Johnny Hallyday

Johnny Hallyday, qui luttait depuis plusieurs mois contre la maladie, est mort à l’âge de 74 ans des suites d’un cancer à son domicile de Marnes-la-Coquette. Il laisse derrière lui une œuvre monumentale et tout un peuple orphelin.

L’inimaginable s’est finalement produit. On redoutait cet horrible scénario depuis plusieurs jours. Et aujourd’hui, alors que l’on écrit ces lignes, on n’ose y croire. Pourtant, Johnny Hallyday, notre « Jojo » national est parti, mort des suites d’un cancer du poumon détecté en novembre 2016, terrassant celui que l’on pensait invincible.

Depuis plusieurs jours et son séjour à la clinique Bizet où il se faisait soigner, on sentait bien que les choses s’aggravaient, les nouvelles sur l’état de santé du chanteur étaient de plus en plus alarmantes, jusqu’à l’annonce de son décès chez lui dans sa maison de Marnes-la-Coquette : « Johnny Hallyday est parti. J’écris ces mots sans y croire. Et pourtant c’est bien cela. Mon homme n’est plus », a déclaré, très émue, Laeticia son épouse. « Jusqu’au dernier instant, il a tenu tête à cette maladie qui le rongeait depuis des mois, nous donnant à tous des leçons de vie extraordinaires. Le cœur battant si fort dans un corps de rockeur qui aura vécu toute une vie sans concession pour son public, pour ceux qui l’adulent et ceux qui l’aiment. »

Johnny est décédé à l’âge de 74 ans. Cela semble inconcevable tellement il était présent dans tous les foyers depuis l’invention de la télévision ou presque. Il était à la fois le grand-père, le frère, le copain autant qu’un roc, un dieu vivant du rock’n’roll.

Tout au long de sa vie, Johnny a vécu en destroy. Il était à la fois un déraciné, un rebelle, un survivant d’un monde qui n’existe que dans les westerns et les films sur les rockeurs.

Timide et réservé, il a des rêves plein la tête

Déjà, les images défilent. Celles de l’enfance chaotique, comme en témoigne sa chanson Je suis né dans la rue. Né le 15 juin 1943, cité Malesherbes à Paris, Johnny Hallyday, de son vrai nom Jean-Philippe Smet, était le fils d’Huguette et de Léon Smet. Un père qu’il n’a jamais véritablement connu. Au moment du divorce de ses parents, c’est sa tante Hélène Mar qui le recueillera et l’élèvera. Chez les Mar, on est artiste et Johnny est vite fasciné par les filles de sa tante, Desta et Menen, toutes deux danseuses, qui se produisent de théâtre en théâtre. Une vie de tournées qui l’amènera à monter sur scène dès l’âge de 9 ans, non sans avoir pris des cours de danse et de guitare dans les années 1950. On se souvient alors de l’avoir vu interpréter la Ballade de Davy Crockett, dans un théâtre à Copenhague, peut-être sa première chanson. Johnny a grandi non loin du quartier de la Trinité à Paris. Il use ses fonds de culotte du côté du square des Épinettes dans le 17e. Avec ses potes, Schmoll (Eddy Mitchell), Long Chris et quelques autres, il joue déjà les loups solitaires. Timide et réservé, il a des rêves plein la tête.

Sa première passion fut pour le cinéma. C’est en voyant Elvis Presley jouer dans le film Loving You au cinéma Gaumont Palace, qu’il songe à devenir acteur. Mais déjà la mode du rock‘n’roll venue tout droit des États-Unis arrive en France. Comme tous les jeunes, Johnny est séduit par cette musique sur laquelle on danse et on s’amuse comme jamais auparavant. Johnny veut en être. Il a du feu dans les jambes. Il sera le roi du rock made in France. Il fréquente alors le Golf-Drouot, se produit au Marcadet Palace (une de ses premières scènes en 1959) où il reprend des chansons d’Elvis et adapte en français des standards issus du rockabilly américain, à la manière de Gene Vincent.

Son truc ? Vivre l’instant présent, à fond

C’est le début de l’aventure pour Johnny qui, dans la foulée, sort chez Vogue un premier 45 tours aux paroles un peu nunuches T’aimer follement, une reprise de Dalida, rapidement suivi par un deuxième 45 tours Souvenirs, Souvenirs. Un tube qui allait l’installer dans le paysage de la variété à la Guy Lux et Maritie et Gilbert Carpentier. Deux mondes s’affrontaient alors, celui des chanteurs yé-yé dont il faisait partie et celui des blousons noirs façon Bill Haley ou Eddie Cochran, qu’il n’aura de cesse plus tard de vouloir imiter.

