sandrine bonnaire
Sandrine Bonnaire : l'actrice fait son retour au théâtre dans "L'Amante anglaise" de Marguerite Duras (c) Pierre Grosbois

Théâtre. Une pièce de Marguerite Duras, inspirée d’un fait divers réel et créée en 1968. Une femme a tué sa cousine sourde et muette, l’a découpée en morceaux qu’elle a jetés dans des trains… sauf la tête. Du grand théâtre avec une magnifique Sandrine Bonnaire.


Sandrine Bonnaire « ‘’L’Amante anglaise’’ est une pièce de la folie et de l’amour »


sandrine bonnaire
Sandrine Bonnaire sur la scène du Théâtre de l’Atelier joue « L’Amante anglaise » de Marguerite Duras (c) Pierre Grosbois

Sur la scène devant un rideau de fer, un homme assis sur une chaise. Dans le public, une voix s’élève. Pendant une heure, l’interrogateur va soumettre à la question l’homme assis. L’interroger sur sa femme, elle qui a tué la cousine sourde et muette qui servait, dans la maison, de femme à tout faire. Echange tendu entre les deux hommes… Début de « L’Amante anglaise », une pièce de Marguerite Duras (1914-1996) créée en 1968 dans une mise en scène de Claude Régy et des costumes dessinés par Yves Saint Laurent, et interprétée par Madeleine Renaud, Claude Dauphin et Michael Lonsdale.

S’étant inspirée d’un fait divers criminel perpétré en 1949, l’auteure confiait dans un entretien : « Il s’agit de menthe anglaise, de la plante ou, si vous préférez, de la chimie de la folie. Elle l’écrit avec l’apostrophe. Elle a tout désappris, y compris l’orthographe ». Extrait de l’échange entre le mari (efficace Grégoire Oestermann) et l’interrogateur : « Je crois que si Claire n’avait pas tué Marie-Thérèse, elle aurait fini par tuer quelqu’un d’autre.

Vous ?

Oui. Puisqu’elle allait vers le crime dans le noir, peu importe qui était au bout du tunnel, Marie-Thérèse ou moi… »

Elle, c’est Claire Lannes. Par son mari, on a appris qu’elle fut autrefois l’amoureuse passionnée d’un agent de Cahors, préfecture du Lot. L’interrogateur va, elle aussi, la soumettre à la question dans une deuxième partie d’une heure et quinze minutes.



Sur la scène mais sans le rideau de fer (ce qui donne une immensité au propos), elle est assise sur la chaise. On sait qu’elle a donc tué la cousine, l’a découpée en morceaux qu’elle a jetés dans des trains de marchandises qui passent sous un viaduc situé près de chez elle, à Viorne.

Arrêtée, interrogée, elle a avoué sans difficulté son crime mais se montre incapable d’expliquer pourquoi elle l’a commis. Et une seule pièce n’a pas été retrouvée : la tête de la victime… L’interrogateur n’a pas eu de réponse du mari, « quintessence du petit bourgeois haïssable » selon Marguerite Duras. En aura-t-il une de la part de la meurtrière ?

Mise en scène par l’impeccable Jacques Osinski, Sandrine Bonnaire qui fait son retour au théâtre dix ans après avoir joué dans « L’Odeur des planches » de Samira Sedira confie que « ‘’L’Amante anglaise’’ est une pièce de la folie et de l’amour ».

L’interrogateur- un policier ? un avocat ? un psychologue ?, on ne le saura jamais- ne lâche pas. Il interroge, encore et encore. Pierre, le mari, répondait sans conviction, glisse qu’avec sa femme, ils vivaient dans « l’indifférence complète depuis des années ».

Claire, la meurtrière, esquisse des bribes de réponse. Pas de développement. A-t-elle perdu la raison ? feint-elle l’oubli, l’absence ? Pour l’interrogateur, « elle ne s’est jamais accommodée de la vie » ou encore « elle est de l’autre côté du monde ».

Il est obnubilé par une question : « Pourquoi l’avez-vous tuée ? » Elle : « Si j’avais su le dire, vous ne seriez pas là à m’interroger. Pour le reste, je sais ». Il-  quelques minutes après : « On ne vous a jamais posé la bonne question sur ce crime ? » Elle : « Non. Si on me l’avait posée, j’aurais répondu », avant d’ajouter : « Vous savez, monsieur, sur ce banc, à force de rester immobile, j’avais des pensées intelligentes. Ma bouche était comme le ciment du banc ». Et finalement : « Moi, à votre place, j’écouterais. Ecoutez-moi… Je vous en supplie… »

Dans la robe de Claire Lannes, assise sur cette chaise Sandrine Bonnaire s’est glissée dans un rôle tenu naguère par Madeline Renaud, Suzanne Flon ou encore Ludmila Mikaël.

Dans la mise en scène dépouillée à l’extrême, elle effectue un retour gagnant au théâtre. Face à l’interrogateur (Frédéric Leidgens), elle propose l’intensité dans l’immobilité. Un sourire, un clignement de paupière, une tête qui se tourne à peine… et la voix aussi limpide que liquide. La voix d’une amante anglaise qui dégusterait la menthe anglaise de son jardin…

Serge Bressan


  • A voir : « L’Amante anglaise » de Marguerite Duras. Mise en scène : Jacques Osinski. Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens et Grégoire Oestermann. Lumières : Catherine Verheyde. Costumes : Hélène Kritikos. Dramaturgie : Marie Potonet. Durée : 2h15.
  • Dates et lieux des représentations : Théâtre de l’Atelier. 1 place Charles Dullin. 75 018 Paris. Tél. : 01 46 06 49 24. Jusqu’au 31 décembre 2024. Mardi- samedi, 21h. Dimanche, 15h.
  • Tournée : 9-11 janvier 2025. Versailles : Théâtre Montansier; 14 janvier 2025. Poitiers : TAP; -16-17 janvier 2025. Toulon : Châteauvallon-Liberté scène nationale; -8 février 2025. Deauville : les Franciscaines.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

Laissez un commentaires
Merci d'entrer votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.