ivan morozov
Le collectionneur Ivan Morozov devant une toile de Matisse, peint par Valentin Serov. Photo (DR)

Livre. Au début du 20ème siècle, deux frères russes et héritiers d’une entreprise textile sont passionnés par l’art. Ils constituent une importante collection d’œuvres d’artistes français et russes. Une grande saga racontée dans une biographie de Natalia Semenova et titrée simplement « Les Frères Morozov. Collectionneurs et mécènes ».


 « Les Frères Morozov. Collectionneurs et mécènes », leur formidable histoire en forme de saga est toute déroulée dans une biographie impeccable écrite par Natalia Semenova, historienne de l’art, une des meilleures spécialistes de la peinture russe et française des 19ème et 20ème siècles


ivan morozov

Le collectionneur Ivan Morozov devant une toile de Matisse, peint par Valentin Serov. Photo (DR)Dans les premières années du 20ème siècle, un hôtel particulier à Moscou. Le maître des lieux tapisse les murs de toutes les pièces de tableaux qu’il vient acheter à Paris. Sur chacun de ces murs, des espaces vides : le propriétaire laisse volontairement des places pour ses prochaines acquisitions qu’il a définies très précisément, et a même baptisé une pièce la « salle Cézanne ». Il s’appelle Ivan Abramovitch Morozov, il est né à Moscou le 27 novembre 1871, homme d’affaires et héritier d’une famille d’entrepreneurs. On sait aussi que, comme toute sa famille, il est « vieux-croyant » (partisan des vieux rites de l’Eglise orthodoxe russe)… et surtout qu’il a été, avec son aîné Mikhail, un incroyable collectionneur d’art. Leur formidable histoire en forme de saga est toute déroulée dans une biographie impeccable simplement titrée « Les Frères Morozov. Collectionneurs et mécènes » et écrite par Natalia Semenova, historienne de l’art, une des meilleures spécialistes de la peinture russe et française des 19ème et 20ème siècles et auteure d’une autre bio graphie très remarquée, « Chtchoukine. Le patron de l’art moderne ».

Pour conter la saga des frères Morozov, Natalia Semenova a glissé en ouverture de son livre une citation de Vladimir Riabouchinski : « Tout homme valeureux a en dehors de son métier un objet auquel il s’adonne en amateur avec passion jusqu’à devenir parfois le centre de sa vie ». Ce qui peut donner de magnifiques histoires de passion et d’amour- pour l’art, par exemples, dans le cas d’Ivan et Mikhail Morozov. Une histoire avec des personnes qui n’ont jamais manqué, les descendants des deux frères ayant appartenu à la première guilde des marchands, dans la Russie tsariste.



Avec leurs enfants, audacieux et créatifs, ils se sont lancés dans l’industrie textile et y ont fait fortune. On lit : « L’arbre généalogique des Morozov commence par Savva Premier dont le petit-fils, Savva Deux, portant lui aussi le nom de Savva Timoféevitch Morozov, finançait le Théâtre d’art de Moscou et les bolcheviks », et aussi : « L’histoire de l’ascension des Morozov vers l’Olympe des marchands d’art est faite de tant de mythes et légendes dès la fin du 19ème siècle qu’il est pratiquement impossible de distinguer le vrai du faux. Les représentants du puissant clan ne s’intéressaient nullement à l’origine de leur lignée et se refusaient catégoriquement  à parler de leur ancêtre. Ils vivaient dans des hôtels particuliers luxueux, dépensaient des sommes folles  à toutes sortes de caprices et se refusaient farouchement à évoquer le fondateur de la glorieuse dynastie des Morozov… »

ivan et mikhail morozov
Ivan et Mikhail-Morozov

Ainsi, d’Ivan Morozov, quasiment aucune trace d’entretien dans la presse si ce n’est celui avec Félix Fénéon en 1920 qui ouvre la biographie de Natalia Semenova, seulement dans ses archives les factures de ses achats de tableaux. Quant à l’aîné Mikhail (né le 7 août 1870 et mort le 12 octobre 1903 à Moscou), pas plus de traces- si ce n’est qu’il a été, lui aussi, collectionneur et mécène dépensant allègrement sa fortune dans toutes sortes de caprices et autres plaisirs de la vie, et l’époux de la mécène et mémorialiste Margarita Morozova…