Il vivait à cent à l’heure avec l’idée d’atteindre ses rêves les plus fous. Son truc ? Vivre l’instant présent, à fond. Il chante Retiens la nuit et Viens danser le twist et devient « l’idole des jeunes » des sixties. On reste scotché par ses prestations où il fait preuve d’une énergie incroyable. Il transpire sang et eau, déclenche des bagarres. Partout il électrise les foules qui n’hésitent pas à casser les fauteuils comme ce jour de 1960 à l’Alhambra, où, en première partie de Raymond Devos, il se roule par terre, accroché à sa guitare sur fond de Be Bop a Lula. Du jamais-vu en France. Partout, cet ange blond au regard bleu met le feu comme à l’Olympia où ailleurs.

L’écrivaine Elsa Triolet sera d’ailleurs l’une des premières à prendre conscience du phénomène. Assistant à l’un de ses concerts, elle ne peut s’empêcher de faire part de son admiration devant le fauve qu’est Johnny sur scène : « C’est le galop à mort, le délire de la vitesse, de la musique, de la danse », écrit-elle dès 1964 dans les Lettres françaises (lire en dernière page).

Pour le chanteur, la vie va commencer avec la vague yéyé et la consécration du twist dont raffole la jeunesse de l’époque. Johnny devient l’un des héros de Salut les copains, émission de la radio Europe 1 lancée par Daniel Filipacchi et Frank Ténot. Le succès est tel qu’il conduira à la création d’un magazine et, plus tard (1963), à un immense concert place de la Nation où des milliers de jeunes se pressent pour le voir chanter le Pénitencier ou des chansons assez drolatiques comme Da dou ron ron.

Une époque où tout semblait rempli d’insouciance

Pendant que Claude Nougaro rêve de « twister le blues », que Claude François chante Belle, belle, belle ou Si j’avais un marteau, que les Chaussettes noires interprètent Daniela, Johnny lui crie Que je t’aime ou Elle est terrible. Cette fille-là, ce sera Sylvie Vartan qu’il rencontra quelques années auparavant sur le tournage de D’où viens-tu Johnny ? C’était le temps des Tendres Années et des amours pour la blonde Sylvie qui allait devenir sa première épouse. Sylvie Vartan qui, beaucoup plus tard, créera l’événement en chantant le Feu et Je veux te graver dans ma vie à ses côtés au Parc des Princes, devant des milliers de spectateurs émus par les retrouvailles du couple.

C’est cela aussi que l’on pleure aujourd’hui avec la mort de Johnny, une époque où tout semblait rempli d’insouciance quand des milliers de teenagers chantaient avec Frank Alamo, Ma biche, Brigitte Bardot et Serge Gainsbourg, Bonnie and Clyde, Sheila, L’école est finie, et Françoise Hardy, Tous les garçons et les filles. Tout cela peut paraître quelque peu désuet aujourd’hui. Tel est pourtant le contexte dans lequel le jeune Hallyday évolue. À 20 ans et déjà star, il part faire son service militaire, incorporant en 1964 le 43e régiment d’infanterie d’Offenbourg en Allemagne. Un an plus tard, il épouse Sylvie Vartan, future maman de David. Une période de bonheur. Mais voici qu’il chante Noir, c’est noir, quand l’ère yé-yé est balayée par l’arrivée de groupes et artistes anglo-saxons plus à la mode. Les Beatles, Bob Dylan bousculent quelque peu notre rockeur national en montrant les limites d’une carrière essentiellement hexagonale. Il se remet en selle dès 1967 avec Hey Joe, une reprise de Jimi Hendrix, qu’il contribuera à faire connaître en France.

Ce qui est sûr, c’est qu’il ne laisse personne indifférent

Hallyday va réussir à passer toutes les modes, du disco à la chanson, du rock au reggae, à la pop ou au rap. Il arrive d’autant plus à s’adapter qu’il ne triche jamais sur scène, offrant à chaque fois le meilleur de lui-même avec une classe et une élégance absolue. Johnny est un extraordinaire interprète qui endosse tous les rôles, vêtu des tenues les plus extravagantes. Qu’il porte les panoplies les plus délirantes façon Mad Max, le cheveu long à la hippie, gonfle ses biceps tatoués, arbore croix et chaînes en or sur son torse bodybuildé, ou roule en Harley Davidson… il fait tout cela sans une once de vulgarité. Tout le monde n’adhère pas à son répertoire que certains jugent un peu bas du front. L’Hexagone est divisé avec, d’un côté, le peuple des milliers de fans de Johnny qui lui vouent un véritable culte, de l’autre, tous ceux qui se moquent gentiment et font la fine bouche devant ce Johnny décidément un peu trop « brut » à leurs yeux.

