Disparition. Égérie yéyé, reine des nuits parisiennes, mannequin, actrice pour le cinéma, amoureuse des roses, icône de la chanson… il n’y avait rien de plus important pour Dani que de créer et de saisir les rendez-vous avec l’existence. « Être rock, c’est une attitude, ça dépend comment on prend la vie » aimait dire la chanteuse aux airs de rockeuse, qui vient de nous quitter à l’âge de 77 ans. Irrésitible Christophe au féminin, Dani était tout entière tournée vers une trajectoire artistique faite de modernité, de poésie, de liberté et de mystère. Nous lui rendons hommage aujourd’hui en republiant la belle interview qu’elle nous avait accordée à l’occasion de la sortie en septembre 2020, de son dernier album « Horizons dorés », dont elle venait d’achever la tournée. Un album poétique, audacieux et un peu dingue, où sa voix grave de fumeuse se mêle aux riffs de guitare rock d’Emilie Marsh, à qui l’on doit les arrangements des chansons, produit et réalisé par Renaud Letang.
Dani: « Être rock n’roll, c’est une attitude, ce n’est pas que dans la musique. Il y a des boulangers qui sont très rock. Ça dépend de comment on prend la vie. Après, évidemment que la formule guitare-voix ça révèle un truc pur et un peu rock, surtout avec Emilie Marsh, qui est parfaite avec sa guitare »
Dani, c’est d’abord des rendez-vous avec la vie. Une existence faite de mille rencontres pour celle qui fut mannequin pour ELLE et Jours de France à ses débuts. Elle a été comédienne pour le cinéma, elle a connu le monde de la nuit et des paillettes à l’Alcazar et au club l’Aventure dans les années 1970 et s’est passionnée pour les roses… Dani aime la vie depuis les années yéyé où elle se consacra à la variété avant d’être aujourd’hui considérée comme une « icône » rock.
Une irrésistible Christophe au féminin, qui a marqué le paysage de la chanson avec « Comme un boomerang », un titre que lui a écrit Serge Gainsbourg, resté dans l’ombre jusqu’à ce qu’elle l’interprète en duo avec Etienne Daho en 2000.
Quatre ans après la compilation « La nuit ne dure pas » et dix ans après « Le Paris de Dani », elle revient avec le réussi « Horizons dorés ». Un disque dont la plupart des titres sont nés sur scène avec la complicité de la guitariste Emilie Marsh.
Neuf chansons parcourues par sa voix grave de fumeuse, dont une reprise »Dingue’‘ d’Emmanuelle Seigner et un duo rock extra « Kesta Kesta » avec le rappeur Joey Starr. Signature d’une artiste audacieuse et rebelle que l’on retrouvera lors d’une tournée qui passera par le Bataclan (10 décembre) en formule guitare-voix avec Emilie Marsh.
Un concert cabaret très attendu où Dani dira entre deux chansons des textes de figures féminines qu’elle admire (Françoise Sagan, Anaïs Nin, Virginie Despentes, Marilyn Monroe, Rosa Parks…). Rencontre.
Vous avez joliment titré votre nouvel album « Horizons dorés ». Une manière d’apporter un peu de lumière dans ce monde qui en manque cruellement ?
Dani :« Horizons dorés », on l’a fini au mois de décembre, il n’y avait pas le même regard pour cette chanson. Je trouvais déjà que le monde n’allait pas bien. Ça fait un an que je chante cette chanson sur scène. C’est comme les rendez-vous de la vie. Bien sûr qu’aujourd’hui on rêve tous d’horizons dorés. Cette chanson, c’est un peu d’espoir quelque part.
Que vous a inspiré le confinement ?
Dani : C’est un truc qui est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Ça été violent. Je m’installais à Tours, je n’avais pas la télé. J’étais dans une bulle et un jour mon fils m’appelle et me dit « maman, à partir de maintenant tu ne sors plus à cause du coronarivus ». J’ai vécu cela bizarrement les dix premiers jours, après il a fallu s’habituer. J’avais des listes de choses pour le lendemain et je ne faisais rien puisque le temps n’avait aucune importance. Quand j’ai commencé à regarder les infos, je me suis sentie inutile. Et puis, il y avait cette chose bizarre d’autorisation de sortie pour soi-même. Un truc de malade !
Le monde d’avant était mieux ?