En préface, Natalia Semenova rappelle : « La Russie du début du 20ème siècle a donné au monde deux éminents collectionneurs d’œuvres d’art contemporaines, Sergueï Chtchoukine et Ivan Morozov. (…) Si bizarre que cela paraisse, il n’y avait à cette époque ni en Europe ni en Amérique de collectionneurs rassemblant systématiquement les œuvres de la nouvelle peinture française ». Certes, Leo et Gertrude Stein faisaient figure de  » concurrents » mais ils n’avaient pas la puissance financière des deux Moscovites.

Ainsi, en duo avec son frère Mikhail jusqu’à sa mort à 33 ans en 1930 puis en solo, Ivan Morozov vient en France, à Paris, achète encore et encore les toiles emblématiques des mouvements impressionniste, post-impressionniste, fauve et moderne français, et aussi les artistes émergents de l’avant-garde russe… Les Soviets accédant au pouvoir, Ivan Morozov va émigrer- en 1913, sa collection a acquis une renommée mondiale, il y avait des Cézanne, des Van Gogh, des Renoir, des Picasso, des Matisse, des Derain… Des chefs-d’œuvre que les Soviets qu’on a soupçonnés de se tailler des bottes dans les toiles de Rembrandt exposées au Musée de l’Ermitage, ont, sur un décret de Lénine en 1918, confisqués et nationalisés.



Aujourd’hui, au Musée des Beaux-Arts Pouchkine à Moscou, on admire des pièces de la collection Morozov, parmi lesquelles « Les Baigneurs »,« Nature morte aux pêches et aux poires » et « L’Homme à la pipe « de Cézanne, « La Gelée à Louveciennes » de Sisley, « Paysage d’Auvers après la pluie » de Van Gogh ou encore « La Rêverie, portrait de Jeanne Samary » de Renoir.

Au Musée de l’Ermitage de Saint-Petersbourg, d’autres pièces de la collections des deux frères, telles « Portrait de Jeanne Samary en pied » de Renoir, « Etang à Montgeron » de Monet ou encore « Nature morte au rideau » de Cézanne… Remarque de Natalia Semenova : « Ivan Morozov mourut à l’été 1921 à Carlsbad où il était venu se soigner. Son cœur a lâché. Il était à la veille de fêter ses cinquante ans. Sa femme et sa fille avaient l’intention de transférer son corps à Paris, mais il y eut un empêchement et Ivan Abramovitch fut enterré dans le cimetière local. Avec les années, le marbre noircit et l’inscription russe devint difficile à lire « 

livre les freres morozov

Serge Bressan

  • Lire : « Les Frères Morozov. Collectionneurs et mécènes » de Natalia Semenova. Traduit par Michèle Kahn. Actes Sud, 320 pages, 22,80 €.
  • Voir : « Icônes de l’art moderne. La collection Morozov » à la Fondation Louis-Vuitton, Paris du 24 février au 25 juillet 2021. Présentée pour la première fois hors de Russie,  » La Collection Morozov » rassemble plus de 200 œuvres majeures de Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Renoir, Monet, Bonnard, Denis, Matisse, Derain et Picasso aux côtés d’artistes emblématiques de l’avant-garde russe tels que Vroubel, Chagall, Malevitch, Repine,  Larionov, Serov.

EXTRAIT

« Ivan Morozov rêvait d’être peintre et pas directeur-gérant d’une fabrique. Même lorsqu’il étudiait à Zurich pour devenir chimiste, il allait dessiner avec les étudiants en architecture et le dimanche, il peignait des paysages à l’huile sur le motif. (…) Le portrait de Morozov par Korovine dépeint avec justesse l’aspect de cet homme toujours enjoué, animé, les yeux pleins de bonté dans un visage poupin et rubicond entouré de cheveux châtains avec une petite barbe. »


 

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