marlon brando
Photo - Universal Pictures Germany

Approche intimiste mais sans artifice d’un homme nu au crépuscule de sa vie, le roman « Les derniers jours de Marlon Brando » du critique de cinéma Samuel Blumenfeld, nous fait tanguer entre réalité et fiction.

« Les derniers jours de Marlon Brando » est  l’histoire d’une rencontre singulière. Car cette ode à l’acteur génial dresse aussi un portrait sans fard de ses failles, donne à voir un homme-monstre, en ce qu’il attire autant qu’il révulse et ferait immédiatement fuir à peine approché

Paru chez Stock fin août « Les derniers jours de Marlon Brando » de Samuel Blumenfeld, est un roman qui fait durer la fin et qui par sa puissance narrative prolonge encore de quelques jours la vie de cet homme que la fiction aurait elle-même pu imaginer. Cet  homme entamé par la vieillesse et usé par ses excès, tyran domestique qui a éperdument besoin du regard de l’autre pour continuer à respirer. Car de souffle il est souvent fait référence, cette insuffisance respiratoire, comme une insuffisance à être au monde.

roman les derniers jours de marlon brandoOn entre dans ce roman comme le narrateur au 12900 Mulholland Drive sur les collines d’Hollywood, à pas feutrés, en suivant l’allée principale sans trop savoir vers qui elle mène, le jeu s’engage derrière la fausse simplicité de la rencontre avec un survivant qui attend la mort et cherche à l’apprivoiser.

Le livre est construit en deux temps, les premiers jours : ceux de la rencontre puis les derniers jours. Il est déroutant parce qu’il porte au pinacle une gloire déchue, mais que l’admiration est teintée d’une lucidité cruelle sur les affres, défauts, excès de mégalomanie du personnage. Les inconditionnels de Marlon Brando sont prévenus, ce n’est pas une biographie, encore moins une hagiographie, mais bien l’histoire d’ une rencontre singulière. Car cette ode à l’acteur génial dresse aussi un portrait sans fard de ses failles, donne à voir un homme-monstre, en ce qu’il attire autant qu’il révulse et ferait immédiatement fuir à peine approché.

Comme Truman Capote avant lui, seul journaliste à être entré, mais lui par ruse, dans l’intimité de Marlon Brando, l’auteur ne nous épargne rien de ce désastre intime, il est comme il écrit « le chroniqueur circonstanciel d’une fin annoncée« . Récit très documenté, il interroge néanmoins immédiatement sur la véracité de cette rencontre. Le doute s’insinue. Cette rencontre est-t-elle réalité ou fiction ? La question demeure mais on la laisse de côté tout à la fascination qu’exerce immanquablement Marlon Brando sur celui qui le côtoie. C’est la fille de Brando, Rebecca, qui donne au narrateur accès à son père pour la débarrasser de celui qui a perdu de sa grandeur, après l’avoir tant encombré. Ce n’est ni un piège, ni un cadeau, juste « un sale boulot de l’accompagner vers la mort« .

Le narrateur saisit cette chance et on le suit auprès de l’homme. On revoit avec lui Sur les quais d’Elia Kazan, on frôle son réfrigérateur cadenassé pour éviter qu’il ne le pille et on découvre que Brando aimait autant sa bibliothèque où se côtoyait les œuvres de Shakespeare ou des manuels comme celui intitulé « Comment élever un rottweiler » ! On perce un peu de ce mystère de l’homme, de la folie de ses obsessions, de ses lubies et de  » son intelligence létale » comme l’écrit l’auteur. Samuel Blumenfeld aurait pu intitulé le livre « Mentir pour vivre ». Allusion à ce moment d’anthologie : le visionnage de la masterclass de Brando, où il donne un cours  » Lying for living », à des acteurs en herbe dont certains sont devenus des stars, où le sublime le dispute au ridicule, engoncé dans ses kilos, travesti en femme, il hurle à ses interlocuteurs médusés, sa leçon.

marlon brandoCar si c’est un roman de vie et de mort c’est aussi une formidable réflexion sur ce qui n’est pas un métier mais une seconde nature, celle d’acteur. Quelle est la part d’imaginaire, de vécu ? Pourquoi écrire sur cette déchéance? Pour décon struire le mythe ? En cela, le livre est troublant, surtout quand le narrateur prétend « je me promis à cet instant de ne jamais écrire sur cette rencontre » et s’éclipse? pour mieux revenir. Deux ans après la première visite, il retourne dans cette villa, chargé par Brando d’inventorier ses souvenirs et de retrouver celle qui est le fil rouge des derniers jours, la cape de Superman… « Au lieu de mourir du jour au lendemain, Brando avait choisi de progressivement disparaître. De goûter la mort, pour la côtoyer au lieu de brutalement l’embrasser ».

Le seul moment où Brando apparaît dans sa splendeur est lorsqu’il se souvient de la manière dont il évoque la relation à son père dans le film de Bernardo Bertolucci « Dernier tango à Paris ». Tout le reste donne de lui une description terrible d’un homme doué pour le bonheur mais privé de cette capacité par un tour du destin: « partager sa solitude n’était pas un privilège mais une malédiction ».

Marlon Brando meurt le 1er juillet 2004 à Los Angeles. L’épilogue du roman qui pourrait se résumer par « le Roi est mort , vive le Roi ! » noue encore cette ambiguïté qui traverse le livre et nous mène à la recherche de la vérité. A la toute dernière ligne, Samuel Blumenfeld écrit « ce livre est une création de l’esprit, où il m’est apparu que les fausses rencontres importent autant que les vraies « . On tient alors notre réponse !

  • « Les derniers jours de Marlon Brando » , Samuel Blumenfeld – Stock, 256 pages.

Lire: Avec Guillaume Lavenant, suivez l’étrange protocole ! : https://www.weculte.com/litterature-2/livre-avec-guillaume-lavenant-suivez-letrange-protocole/

samuel blumenfeldSamuel Blumenfeld, la bio:

Samuel Blumenfeld est né en 1963. Il est critique de cinéma au journal Le Monde  depuis 1997 et grand reporter au Monde 2. Il a dirigé une collection « soul fiction » aux éditions de l’Olivier. Il est également l’auteur de L’Homme qui voulait être prince, Les vies imaginaires de Michal Waszynski (Grasset, 2006) et d’un roman, Au nom de la loi, avec comme personnage Steve McQueen (Grasset, 2013). Il est aussi un spécialiste du cinéma américain et a publié Brian De Palma. Entretien avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud (Calmann-Lévy, 2001).

 

 

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