, vif et bondissant. Ils vont se retrouver une quinzaine de fois pour échanger le volant…

Après chaque partie, ils boivent un verre, devisent et échangent sur tout et rien, sur la vie qui va- Nat n’a pas dit son job et Ed se présente chercheur. Un jour, la discussion file sur le terrain politique- Ed : « A mes yeux, pour la Grande-Bretagne comme pour l’Europe et la démocratie libérale dans le monde entier, le Brexit pendant l’ère Trump et la dépendance totale que la Grande-Bretagne va avoir envers les États-Unis, qui sont en train de plonger dans le racisme institutionnel et le néofascisme, c’est un méga boxon à tous points de vue ». Nat ne laisse rien paraître de ses réactions- c’est son « silence courtois », comme le définit sa femme Prue.

A la même époque, le patron du bureau de renseignement britannique propose à Nat de prendre la direction du Refuge, un sous-service du département Russie avec son lot d’agents doubles un peu has been et de possibles transfuges. Nat hésite, finalement accepte la proposition… Y a-t-il un lien avec l’apparition d’Ed, ce jeune homme en apparence bien sous tous rapports, dans le paysage de Nat, ce Nat qui confiera sa naïveté ? Par-dessus le filet, les deux badistes (joueurs de badminton) échangent le volant- un jour, Ed laisse surgir sa vraie nature et aussi son véritable métier : Nat est pris dans un processus infernal. Qui se révélera maléfique. Parviendra-t-il à en sortir ?

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John le Carré

Particulièrement en verve à 88 ans, avec ce « Retour de service », John le Carré en profite pour balancer de sévères piques politiques. A travers ses personnages, son sujet de prédilection : le Brexit, et une conviction qu’il laisse poindre : le rôle de la Russie en faveur des partisans du retrait britannique de l’Europe. Ce qui vaut quelques interventions et propos du meilleur effet- exemples : « Comment aurait-il pu prévoir que la Russie post-communiste, contre toute attente et tout espoir, émergerait comme une menace forte pour la démocratie libérale dans le monde entier ? » ou encore :  » Tu sais qui c’est, Trump ? (…) C’est le nettoyeur des chiottes de Poutine. Il fait tout ce que le petit Vlad ne peut pas faire lui-même. (…) Et vous les Britiches, vous faites quoi ? Vous lui taillez une pipe et vous l’invitez à prendre le thé avec votre reine ». Et c’est ainsi que John le Carré est grand. Toujours le plus grand…

Texte Serge Bressan

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John Le Carré © Stephen Cornwell

Cinq romans indispensables 

Avec « Retour de service », John le Carré publie son 25ème roman. Après une première vie dans l’espionnage, il est arrivé dans le monde de la littérature en 1961 avec un premier roman, « Call for the Dead » (en VF : « L’Appel du mort »). Par ailleurs, il a publié une pièce de théâtre (« Le Bout du voyage », 1970), un essai (« Une paix insoutenable », 1991) et ses mémoires (« Le Tunnel aux pigeons », 2016). Parmi ces 28 livres, revue de détails de cinq indispensables.

L’Espion qui venait du froid (1963) Troisième roman de John le Carré. Celui qui lui assure la reconnaissance du monde littéraire. La traduction française est signée Marcel Duhamel, le créateur de la Série Noire. Dans ce roman écrit en cinq semaines et vendu à 20 millions d’exemplaires dans le monde, l’auteur révolutionne le roman d’espionnage en mettant en scène, pendant la Guerre Froide, un agent britannique manipulé par les secrets du Royaume-Uni et de l’URSS pour détruire la crédibilité de certains membres de la hiérarchie des services secrets d’Allemagne de l’est afin de sauver un agent double en passe d’être démasqué. Le personnage principal : Alec Leamas, agent secret britannique de terrain, chargé de l’espionnage concernant l’Allemagne de l’Est ; il tombera amoureux de Liz Gold, libraire et membre du Parti Communiste britannique. Le roman est adapté au cinéma en 1965 par Martin Ritt, avec Richard Burton et Claire Bloom.

