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"Le Jeu des ombres" © Pascal Victor / ArtComPress-Opale

Interview. Jean Bellorini, dramaturge et metteur en scène de théâtre, a pris la direction du TNP de Villeurbanne au printemps 2020. Depuis ses débuts en 2002, il a mis en scène de nombreuses pièces de théâtre et quelques opéras. Il a été récompensé par un Molière du meilleur metteur en scène en 2014, a été nommé directeur du Théâtre Gérard-Philippe de Saint Denis en 2013. En 2016 il était déjà programmé au 70ème festival d’Avignon avant d’y être à nouveau invité par Olivier Py en 2020. Il nous présente le travail qu’il a entrepris avec sa troupe sur « Le Jeu des Ombres » de Valère Novarina à l’affiche de la Semaine d’Art en Avignon qui va se dérouler du 23 au 31 octobre. Cela dans le plus grand respect des règles sanitaires et du couvre-feu qui s’imposent désormais dans le Vaucluse, avec un avancement de trois heures des horaires de toutes les représentations. 

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Jean Bellorini, dramaturge, metteur en scène et directeur du TNP de Villeurbanne

Quelles sont les conséquences pour le TNP du couvre-feu à Lyon et Villeurbanne ?

Jean Bellorini: Les conséquences sont très concrètes et désespérantes. Il va falloir qu’on imagine des alternatives. Dans un premier temps nous allons modifier les horaires quand les spectacles le permettent et envisager des programmations le week-end en journée.

Quelle a été la genèse du spectacle « Le Jeu des Ombres » que vous présentez à la Semaine d’art en Avignon en octobre et au TNP en janvier prochain ?

Jean Bellorini: Le Festival d’Avignon m’a proposé de créer un spectacle qui serait présenté dans la Cour d’Honneur en ouverture du festival 2020. Tout est parti de cet espace, cet endroit mythique dans lequel je me suis tout de suite projeté. J’avais prévu dès le départ qu’il y aurait beaucoup de musique. Je me suis dit aussi qu’il était important de travailler avec les acteurs fidèles qui avaient participé à mes précédents spectacles et aux aventures que j’avais pu avoir avec le Berliner Ensemble ou à l’Opéra. Je ne voulais pas avoir à faire une distribution avec un texte préexistant et j’ai donc demandé à Valère Novarina d’écrire pour un nombre d’acteurs précis correspondant à ceux que j’avais retenus. Novarina a écrit sans tenir comte de ces acteurs qu’il ne connaissait pas. Au départ il y avait donc un espace et une troupe. Ensuite est venue l’envie de travailler avec Valère, que j’avais monté lors d’un de mes tout premiers spectacles. J’étais aussi heureux d’arriver au TNP avec le  spectacle d’un auteur vivant, un poète du XXIème siècle.

Pendant l’écriture du spectacle y a-t-il eu des interactions entre vous et votre troupe d’une part, Valère Novarina de l’autre ?

Jean Bellorini: J’ai rencontré Valère plusieurs fois avant l’écriture même. Il a ensuite écrit entièrement un texte qu’il nous a proposé, très grand, très large, très généreux. Les acteurs et moi-même y avons puisé en toute liberté avec son accord. Je lui avais précisé dès le départ que j’allais mettre son texte en relation avec l’Orfeo de Monteverdi et qu’il serait donc nécessaire de nous le réapproprier. Cette réappropriation est née avec les acteurs qui ont choisi les passages qui leur faisait écho le plus fortement. On a donc pris des morceaux de son texte qu’on lui a proposés. Puis il a réécris sa version intégrale en incluant parfois des modifications qu’on lui avait proposées. Le texte est maintenant édité dans sa version large et intégrale mais plein de résonnances sont nées du spectacle et du plateau, de façon peut-être inconsciente, grâce à tous les allers-retours qu’on a eu avec lui. Cette dernière version ressemble beaucoup plus au spectacle que ça n’était le cas au début avec la première version de janvier 2020. Cela a été possible parce qu’il y avait entre nous beaucoup d’écoute et une grande confiance.

