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La navigatrice Anne Quéméré : "Quand on met un pied dans l'Arctique, on se fait happer par quelque chose qui nous dépasse" Photo (DR).

La première édition du festival éco-responsable La P’Art belle, qui s’est déroulée le 10 août au château de Kerlevenan à Sarzeau (Morbihan) avait pour invitée d’honneur la navigatrice Anne Quéméré, marraine de l’événement. Une belle occasion pour We Culte d’aller à la rencontre de cette exploratrice et sportive de l’extrême, qui a traversé plusieurs fois l’Atlantique à la rame et en kiteboat en solitaire sans assistance et exploré en kayak et en bateau solaire le passage du Nord-Ouest, en Arctique.

Anne Quéméré : «  L’Arctique, c’est beau, c’est âpre, c’est vrai. On ne peut pas tricher. J’aime cette espèce de vérité, pour moi, presque absolue »

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Le domaine du château de Kerlevenan à Sarzeau (Morbihan) où se déroule le festival La P’Art Belle. Photo La P’Art Belle

Né à l’initiative de Louise Robert, sa jeune directrice, le festival éco-responsable La P’Art belle s’est fixé comme objectif de conjuguer culture et sensibilisation des publics à l’environnement. La première édition qui a eu lieu le 10 août au domaine du château de Kerlevenan à Sarzeau (Presqu’île de Rhuys, Morbihan) s’est déroulée dans une atmosphère bon enfant entre table ronde sur le réchauffement climatique, musique, pique-nique et rencontres inspirantes. A l’image d’Anne Quéméré, marraine de l’événement.

A l’origine de plusieurs traversées de l’Atlantique à la rame et en kiteboat, la navigatrice bretonne Anne Quéméré a longtemps voulu résister à l’appel de la mer, où elle appris à naviguer en famille  entre l’archipel des Glénans, les îles de Groix, Belle-Île, Houat ou Hœdic. Dans les années 1990, elle est partie pour les Etats-Unis où elle a travaillé dans le tourisme. Mais très vite elle est revenue à ses premières amours maritimes, poussée par l’envie d’aventure et de découvertes de contrées lointaines. Elle a beaucoup navigué dans le grand nord canadien, jusque dans l’Arctique et le passage du Nord-Ouest, où elle s’est retrouvée coincée par les glaces à bord de son bateau solaire « Icade » pendant cinq jours. Une expérience qu’elle raconte dans son documentaire « Passagère de l’Arctique« , dont la diffusion au festival La P’art Belle a connu un grand succès. On y a vu également ses photos réalisées durant ses expéditions en Arctique, une exposition que l’on pourra découvrir dans le parc du château durant tout l’été. L’occasion d’échanger avec l’exploratrice, navigatrice de l’extrême qui s’apprête à repartir dans le Yukon pour y tourner un documentaire sur la fonte des glaces et la montée des eaux et dont le prochain livre « Attraper les nuages » sortira cet automne chez Locus Solus.

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Anne Quéméré. Photo David Cormier

Marraine de la première édition de la P’Art belle. Qu’est-ce qui vous a séduit dans la démarche de ce festival éco-responsable ?

Anne Quéméré : Les gens de conviction, cela me parle. Louise Robert, la fondatrice du festival est une femme très déterminée. Elle fait les choses tout en douceur mais, on sent que quand elle a envie de quelque chose, elle ira jusqu’au bout pour l’avoir. Je me suis souvenue de ma première traversée de l’Atlantique en 2001. J’avais un bateau et besoin d’un parrain ou d’une marraine. On n’a pas d’argument puisqu’on n’a pas d’expérience. On arrive très humblement en expliquant que c’est une première aventure et il faut convaincre pour qu’on nous aide. Quand Louise m’a appelée, il y a eu cette image-là. Une première édition de festival, ce n’est pas évident. Il faut faire ses preuves. Cela m’a intéressée. Elle m’a expliqué sa démarche, pourquoi elle voulait mettre en place cet événement, son parcours. Il y avait déjà une construction qui me paraissait réfléchie. C’est comme cela que ça s’est concrétisé avec l’idée de créer quelque chose.