Ce qui est sûr, c’est qu’il ne laisse personne indifférent. Pour Johnny, exister, c’est durer. Il chante les Coups, Jésus-Christ (est un hippie), Gabrielle, Toute la musique que j’aime avec une intensité, une puissance qui le rend unique. Que ce soit au Palais des sports, au Pavillon de Paris, à Bercy, il multiplie les shows spectaculaires. Johnny en version Technicolor panoramique est ce chanteur-acteur magnifique vers lequel tous les yeux se tournent quand, en 1979, il se produit dans l’Ange aux yeux de laser, vêtu d’un costume futuriste, hurlant « quoi ma gueule ». Un spectacle coup de poing qui allait donner le « la » d’autres shows tout en force. Des spectacles pharaoniques où il convoque les Harley, les cascadeurs, les danseuses nues au corps entièrement peint, les feux d’artifice, les hélicoptères, les cages de verre.

Il est partant pour toutes les aventures, grisé à l’idée d’imaginer les spectacles les plus grandioses, pour peu qu’on lui donne l’Envie. À chaque fois, il surfe sur les modes en faisant appel aux meilleurs paroliers (Philippe Labro, Jean-Jacques Goldman, Étienne Roda-Gil…). Dans les années 1980, c’est Michel Berger qui relance sa carrière avec la magnifique chanson qu’il lui écrit : Quelque chose de Tennessee, qui lui permet au passage de réconcilier son public.

Aujourd’hui, c’est un peuple qui pleure la perte de son idole

Voici encore Diego, Laura… partout, ses admirateurs le suivent jusqu’à Las Vegas, en 1996, où il réussira à emmener 7 000 fans français qui n’hésiteront pas à prendre l’avion pour le voir chanter au casino Aladdin.

On le verra au Parc des Princes où il décide de fêter son cinquantième anniversaire. Avec là encore, un pari fou, traverser la foule de part en part massée sur la pelouse avant de monter sur scène et de chanter Gabrielle sous la réplique du pont de Brooklyn installé pour l’occasion. Les grands rassemblements qui lui procurent l’adrénaline, voilà ce qui le galvanise. À chaque fois, il se jette dans la fosse aux lions, cherchant à offrir le maximum d’émotion. Comme lors de ses deux extraordinaires prestations sur la Grande Scène de la Fête de l’Humanité en 1985, période de sa vie avec Nathalie Baye et en 1991, où il époustoufla l’immense parterre, subjugué par le charisme de cette « bête de scène ».

Johnny, c’était l’excès, des arrangements d’orchestres symphoniques, des décors démentiels et une voix émouvante à nulle autre pareille. Une voix unique qui portait loin comme en 2000 au Champ-de-Mars où le chanteur pousse le bouchon encore plus loin en organisant, avec la complicité de son manageur d’alors Jean-Claude Camus, un spectacle gratuit au pied de la tour Eiffel. Un show donné devant plus de 500 000 personnes venues fêter ses 40 ans de carrière. Une foule gigantesque qui témoigne encore une fois de l’énorme affection de son public. Johnny et son regard de loup allument la tour Eiffel pour le spectacle le plus insensé qu’un artiste ait jamais imaginé.

Il y eut le parc de Sceau et aussi le Stade de France par deux fois. Et toujours ce désir irrépressible d’être au cœur de son public qu’il aimait plus que tout. Il osait tout, y compris rompre avec ses shows spectaculaires en changeant de style et de peau. Comme en 1994 lors du concert « intimiste » à la Cigale de l’album Rough Town, interprété entièrement en anglais. Johnny en VO se renouvelait et s’amusait en enchaînant les disques (Rester Vivant, De l’amour) et les concerts, comme celui des Vieilles Canailles avec Eddy Mitchell et Jacques Dutronc. Aujourd’hui, c’est un peuple qui pleure la perte de son idole. Rockeur d’une gentillesse extraordinaire et d’une générosité exceptionnelle sur scène, il aura tout donné, du rêve, de l’amour aux larmes, mû par cette folle envie d’être debout jusqu’au bout. Johnny c’était Sang pour sang de bonheur. À la vie, à la mort avec la France qui perd son dernier géant du rock’n’roll. Il n’est pas sûr qu’elle s’en remette avant longtemps.

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