Dani : Il était déjà complètement différent. Il me semble qu’il y avait un peu plus de libertés au quotidien. Aujourd’hui, avec le masque, on ne voit plus le visage des gens. On ne peut plus s’embrasser, se parler à cause des postillons…C’est très mystérieux. Et allez savoir si le vaccin fera quelque chose. C’est spécial pour s’adapter. Il faut recomposer sa vie, son quotidien, sa façon d’être, de penser…La liberté s’amenuise.
Il y a beaucoup d’humour dans certaines de vos chansons. A l’image « l’Invitation », où vous refusez de vous pencher sur le dossier du sexe… où vous dites « non merci », « love c’est pire »…
Dani : Cette chanson raconte nos vies. Aujourd’hui, tout passe par téléphone ces objets auxquels tout le monde est addicte – à part moi, car je suis sûrement de l’ancienne école (rires) – où les jeunes sont très directs, style « on peut aller ensemble ». C’est bizarre l’amour maintenant, ça manque de poésie et de romantisme. C’est trop aseptisé.
Jean-Baptiste Mondino vous a photographiée sur la pochette avec un médiator sur l’œil qui affirme votre côté rock? Vous sentez-vous rockeuse ?
Dani : Être rock n’roll, c’est une attitude, ce n’est pas que dans la musique. Il y a des boulangers qui sont très rock. Ça dépend de comment on prend la vie. Après, évidemment que la formule guitare-voix ça révèle un truc pur et un peu rock, surtout avec Emile Marsh, qui est parfaite avec sa guitare.
Pourtant, vous étiez plutôt une chanteuse de variétés dans les années 1960/1970 avec des chansons comme « Scopitone », « Papa vient d’épouser la bonne »…loin de l’icône rock que vous représentez aujourd’hui…
Dani : C’est des chansons de revues. « Papa vient d’épouser la bonne », je la trouve très rock, dans ma tête et « Scopitone » également. Dans le disque, j’ai mis aussi « Les artichauts », une chanson de Frédéric Botton, c’était au moment où je faisais la revue l’Alcazar, avec Jean-Marie Rivière. Des chansons qui étaient adaptées pour ce spectacle…
Vous avez connu le monde de la nuit et des paillettes avec l’Alcazar à Paris, où vous étiez meneuse de revue. Bernard Buffet a peint votre portrait, vous avez eu un magasin de roses… C’était une époque un peu folle, non ?
Dani : Une époque heureuse, tout de suite après 1968 qui a été une révolution « accessible », où au-delà de la politique, la jeunesse s’exprimait, avec des oppositions qui étaient respectées. C’est bien quand il y a une vraie opposition. Les politiques étaient écoutés, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. A l’Alcazar, j’ai appris plein de choses : le spectacle, la scène. C’était un endroit comme il n’y en aura plus jamais où on pouvait dîner, assister à une revue avec une mise en scène. On répétait tous les soirs. C’était très drôle et professionnel. Ce n’est pas pour rien si ça a marché aussi longtemps.
Il y a eu aussi le club l’Aventure…
Dani : A cette époque, on pouvait fumer dans les boites. C’était un autre monde. La nuit, on ne se comporte pas de la même manière. J’accueillais les gens. Je ne buvais pas, je mettais de l’enthésite dans mon verre pour faire croire que je buvais du whisky-coca (rires). On ne peut pas boire dans un truc comme ça, il faut regarder, être à l’écoute, vérifier que tout se passe bien. Ça m’a plu. Je ne me couchais jamais avant le lever du soleil parce qu’il fallait que je suive un peu le rythme des enfants. On s’est bien marrés, même si ce n’était pas facile.
Vous avez commencé par le cinéma où vous avez tourné avec Truffaut, Chabrol, Vadim, Lautner, Molinaro… Vous rêviez d’être actrice ?
Dani : Là encore, ce sont des rendez-vous de la vie. Le premier film que j’ai fait, c’était pour Vadim, après pour Jean-Marie Pierrier, Jacques Lanzmann… Pour le cinéma, il faut faire un plan de carrière. Moi, je n’ai jamais fait de plan. C’est prétentieux de dire ça, mais franchement on est venu me chercher à chaque fois. J’étais invitée sur les films. Quand on vous demande de jouer tel ou tel rôle avec les yeux de l’amour… on dit oui. Je suis pour les aventures. Pourquoi passer à côté d’invitations pareilles ?
Vous avez été mannequin, vous avez fait du cinéma, vous chantez… Diriez-vous que c’est une chance d’avoir pu vivre toutes ces expériences ?
