bernard lavilliers argentine
Bernard Lavilliers revient avec l'album "Sous un soleil énorme" (c) Patrick Swirc

Interview. Eternel globe-trotter, Bernard Lavilliers est parti trouver l’inspiration en Argentine, à Buenos Aires, où il a posé ses valises durant trois mois. Un pays que le chanteur baroudeur rêvait d’explorer, où sont nées les chansons de son nouvel album « Sous un soleil énorme ». Un opus en forme de carnet de voyage, où résonnent la cumbia locale et le tango, mais aussi les voix du duo électro Terrenoire, avec qui il chante « Je tiens d’elle », sur sa ville natale Saint-Etienne et celles de Gaëtan Roussel, Izïa, Hervé et Éric Cantona sur le punchy « Davy Moore ». Rencontre.


Bernard Lavilliers : « Je voulais me fondre dans la culture argentine »


Bernard Lavilliers a toujours aimé les voyages. Pour son nouvel album «Sous un soleil énorme», le globe-trotter est parti trouver l’inspiration en Argentine. Un pays qu’il rêvait de mieux connaître. Il s’y est installé trois mois à Buenos Aires, peu avant le Covid, pour s’imprégner de la capitale portuaire à l’atmosphère américaine et européenne, située sur le fleuve Rio de la Plata.

Une ville, dont il a su prendre le pouls en piéton sensible au réel : «j’entends le cœur du monde battre de plus en plus fort, celui des multitudes et de la solitude» chante Bernard Lavilliers, inquiet de notre évolution et de l’avenir de la planète.

Un disque conscient, fraternel, voyageur, aux tempos dansants teintés de cumbia ou de tango, un brin nostalgique. A l’image de « Je tiens d’elle », où le chanteur en duo avec le groupe Terrenoire, évoque ses racines et sa ville natale Saint-Etienne qui a forgé son parcours d’adolescent, entre acier rouge et désir de partir pour faire de la musique. Un opus qui est aussi celui de la transmission, où se mêlent les voix de Gaëtan Roussel, Izïa, Hervé et Éric Cantona, sur «Davy Moore», titre punchy sur la boxe, adapté d’une chanson de Bob Dylan écrite en 1963.

bernard lavilliers argentine
Bernard Lavilliers : « je voulais me mélanger à la culture argentine » (c) Patrick Swirc

« Sous un soleil énorme» a été écrit en partie durant le confinement. Quand on écoute tous ses thèmes, on a l’impression que cette période a été inspirante pour vous ?

Bernard Lavilliers : J’ai dû faire une sorte de synthèse. J’ai commencé par Buenos Aires, où je suis resté trois mois en 2019, bien avant le Covid. Je voulais me mélanger à cette culture, cette musique, aux Argentins que je connaissais pour les avoir fréquentés à New-York, ou à Rio de Janeiro. Durant cette période, je suis allé un peu en Bolivie et en Patagonie. Mon but, était de me fondre dans cette ville, où pas mal de musiques sont nées et où de grands poètes et des musiciens ont vécu. Je me suis immergé dans une ville sud-américaine qui ressemble un peu à l’Europe, bizarrement. A Buenos Aires, on ne sent pas sous les tropiques, ni en Amérique du Sud. Ce n’est pas la même ambiance. Il y a très peu de métissages, c’est une ville d’émigrés italiens, polonais, de Juifs d’Europe de l’Est, d’Allemands, qui sont arrivés au 19è siècle. En écrivant « Le Piéton de Buenos-Aires » – je me suis inspiré d’un poète français Léon-Paul Fargue qui a écrit « Le Piéton de Paris » – j’ai pensé qu’il avait raison. C’est en marchant dans une ville qu’on la connaît. J’ai déambulé et beaucoup marché.



 

On sent que c’est une ville que vous avez aimée…

Bernard Lavilliers : C’est une ville de nuit, il y a beaucoup de clubs de toutes sortes notamment dans le quartier Palermo Hollywood, de bars à tango pour les touristes, de cafés-théâtres. J’ai écrit la chanson «Les Porteños sont fatigués», qui sont les habitants de Buenos Aires, avec ses rythmes de cumbia. Quand on va à Marseille, on voit que la ville est tournée vers la mer. Buenos Aires est tournée vers l’intérieur, c’est comme un port à l’envers. C’est une ville multiple, à la fois parisienne par l’architecture dans certains endroits, américaine, espagnole, italienne. Au fond, c’est un peu l’Europe et les Etats-Unis, un mélange des deux.

On retrouve votre côté observateur de la société. A l’image de la très belle « Le cœur du monde » où vous chantez «J’entends le cœur du monde battre de plus en plus fort , celui des multitudes et de la solitude » ou encore « je croise de plus en plus la haine, la peur, la mort… »…C’est un constat plutôt pessimiste, non ?

Bernard Lavilliers : En fait, je dis que quand on n’aura plus envie de se lever, qu’on restera assis ou à genoux, c’est à ce moment-là que nos amours n’auront plus cours. Quand on aime et que parfois il faut partir, comme dit Blaise Cendrars, il faut se battre. Quand j’étais à Buenos Aires, j’entendais aussi le cœur du monde. Lorsque je suis arrivé en février, le pesos avait dévalué de 25%. les prix augmentent et le dollar flambe. Ça veut dire que le pays s’endette. Et quand la situation économique d’un pays plonge, il y a forcément des politiques populistes et opportunistes qui disent « on va mettre de l’ordre ».

bernard lavilliers argentine
Bernard Lavilliers : « C’est la création qui empêche de vieillir et le fait d’avoir de nouvelles chansons qui donnent envie de les défendre sur scène » (c) Patrick Swirc

Il y aussi «Beautiful Days» où vous parlez du règne des « petits marquis jamais élus, toujours choisis », qui évoluent « sous les ors de la République ». A qui pensez-vous ?