On peut voir dans le parc une exposition de photos qui témoignent de vos différentes expéditions. Quand les avez-vous réalisées ? (1)

Anne Quéméré : Ce sont des photos qui ont été prises durant mes différentes expéditions et mes séjours à Tucktoyaktuck (village Inuvialuit situé au nord des Territoires arctiques du Nord-Ouest au Canada). J’ai y fait souvent escale et j’y vais maintenant chaque année. C’est un lieu étonnant où je laisse à chaque fois un bout de mon cœur. Je me suis attachée aux gens. Dans mon livre « L’Homme qui parle juste« , j’ai  raconté l’histoire du père Le Meur, prêtre oblat originaire de Saint-Jean-du-Doigt du côté de Morlaix (Finistère nord). Il a vécu et est enterré à Tucktoyaktuck. A travers ce qu’il a pu laisser, cela m’a permis de mieux comprendre la vie d’avant et d’aujourd’hui. Les photos, je les ai prises parce que les lumières sont incroyables, le lieu est inhabituel. On y voit deux saisons, l’été et l’hiver, le caribou, un animal emblématique qui reste très proche des Inuits ou le Pingo, cette colline de glace recouverte de terre. Il culmine à  50 mètres mais comme tout est plat, on a l’impression que c’est notre Everest ! (rires).

anne quéméréQue voulez-vous montrer à travers ces photographies ?

Anne Quéméré : Au départ, c’était pour le plaisir. Quand je suis arrivée dans la région, je n’avais absolument pas conscience du danger et de l’érosion qui est galopante. J’ai rencontré des scientifiques canadiens, américains là-bas qui m’ont appris  beaucoup de choses sur l’Arctique. Il faut que la science vulgarise tout ça pour qu’ on comprenne, qu’on agisse par la suite. Je me suis dit qu’il était intéressant de mémoriser tous ces lieux qui sont en train de disparaître.

Qu’avez-vous constaté précisément ?

Anne Quéméré : Là-haut, l’érosion est phénoménale. Le permafrost fond évidemment. Comme on est sur de la toundra, le sol est meuble et quand on navigue, on voit des pans entiers de côte qui s’effondrent régulièrement chaque année. Ça se passe au moment de la débâcle, quand les glaces s’ouvrent. Au printemps, il y a des tempêtes violentes, qu’il n’y avait pas auparavant. Elles  balancent des blocs de glace conséquents contre la côte, qui du coup s’érode fortement.

anne quemere fin regne des glaces

Comment les populations locales vivent ces phénomènes ?

Anne Quéméré : Nous, on parle de climat, eux parlent d’humains. Ils sont directement touchés. Les gens, dont l’eau arrive au ras des maisons vont être déplacés dans des villes parfois, qui sont éloignées (Edmonton, Yelloknife, whitehorse…) alors que ce ne sont pas des citadins. Une amie qui vit à Tucktoyaktuck me parlait du cimetière qui est en danger parce qu’il est directement sur la mer et me disait « que va-ton faire de nos morts ?« . »

Comment peut-on agir?

Anne Quéméré : Les photos c’est très bien, mais ce qui m’intéresse maintenant, c’est  d’aller tourner là-haut parce qu’il y a une vraie urgence. On est parti probablement pour 2020 sur une série documentaire pour rendre compte de cette montée des eaux et de l’impact que cela va avoir. On sait que les deux tiers de la population mondiale se retrouve à moins de 50 kilomètres du littoral. Cela va toucher énormément de personnes. Il ne faut pas noircir le tableau, il y a des solutions, mais cela veut dire qu’il va falloir prendre ces phénomènes en compte rapidement. Et qu’on arrête de mettre la tête dans le sable.

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Anne Quéméré coincée dans les glaces sur son bateau solaire Icade

Vous avez tenté de traverser le passage du Nord-Ouest à bord de votre bateau solaire « Icade », où vous avez été bloquée par les glaces. Comment avez-vous vécue cette expérience ?

