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Philippe Conticini : « En pâtisserie, le seul point de repère c’est le goût ! » (photo) Térèze Wysocki

Gastronomie/ Interview. Prince du mille-feuilles ou encore démiurge du Paris-Brest, Philippe Conticini a bousculé la pâtisserie, à coups d’innovations. A 59 ans, il demeure l’un des meilleurs pâtissiers du monde, peut-être même le meilleur, parce qu’il est l’ultime créateur d’émotions. Rencontre.


Philippe Conticini, prince de la pâtisserie et voltigeur de l’innovation


Enfant puis adolescent, il avait une idée fixe : adulte, il serait propriétaire d’un restaurant. A 59 ans, il n’a pas le restaurant à son nom mais il est bien plus, il est la star des pâtissiers. Philippe Conticini, c’est le top du top. Le prince du mille-feuilles, le prophète de la pâte à chou, le démiurge du Paris-Brest, celui qui, avec la verrine, a fait passer la pâtisserie de l’horizontale à la verticale… Il s’est raconté en 2019 dans « Cochon de lait », un livre profondément humain.

Né et grandi dans une famille de restaurateurs (mère en cuisine, père en salle), il a été repéré par la presse gastronomique quand il a ouvert, avec son frère chef cuisinier, un restaurant vite en vue à Paris. Il a pris son envol et, vite, est devenu dans les années 1990 le pâtissier nouvelle vague, à l’image d’un Truffaut pour le cinéma ou d’un Robbe-Grillet pour la littérature.

Il a fréquenté les émissions télé, genre « Le Meilleur Pâtissier », et donne rendez-vous régulièrement à ses « fans » pour des masterclass en laboratoire ou sur les réseaux sociaux- « Je me plais avec les gens, dit-il. Je vois que, quand on est sans filtre, ça touche les gens. Je pense que les filtres, même quand on pense que ça passe bien, ça se voit toujours ».

La vie qui va ne lui a rien épargné, dont des jalousies professionnelles mesquines et un long séjour en hôpital avec deux mois de coma… Et Philippe Conticini, voltigeur de l’innovation, ne craint pas de mettre au même niveau pâtisserie, littérature et musique- on le comprend ! Il aurait pu devenir dresseur de loulous ou encore dynamiteur d’aqueducs, il est LE pâtissier. Rencontre avec le « poète de la pâtisserie » et ultime créateur d’émotions.  

Philippe conticini
Philippe Conticini (photo) Térèze Wysocki

 En remontant au plus loin dans vos souvenirs, pour vous la pâtisserie a toujours été une évidence ?

Philippe Conticini. Mes parents étaient restaurateurs, c’était donc plus simple pour moi… Une chose est sûre : peu importe quoi mais je me serais servi de mes mains. J’ai besoin de ça. Ça aurait pu être artiste, écrivain, et j’aurais vraisemblablement réussi ma vie. A l’âge de 11 ans à la maison où ma mère avait des livres de pâtisserie, j’ai dit que j’avais envie de faire un gâteau. J’ai fait une génoise que j’ai coupée en deux, je l’ai imbibée avec un sirop sucré je ne sais plus trop de quoi, j’ai fait une crème pâtissière pralinée, j’ai recouvert le gâteau sur le côté avec des amandes effilées grillées et sur le dessus avec du sucre glace. Je l’ai amené à mes parents, il y avait aussi des oncles, des tantes, je l’ai fait goûter à tout le monde. Tous m’ont dit : « C’est très bon ». A mon avis, ce n’était pas vrai mais ils ont voulu me faire plaisir et je les ai crus…



Avec des parents restaurateurs et un frère cuisinier qui prenaient toute la lumière, vous ne pouviez pas faire autre chose que la pâtisserie, le parent pauvre de la gastronomie…

Philippe Conticini. Après avoir repris un « routier », mes parents avaient ensuite ouvert un restaurant de bon standing en région parisienne. Rapidement, ils ont été étoilés, connus et reconnus dans le milieu- un critique de l’époque avait été particulièrement élogieux pour leur établissement. Mon univers, c’était la cuisine… A 17 ans, j’ai arrêté l’école et quand il s’est agi de travailler, je suis allé en stage en cuisine. Je ne m’y sentais pas bien et au bout de dix mois, je suis parti. J’étais trop lent… J’ai poursuivi l’apprentissage en cuisine d’abord chez Alain Dutournier puis la pâtisserie au Maxim’s de Roissy. En 1983, après mon CAP en pâtisserie, glacerie et chocolat, j’ai commencé en tant que commis pâtissier au Gray d’Albion à Cannes avec Jacques Chibois que j’ai quitté, deux ans plus tard, pour rejoindre la maison Peltier. Durant toute cette période, je n’avais aucune idée du travail du goût…

Le goût, souvent, vous avez expliqué en avoir eu conscience lors de deux événements forts de votre vie personnelle…

Philippe Conticini. Oui. La première, c’est en 1986. Mon frère me prépare une côte de cochon de lait, pas moins de dix centimètres d’épaisseur et d’un fondant exceptionnel… En bouche, j’ai ressenti mille et mille saveurs. La seconde, ce fut lors de mon séjour à l’hôpital en 2010. Après deux mois de coma, je pensais ne plus pouvoir éprouver la perception du moindre goût. On m’apporta une purée à l’eau. Ce jour-là, cette purée avait le goût du miracle. J’aime à dire que l’hôpital ne m’a pas tué, il a changé ma façon de voir, et donc de travailler. Alors, j’ai compris ce qui est une évidence : en cuisine comme en pâtisserie, le seul point de repère c’est le goût. Mais pour la pâtisserie, on ne commencera à parler, à évoquer le goût que vers 2006, 2007.