Dani : Je ne sais pas si c’est de la chance. Je suis une femme qui est dans la vie. Je ne regarde pas dans le rétro. Je vis le moment présent. Je suis très curieuse, je fonctionne avec mon feeling et mes émotions. J’essaie de m’intéresser aux choses. J’ai eu des années difficiles avec la dope, les épreuves de famille… Après, pour s’en sortir, ou on sombre ou on se relève avec des béquilles. On essaie de trouver un chemin. Chanter c’est un bon médicament. C’est pour ça que j’aime faire de la scène parce qu’on ne peut pas reculer. C’est indicible ce pas à franchir et l’émotion que cela procure. C’est puissant, c’est bon. On ne peut pas revenir en arrière. Il faut donner, accepter. C’est fort. Quand on se dit « je vais faire passer quelques minutes de bonheur aux gens », on reçoit aussi. Ce n’est pas fermé.
Comment êtes-vous venue à la musique ?
Dani : J’ai été bercée par la musique qu’écoutaient mes parents : Maria Callas, Luis Mariano, Georges Brassens, le rebelle. Le premier rappeur, pour moi, c’est lui. Après, j’ai écouté Paul Anka, Elvis Presley. J’ai toujours aimé la musique. J’ai rencontré mon mari qui était photographe au magazine « Salut les Copains » et un des rédacteurs Robert Madjar, m’a dit « mais tu devrais chanter ». J’étais à l’Alcazar en même temps, donc j’ai fait des chansons en rapport avec le lieu, Frédéric Botton était là. Et j’ai continué. L’autre jour, on m’a fait réécouter des chansons de mon premier album (« La petite qui revient de loin ») avec cette voix perchée que j’avais (rires)…
Comment expliquez-vous que votre voix soit devenue grave?
Dani : Je n’en sais rien. On ne peut pas contrôler le timbre de sa voix. C’est venu avec le temps et la cigarette, peut-être. Vous savez bien que jusqu’à 24 ans on grandit et qu’après tout redescend ! (rires). Donc, je suis descendue dans les graves…
Une voix qui se marie bien avec celle de JoeyStarr avec qui vous avez un duo rock étonnant, « Kesta Kesta »…
Dani : JoeyStarr c’est quelqu’un que j’aime beaucoup, depuis longtemps. Pierre Grillet (auteur de la plupart des chansons de l’album) a fait pour lui les discours de l’Assemblée. Il y est extraordinaire, avec un charisme de folie. J’y suis allée trois ou quatre fois et l’étonnant c’est qu’il y avait un public de jeunes, comme une transmission. C’est là que m’est venue l’idée avec Pierre Grillet de transmettre aux gens des extraits de livres que je vais lire entre les chansons.
Quel souvenir gardez-vous de Serge Gainsbourg qui vous a écrit en 1975 la chanson « Comme un boomerang », avec laquelle vous avez connu le succès plus tard en l’interprétant avec Etienne Daho ?
Dani : J’allais souvent rue de Verneuil chez lui, pour le travail. Gainsbourg était très famille et pas sûr de lui, souvent dans le doute. Il m’a écrit « Comme un boomerang » pour l’Eurovision et on s’est fait jeter car le panel d’Antenne 2 a trouvé qu’elle était trop violente, que ça parlait de flingue, de dingue. Ils m’ont demandé si je voulais chanter une autre chanson, j’ai dit non. Je m’en fichais de faire l’Eurovision. Cette chanson est restée sur une étagère jusqu’à ce qu’Etienne Daho en 2000 me dise : « tu vas faire cette chanson ». On a trouvé au mixage que ce serait bien de la faire en duo et la chanson existe…
Vous allez vous produire au Bataclan en décembre. Qu’elles ambiances prévoyez-vous ?
Dani : On a voulu une formule cabaret. Pour respecter les espaces et ne pas être serré, on va disposer des tables et des chaises dans la salle. Pour le nouveau spectacles, j’ai trouvé des phrases de femmes qui m’ont intéressée tout au long de mon parcours. Par exemple, l’histoire de Rosa Parks, je dis des choses d’Anaïs Nin ou de Virginie Despentes, qui ont parlé d’amour d’une façon terrible, de Ceija Stojka, une poétesse roumaine que je trouve magnifique. Je dis une phrase de Marilyn Monroe, des mots de Françoise Sagan sur la vitesse…Des lectures qui viendront entre les chansons de l’album.
Entretien réalisé par Victor Hache
- Album « Horizons dorés » – Label Washi Washa/Warner music France