Anne Quéméré : J’avais eu deux voyages à mon actif dans cette région, ce qui fait que j’avais l’impression de venir en terre connue. Je  me suis retrouvée prisonnière des glaces pendant cinq jours, enfermée dans une baie. Cela a été une expérience extrêmement enrichissante. Avec cet engin solaire, j’ai fait un peu plus de 800 kilomètres, c’était génial. Je l’avais déjà fait en kayak, où j’avais souffert physiquement. Là, j’avais presque l’impression d’être en vacances, même s’il faisait particulièrement froid. Le bateau produisait de  l’énergie solaire qui me permettait d’avancer. Il y avait d’un côté la puissance de la technologie et de l’autre cette leçon de vie que seule la nature peut nous apporter. Que ce soit en montagne, en forêt ou en mer, elle vous rappelle toujours à quel point vous êtes tout petit.

Qu’est-ce qui vous attire particulièrement dans l’Arctique ?

Anne Quéméré : Quand on a mis un pied là-haut, soit on déteste, soit on se fait happer par quelque chose qui nous dépasse. L’Arctique, c’est beau, c’est âpre, c’est vrai. On ne peut pas tricher. Les gens, s’ils sont là, c’est qu’ils ont appris à composer avec cette âpreté et donc, on ne peut avoir que des personnes entières devant nous. J’aime cette espèce de vérité, pour moi, presque absolue.

Etes-vous parvenue à composer avec le sentiment de solitude?

Anne Quéméré : Quand je vais là-bas, ce n’est pas une solitude qui m’est imposée. C’est très différent de quelqu’un qui vit seul parce que tout le monde lui a tourné le dos. Je sais que ça va s’arrêter. On est dans le moment présent tout le temps. C’est une espèce de satisfaction et un bien être assez étonnant. Je suis déjà un peu isolée, vivant dans le cap Sizun (Finistère) où il n’y pas foule. Je crois que c’est un privilège à notre époque.

Vous avez cette chance de voir des paysages extraordinaires. Quel message auriez-vous envie de transmettre à un jeune qui rêverait de voyages extrêmes ?

Anne Quéméré : Je dirais qu’il faut aller vers l’autre. Je me rends compte que tout le chemin de vie que j’ai pu faire, je l’ai réalisé grâce aux rencontres que j’ai pu faire, à des gens qui m’ont inspirée. Aujourd’hui, on est à l’ère de la communication, mais finalement on ne se parle plus parce qu’on est tous connectés à notre téléphone portable, à imaginer une vie meilleure. Mais cette vie, elle se construit au quotidien grâce aux échanges qu’on peut avoir avec l’autre. C’est primordial. Ce n’est pas en restant chez soi que les choses arrivent. Il faut sortir, rester ouvert, avoir des antennes, se laisser emmener par un pays inconnu, une culture, une rencontre.

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Anne Quéméré: « Je ne sais pas pourquoi cela m’est arrivé, mais en tout cas, je suis exactement là où j’ai envie d’être »

Vous allez également bientôt sortir un livre…

Anne Quéméré : Tout à fait. C’est un  projet de livre qui sortira cet automne chez Locus Solus, une maison d’édition bretonne, qui s’appellera « Attraper les nuages« .(2) Il y aura beaucoup de photos de l’Arctique et des textes que j’ai écrits. Un ouvrage dans lequel je vais raconter un peu mon parcours, dire qu’on n’est pas des héros, des surhommes ou des « surfemmes ». On utilise toujours des superlatifs alors que moi je suis madame tout le monde. J’ai juste envie de mener une vie qui m’emmène dans des endroits étonnants et me rend heureuse. Je ne sais pas pourquoi cela m’est arrivé, mais en tout cas, je suis exactement là où j’ai envie d’être.

Entretien réalisé par Victor Hache

(1) Exposition de photographies d’Anne Quéméré + photos de l’association Ar’Images (La Roche-Bernard) visible durant tout l’été – Parc du château de Kerlevenan, domaine de Kerlevenan – Sarzeau (Morbihan – 56)

(2)Anne Quéméré présentera en avant-première son livre « Attraper la nuages » (Edition Locus Solus) au festival Livre & Mer de Concarneau, dont elle sera la Présidente d’Honneur du 8 au 11 novembre 219.

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