Sortie cinéma. Serveur le jour, gangster la nuit: le personnage principal du film GANGS OF TAIWAN (mercredi 30 juillet dans les salles) illustre la perte de repères d’une partie de la jeunesse taïwanaise, en proie au doute et au désespoir.
« Gangs of Taiwan » : entre gangsters et histoire d’amour, le film fait souvent référence à l’incertitude qui pèse sur Hong Kong
Bande de voyous
Zhong-Han (Liu Wei Chen), un jeune homme muet d’une vingtaine d’années, mène une double vie. Le jour, il est employé dans un restaurant modeste et traditionnel, tenu depuis 70 ans par la même famille. Les gérants, un couple sympathique et travailleur, le considèrent un peu comme leur fils adoptif.
Mais la nuit, Zhong-Han devient un gangster: il fait partie d’une bande de voyous qui, T-shirts noirs et chaînes de rappeurs autour du cou, rackettent les commerçants et les riches clients de boîtes de nuit et de karaokés, pour le compte de chefs mafieux locaux.
Le jeune homme entame aussi une liaison sentimentale avec une jeune fille, I-Ju (Rimong Ihwar), caissière dans une supérette pour payer ses études –sans lui avouer bien sûr sa double vie. Le rachat du restaurant par un homme d’affaires véreux va mettre en danger ceux qu’il aime: le couple de restaurateurs et sa petite amie…
Premier long-métrage
Présenté à la Semaine de la critique au dernier Festival de Cannes, c’est le premier long-métrage du réalisateur taïwanais Keff, 34 ans, né à Singapour de parents taïwanais, qui a vécu à Hong Kong puis aux États-Unis avant de venir s’installer à Taïwan en 2019, au moment des manifestations à Hong Kong contre le pouvoir central chinois. « Je me suis toujours senti taïwanais, j’ai été élevé par deux parents taïwanais, et j’ai grandi dans une famille aux valeurs et à la culture taïwanaises », dit-il.
Film de gangsters avec son atmosphère tendue et son suspense, histoire d’amour, GANGS OF TAIWAN comporte aussi beaucoup de réflexions politiques et sociales, sur la situation de Taïwan, l’angoisse économique et diplomatique de sa population, les difficultés pour sa jeunesse de trouver du travail et de se construire un avenir, les politiciens véreux et les mafias locales.
Énergie de la jeunesse
Le réalisateur a ainsi voulu, en choisissant des jeunes hommes comme personnages de gangsters, mais sans généraliser les manques de repères de la jeune génération et sans (trop) tomber dans le discours c’est-la-faute-à-la-société, « mettre en exergue l’énergie électrisante de la jeunesse qui vit à toute allure, qui fait preuve de témérité et de narcissisme candide. »
Mais le film fait aussi souvent référence à l’incertitude qui pèse sur Hong Kong, avec en arrière-plan des extraits de journaux télévisés, Internet, de timides manifestations. Quand le réalisateur est venu vivre à Taïwan et a fait connaissance avec sa population et sa société, « une question lancinante continuait à me hanter », explique-t-il, « une question restée sans réponse depuis 2019: pourquoi n’y avait-il pas davantage de Taïwanais qui semblaient s’intéresser à ce qui se passait à Hong Kong à l’époque? »
Maîtrisé
Si l’acteur principal manque singulièrement de charisme –le personnage est muet, certes, mais il n’a pas vraiment une tête et une âme de gangster–, ce GANGS OF TAIWAN, plutôt bien maîtrisé pour un premier film, alterne habilement les images sombres (boîtes de nuit, attaques) et les scènes plus claires (histoire d’amour, restaurant).
Il y a ainsi de nombreuses séquences de boîtes de nuit et karaokés/bordels dans lesquels se retrouvent la jeunesse dorée et/ou délinquante, et où les gangsters côtoient leurs chefs ou repèrent leurs victimes. Il y a aussi bien sûr quelques scènes violentes –mais moins que dans un film de karaté.
Et l’autre côté du film, plus apaisé, montre les restaurateurs bienveillants ou les instants passés entre le couple d’amoureux: dans un salon de thé chic, dans un parc, à la bibliothèque, chez eux. Quelques moments lumineux qui viennent éclaircir l’atmosphère sombre du film –tout comme les deux courtes scènes, en fin de film, qui expliquent le titre original en anglais du film, bien plus poétique que le titre français: LOCUST (qui signifie cricket, sauterelle).
Jean-Michel Comte
LA PHRASE : « Pas la peine de penser à demain quand demain c’est déjà du passé » (le gérant du restaurant).
- GANGS OF TAIWAN (« Locust ») (Taïwan, 2h15). Réalisation: Keff. Avec Liu Wei Chen, Rimong Ihwar, Devin Pan (Sortie 30 juillet 2025)
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