Bernard Lavilliers : Je pensais au style d’un tas de conseillers, qui n’ont jamais été élus, qui sortent du business et de l’ENA. Ils ont les mêmes costumes, comme si on avait à faire à des banquiers. Quand Macron parle des années 2030, on dirait le patron de Google devant un immense écran, avec un public bien habillé qui l’applaudit. Ils ont le même mode de communication que la Silicon Valley. Ce sont des hommes de paille ou des troisièmes couteaux. Macron, c’est l’homme de la start-up nation qui dissoudrait bien le peuple pour ne garder que ceux qui sont au top niveau et le suivent dans son délire de numériser la vie. «Beautifuls days», c’est un peu, « je vais être élu, attendez-vous à ce que ce soit magnifique, il y aura des fontaines de miel » (rires). Il y a le fantasme de l’homme fort, avec un associé qui s’appelle Zemmour, qui lui, fait peur et dit « on va être envahi, il va y avoir le grand remplacement ». Il peut se permettre de parler sans arrêt, parce qu’il n’est pas encore candidat. C’est une bulle médiatique.



Comment vous apparaît la gauche en ce moment ?

Bernard Lavilliers : Personne n’arrive à faire la synthèse de la gauche. Il y a toujours eu des gauches, avec des alliances parfois à partir de bases puissantes. Là, c’est effiloché. Il y a eu une sorte de naufrage. Le problème, c’est qu’il n’y a pas eu de renouvellement des cadres. Il faudrait qu’il y ait des jeunes qui réinventent la gauche. Ça fait des vagues, comme dans la société. En ce moment, être de gauche est considéré comme ringard, mais pour les mômes que je fréquente, c’est faux, ce n’est pas du tout ringard. La gauche a commencé à prendre l’eau à partir du moment où le monde ouvrier a disparu. A la place, la petite bourgeoisie est arrivée, ceux qui ne veulent pas que ça change. Les débats ne sont pas d’un très haut niveau. Après, il y a une espèce d’hystérisation de la société par rapport aux élections. Généralement, plus on approche de la date fatidique, plus on oublie ce qu’on reprochait aux candidats qui se présentent. C’est assez étrange. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment ça va se passer avec les écologistes…

bernard lavilliers argentine
Bernard Lavilliers se produira à l’Olympia, du 16 au 19 juin (c) Patrick Swirc

Vous chantez « Je tiens d’elle » sur Saint-Etienne avec le duo Terrenoire et « Davy Moore » avec Gaëtan Roussel, Izïa , Hervé, Eric Cantona. Aviez-vous déjà invité autant d’artistes sur un album ?

Bernard Lavilliers : Je ne pense pas. J’ai fait des duos, le dernier avec Jeanne Cherhal sur « l’Espoir ». J’avais invité Feu ! Chatterton, non pas pour chanter, mais faire l’arrangement de « Charleroi » et de « Bon pour la casse » sur mon précédent album. Les jeunes artistes, qui sont musiciens en même temps, ont un autre regard sur la chanson, une autre approche, que je trouve intéressante. Ce n’est pas pour faire jeune que j’ai pris Terrenoire  pour « Je tiens d’elle ». La chanson existe vraiment, je n’ai pas à rougir. C’est la création qui empêche de vieillir et le fait d’avoir de nouvelles chansons qui tiennent la route et donnent envie de les défendre sur scène. Pendant la période de confinement, j’ai réécouté beaucoup d’albums. Et je suis tombé sur cette chanson « Who killed Davey Moore? » de Bob Dylan, extrêmement bien traduite par Graeme Allwright. C’était un peu après l’affaire George Floyd, je me suis dit qu’elle était comme un symbole, puisque personne n’est responsable. Chaque couplet, c’est une partie de la société qui parle, avec l’arbitre, le manager, la foule, le journaliste, le boxeur adversaire. J’ai pensé faire ce titre choral avec des artistes différents et on a enregistré dans un studio à Saint-Rémy de Provence. Je trouve que cette chanson va bien avec la personnalité de tous mes complices.

Vous repartez en tournée à partir de février et vous serez à Olympia du 16 au 19 juin. Hâte de retrouver votre public après ces longs mois sans scène ?

Bernard Lavilliers : Ce n’est pas dans mon habitude de jouer l’album à la virgule près. Il va falloir répéter les chansons au niveau scénique. J’aime improviser, changer un peu les choses. L’aventure, c’est de bâtir le spectacle, cela demande beaucoup d’énergie. La dernière fois que j’ai fait des concerts, c’était pendant les festivals d’été 2019. Je suis vraiment en manque ! (rires)

Entretien réalisé par Victor Hache

  • Album « Sous un soleil énorme », Romance Musique /Universal. Tournée partout en France à partir de février 2022, concerts à l’Olympia du 16 au 19 juin.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Laissez un commentaires
Merci d'entrer votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.