Spectacles. Avec « Welfare » Julie Deliquet est la seconde metteuse en scène de théâtre après Ariane Mnouchkine en 1982 a être accueillie dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes à l’occasion du Festival d’Avignon. Depuis mars 2020 elle dirige le Théâtre Gérard Philippe à Saint Denis où elle a succédé à Jean Belloroni. A Avignon elle met en scène cette pièce qui donne la parole aux sans voix adaptée d’un film documentaire du cinéaste américain Frederick Wiseman, sa quatrième adaptation d’une œuvre cinématographique au théâtre. A voir jusqu’au 14 juillet.
« Welfare » : On peut se féliciter de voir la Cour d’Honneur accueillir la parole des sans voix
La Cour d’Honneur du Festival d’Avignon n’est certainement pas un lieu qui convient à toutes les propositions théâtrales du fait de son histoire et de la disposition du site. C’était un pari risqué de Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du festival d’ouvrir cet écrin à un tel projet. L’a-t-il totalement gagné ?
Ce spectacle met en scène une journée de décembre 1973 qui se déroule dans une permanence d’urgence d’un centre d’aide social de New-York. On assiste à un face-à-face entre le personnel de ce centre et un groupe de personnes constitué de sans-abris, de mères célibataires et de démunis de tous horizons.
Les salariés du centre ne sont pas caricaturés et certains d’entre eux font preuve d’une certaine bienveillance. Mais ils doivent gérer des situations très difficiles qui sont soumises à des procédures d’une infinie complexité. Kafka n’est pas loin et Beckett est même cité par un des participants.
Dans ce groupe de démunis, chaque personnage est un formidable exemple de ce que la société peut laisser dans ses marges. Les acteurs leur donnent une force réellement exceptionnelle. On pourra certes regretter que dans les 2h30 du spectacle les problèmes traités par les travailleurs sociaux se répètent comme c’est certainement le cas dans la réalité au détriment de la dynamique du spectacle. Et le moment de la pause de midi voit les travailleurs sociaux quitter la scène et la laisser aux seuls demandeurs, un moment d’une force incroyable où se jouent des relations entre eux d’une toute autre nature que celles qui se nouent avec l’institution.
On peut se féliciter de voir la Cour d’Honneur accueillir la parole des sans voix. Le texte est d’une parfaite clarté et il confirme ce que bien des auteurs ont tenté de théâtraliser : la parole brute et les situations vécues dans la réalité peuvent rendre compte avec force des douleurs des plus déshérités.
Portées par des acteurs formidables et mis en scène par Julie Deliquet ces paroles ont une force théâtrale incontestable. Ce théâtre documentaire (ou « documenté » comme préfère le dire la metteuse en scène) est aussi une forme de spectacle qui peut être accessible au plus grand nombre, sans doute beaucoup plus populaire que bien de représentations plus sophistiquées qui se réclament pourtant de cette étiquette.
Une pièce qui a valeur d’engagement. Pour Julie Deviquet ses personnages sont « l’incarnation des dysfonctionnements d’une démocratie qui doivent nous inviter à repenser la manière dont nous faisons société ». Populaire et engagée, « Welfare » est une belle entrée en matière pour la direction artistique de Tiago Rodrigues.
Yves Le Pape