Assez rapidement, vous recevez de nombreux honneurs dont le titre de « pâtissier de l’année » par le magazine « Gault et Millau » en 1994. Ce qui fera dire au chef multi-étoilé Joël Robuchon (1945- 2018) : « Je considère Philippe Conticini comme l’un des pâtissiers les plus doués et les plus modernes de son temps »

Philippe Conticini. Peut-être parce que, je dois l’avouer, je suis très créatif. Et la créativité en pâtisserie, c’est rare. En cuisine, ils ont quarante ans d’avance sur nous les pâtissiers pour le goût ! Dans le domaine de la pâtisserie, il y avait quand même quatre exceptions pour la créativité : Pierre Hermé, Frédéric Bau, Jean-Marc Guyot qui a travaillé pour Marc Veyrat et moi…

Vous aimez dire et répéter : « Je n’ai jamais été dans le moule, et je n’y entrerai jamais »

Philippe Conticini. Je suis droit et courageux- dans le monde de la cuisine et de la pâtisserie, il ne peut pas en être autrement ! Personnellement, je n’ai jamais accepté la moindre compromission. Dès mes débuts, j’ai choisi une direction et je n’en ai jamais dévié. Jamais je n’ai suivi une mode. Je suis sûrement très utopiste mais je n’oublie jamais qui je suis. Je suis un pâtissier et je sais que je ne vais pas sauver une vie…

A un moment de votre vie, vous avez pris des cours de magie…

Philippe Conticini. J’avais envie de découvrir. Non pas les trucs mais l’art de faire. Magie et pâtisserie, c’est un peu la même chose. Oui, le plus important ce n’est pas de comprendre le tour mais de rêver…



Alors, comment définiriez-vous une pâtisserie réussie ?

Philippe Conticini. D’abord, la technique n’a jamais suffi pour inventer, pour créer un grand dessert. Ensuite, esthétiquement, c’est comme pour un coiffeur ou un boucher, on voit tout de suite si la personne a du talent. Et moi, je peux dire que je vois immédiatement ce qui découle du talent ou de la technique… et une pâtisserie réussie, c’est celle qui va, impérativement, procurer du plaisir.

Quand vous enfilez votre blouse blanche et entrez dans votre laboratoire, quel est alors votre objectif ?

Philippe Conticini. Etre lisible dans tout ce que je fais… Je suis avant tout un artiste, alors si c’est juste faire un gâteau, ça ne m’intéresse pas. Quoique je fasse, j’y mets toujours la même rigueur, la même concentration, la même attention aux détails. J’évolue tout le temps. Et je m’efforce à tout faire pour que le résultat corresponde à ce que j’ai initialement envie.

Après bientôt quarante ans en cuisine et en pâtisserie, éprouvez-vous quelque regret ?

Philippe Conticini. Aucun regret. Certes ma vie a été faite de hauts et de bas, mais je ne veux pas regretter, je préfère me planter. Je veux entretenir l’émerveillement. Je suis toujours comme un gamin quand je découvre une cuisine ou une pâtisserie. J’ai gardé ma candeur d’enfant…

Entretien réalisé par Serge Bressan

  • A lire : « Cochon de lait » de Philippe Conticini (avec Patricia Khenouna). Le Cherche Midi, 210 pages, 17 €.
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Philippe Conticini : « ce n’est pas parce que j’avais décidé de faire des classiques que j’allais pour autant reléguer ma créativité au vestiaire » (photo) Térèze Wysocki

Le Paris-Brest version Conticini

Maître ultime ès pâtisserie, Philippe Conticini dit et répète qu’il est guidé par un mot, une idée fixe : innover. Ainsi, quand en 2009 il accepte de participer au lancement de la boutique La Pâtisserie des Rêves, il pose deux conditions, dont celle de réaliser des classiques. Dans son livre « Cochon de lait », il précise : « Vous me connaissez un peu, ce n’est pas parce que j’avais décidé de faire des classiques que j’allais pour autant reléguer ma créativité au vestiaire ».

Ainsi, parmi ses premières ré-interprétations, il revisite le Paris-Brest, gâteau mythique à base de pâte à chou et de crème pralinée et apparu à la fin du 19ème siècle en hommage à la course cycliste du même nom. « Ma version allégée du Paris-Brest, écrit Philippe Conticini dans son livre, en est sans doute la preuve la plus emblématique. Comment aurais-je pu me contenter de la recette de base ? Nous n’étions plus dans les années 1980 ! Mais maintenir la densité de la crème tout en diminuant les proportions de beurre représentait un sacré défi. Le beurre est un vecteur de goût, et si la crème tient, c’est essentiellement grâce à lui.

« Après plusieurs essais, je finis par trouver la solution : une crème pâtissière sans farine, avec soixante-dix pour cent de beurre en moins. En la foisonnant [NDLR : alléger et augmenter le volume d’une crème ou d’une préparation en la travaillant au fouet afin d’y incorporer de l’air], je suis parvenu à créer un réseau de bulles que j’ai amplifié en introduisant de la gélatine, connue pour son phénoménal pouvoir d’émulsion. Ô miracle ! La crème tenait grâce à l’air !

« Quant au praliné, il me suffisait de l’introduire sous forme d’insert pour qu’il reste coulant à la dégustation. Ce Paris-Brest original a remporté tous les suffrages ». Ensuite, Philippe Conticini revisita la tarte Tatin…


 

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