La Taupe (1976) Septième roman de John le Carré, et premier volume de la « Trilogie de Karla » (suivront « Comme un collégien » et « Les Gens de Smiley »). Dans les années 1970, des hauts fonctionnaires et ministres chargés des services secrets demandent à George Smiley, maître-espion mis à la retraite anticipée, de reprendre du service : ils ont désormais acquis la quasi-certitude que « le Cirque », un service secret britannique, a été pénétré au plus haut niveau par une « taupe »- un agent double soviétique. Smiley enquête alors sur une mission en Tchécoslovaquie qui a échoué et où l’agent britannique Prideaux a failli laisser la vie. Conséquence de cet échec : la disgrâce de Control, le directeur du Cirque. Le service est alors dirigé par Percy Alleline, Bill Haydon, Toby Esterhase et Roy Bland- tous suspects… Deux adaptations : une série télé en 7 épisodes (1979) et un film (2011) réalisé par Tomas Alfredson avec Gary Oldman et Colin Firth.

Les gens de Smiley (1980) Neuvième roman du romancier. Troisième tome de la « Trilogie de Karla ». A la retraite, l’agent secret George Smiley apprend la mort de son vieil ami et collègue, le général estonien Vladimir qui a été assassiné alors qu’il se rendait à un rendez-vous avec des agents du « Cirque » (le surnom du MI6). Le chef du service et le conseiller en intelligence du ministre demandent à Smiley d’enquêter sur le passé du général et les révélations qu’il se préparait à leur faire concernant l’agent secret soviétique Karla- vieil adversaire de Smiley. Celui-ci va interroger des proches du général (dont un jeune chargé de mission à Hambourg) et aussi quelques-uns de ses anciens amis, parmi lesquels l’un reconverti dans la vente d’art et l’autre ex-responsable de la Recherche au sein du « Cirque ». Il va poursuivre l’enquête en Allemagne où il trouve un complice du général, mort après avoir été torturé. Il sauve deux ressortissantes soviétiques qu’il aide à filer en Suisse…

La petite fille au tambour (1983) Dixième roman de l’auteur britannique qui délaisse son célèbre personnage, George Smiley. Là, il retrace les manipulations de Martin Kurtz, un maître espion israélien inspiré l’agent du Mossad, Rafael Eitan, célèbre pour avoir traqué puis capturé en 1960 le criminel de guerre nazi Adolf Eichmann. Dans les années 1980, Kurtz essaye d’assassiner un Palestinien appelé « Kahlil », auteur d’attentats à la bombe contre des cibles juives en Europe, et spécialement en Allemagne. Pour remplir sa mission, l’agent du Mossad appâte Charlie, une actrice de seconde zone, la manipule et la forme afin qu’elle se fasse passer pour la petite amie du frère mort de Khalil. Lequel ne devrait pas tarder à sortir de sa tanière… Deux adaptations : un film réalisé en 1984 par George Roy Hill avec Diane Keaton et Klaus Kinski, et une série télé (2018) mise en images par Park Chan-wook avec Alexander Skarsgard, Michael Shannon et Florence Pugh.

L’Héritage des espions (2018) Vingt-quatrième roman de John le Carré. En 1961, l’espion britannique Alec Leamas et son amie LizGold sont retrouvés morts au pied du mur de Berlin. Seize ans plus tard, Peter Guillam- le fidèle collègue de George Smiley au « Cirque », vit sa retraite en Bretagne. Il reçoit une lettre de son ancien employeur qui le convoque à Londres. La raison de cette convocation ? Pendant la Guerre Froide, Guillam a été un brillant agent… Et maintenant, la nouvelle génération en charge des services secrets britanniques enquête sur cette période des années 1960 durant laquelle des innocents ont été sacrifiés dans l’intérêt général. Chacun doit à présent répondre de ses actes. Un roman remarquablement maîtrisé en forme de puzzle géant, entre passé et présent qui rend également hommage à George Smiley, le héros indestructible de John le Carré. Pour l’écrivain britannique William Boyd, « un livre rare, implacable, profondément subtil, superbe ».

 

 

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