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Photo. Christophe Reynaud De LAGE

Lors de votre présentation du « Jeu des ombres », vous avez dit qu’il ne faut pas chercher à vouloir tout comprendre dans ce spectacle, mais qu’il fallait se laisser emporter par le langage de Novarina. Que voulez-vous dire ?

Jean Bellorini: Avec cette crise sanitaire on est dans un moment très particulier et je ne sais pas ce qu’on a envie d’entendre au théâtre aujourd’hui. Quand on réussi de façon presque résistante à se retrouver avec nombre d’êtres humains, je n’ai pas envie de donner de leçon, d’avoir une morale. J’aime me dire en ce moment qu’on pourrait seulement écouter de la musique ensemble et partager des émotions. Au fond la langue de Valère pourrait être comme une grande symphonie ou une fugue. Elle provoque l’imaginaire et permet de partager nos imaginaires de la même manière que pourrait le faire une musique sans paroles. Evidemment il y a cette langue fulgurante de Novarina qui évoque pour chacun d’entre nous des souvenirs. Une image peut résonner chez un spectateur et pas chez l’autre. C’est important de s’adresser intimement à chacun et différemment à tous. Je ne cherche pas à rallier une communauté dans un propos empreint de certitudes et de volontés claires parce qu’il y a aujourd’hui trop d’incertitudes. Le théâtre existe depuis des millénaires et perdurera, même si on doit en ce moment adapter nos horaires, car on a besoin de se raconter les uns, les autres. Le spectacle serait comme un souvenir de ce que l’on est, un rappel de soi-même et des vies de chacun et un moment partagé avec la force de la musique. Et bien sûr ce mythe d’Orphée avec cette question de l’amour et de l’engagement et de la perte de l’être aimé. Tout cela résonne aujourd’hui avec ce quon vit. Mais je suis content de rester dans une forme de déraison.

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Crédit. Christophe Reynaud De LAGE

Comment ce mythe d’Orphée résonne-t-il dans le contexte de la pandémie ?

Jean Bellorini: Pourquoi Orphée se retourne alors qu’il sait qu’il pourrait avoir confiance et qu’on lui a demandé de ne pas le faire. Il est sur le point de réussir et de remonter sur terre et au dernier moment il se retourne. Il y a évidemment des milliers d’explications possibles. Quand on a commencé le travail c’était exactement au début de la pandémie. J’ai trouvé scandaleux qu’on ait pu empêcher le déroulement de certains enterrements ou certaines visites dans les EHPAD, toutes ces choses qui remettent en question la raison même de vivre. Il fallait que ce spectacle puisse dire que vivre, vivre complètement, c’est prendre le risque de mourir. Au fond, pour Orphée, cette nécessité de se retourner, n’est-ce pas un acte de passion, un acte supérieur à une position sanitaire prudente et responsable mais qui se coupe de la passion. C’est ce qu’on s’est raconté de ce mythe aujourd’hui avec ce qu’on a vécu. La pièce ne le dit pas clairement et ça n’est pas la seule explication possible, mais je l’ai entendu très fort de cette façon là. Ce spectacle parle d’amour et de désir, et quand Orphée se retourne, Eurydice disparaît finalement pour une forme d’éternité…

Entretien réalisé par Yves Le Pape

« Une Semaine d’art en Avignon » du 23 au 31 octobre 2020. Toutes les infos: https://festival-avignon.com/

semaine d'art avignon 2020Une semaine d’art en Avignon

A la suite de l’annulation du Festival d’Avignon 2020, Olivier Py, son directeur, a décidé de mettre en place la Semaine d’Art en Avignon qui aura lieu du 23 au 31 octobre. Certains spectacles déprogrammés en juillet sont programmés à Avignon pendant cette semaine et tout particulièrement « Le Jeu des Ombres » de Valère Novarina qui devait être présenté dans la Cour d’Honneur en juillet. De nombreuses rencontres et animations seront organisées pendant cette semaine et les théâtres indépendants ont mis sur pieds une sorte de Festival Off sous le nom d »Indépendance(s) ! Une belle ambiance de festival qui a avancé de trois heures toutes les représentations afin de tenir compte des nouvelles règles sanitaires et du couvre-feu applicables dans le Vaucluse.

 

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