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"Ces gens-là": le nouveau roman de Chico Buarque (c) C Helie

Livres. Immense personnalité du monde auriverde des arts et des lettres, Chico Buarque se glisse, à 79 ans, jusqu’à nous avec « Ces gens-là », un nouveau roman. Dans le quartier huppé, on retrouve un écrivain en panne d’inspiration dans un Brésil à la dérive, au temps tout récent de Bolsonaro. Un roman pétillant, empli d’humour et sérieusement décapant.


« Ces gens-là » de Chico Buarque : Un roman follement pétillant, délicatement humoristique, sérieusement décapant. C’est beau, comme une chanson délicieusement jazzy…


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« Ces gens-là »: un roman follement pétitllant et sérieusement décapant de Chico Buarque (c) C Helie

Il s’appelle Manuel Duarte, vit à Leblon- le quartier huppé de Rio de Janeiro, il est dans la soixantaine et écrivain en panne d’inspiration. Il est aussi et surtout le personnage central de « Ces gens-là », le sixième roman de Chico Buarque- immense personnalité du monde auriverde des arts et des lettres.

Né Francisco Buarque de Hollanda à Rio de Janeiro le 19 juin 1944, il déroule un CV du meilleur effet : chanteur, musicien, écrivain, dramaturge et poète. Il a vécu l’exil en Europe quand les généraux exerçaient la dictature sur son pays et, avec Caetano Veloso, Gilberto Gil, Tom Zé, Maria Bethania et Gal Costa, il a participé à la création du « tropicalisme », ce genre musical qui a électrifié bossa et samba.

Chico Buarque écrivain, c’est toujours Chico Buarque ! D’« Embrouille » (1992) à « Le Frère Allemand » (2016) en passant par « Court-Circuit » (1997), « Budapest » (2005) et « Quand je sortirai d’ici » (2012), c’est encore et toujours des personnages hantés par crises et passé, tentés de prendre la tangente, souvent battus par les soubresauts de la vie.

Il y a aussi, chez Chico Buarque, l’environnement. Ainsi, dans « Ces gens-là », il y a ce Brésil à la dérive puisque le livre est situé entre le 30 novembre 2018 et le 29 septembre 2019, ce Brésil présidé par Jair Bolsonaro pour lequel l’auteur, on s’en doute, n’éprouve pas la moindre sympathie et qui, selon son ex-femme, dirige un « gouvernement de connards et de fils de pute »

« Rio, le 30 novembre 2018. Très cher, ne croyez pas que j’aie oublié mes engagements, cela me peine beaucoup d’avoir une dette envers vous. J’aurais dû vous remettre le manuscrit fin 2015, et trois ans sont passés. Sans doute, le savez-vous, j’ai vécu des tribulations variées : une séparation, un déménagement, une assurance caution pour mon nouvel appartement, des frais d’avocat, une prostatite aiguë… bref l’enfer. Outre ces ennuis personnels, il m’a été fort difficile de me consacrer à des songeries littéraires sans être touché par les événements récents de notre pays », écrit Manuel Duarte à son éditeur.



Voilà bientôt vingt ans, Duarte avait écrit un roman, « L’Eunuque du castel royal », qui avait connu un joli succès. Mais depuis, c’est le néant pour l’écrivain, la panne d’inspiration- et un débit financier qui ne cesse de croître chez son éditeur. Bien évidemment, « j’ai déjà dépensé l’avance que vous m’avez généreusement accordée, et j’essaye maintenant de trouver le calme nécessaire pour ébaucher un ouvrage sur lequel je travaille sans relâche ». Et il faudrait croire Duarte ! Aurait-on affaire à un escroc comme le monde littéraire en connaît (et en produit) tant ?

A défaut d’être dingue, Duarte est paumé. Pris entre son ex-femme et son ancienne amante. La première est traductrice de grand talent mais doit subir les caprices d’un auteur qui refuse ses corrections : « Laissons donc le pianiste avec son accord parfait qui résonne dans le silence du salon ». La seconde n’hésite pas à moquer Duarte : « Quels admirateurs ? Me fais pas rire ».

Duarte et son épouse ont eu un fils, un peu à l’ouest et nécessite donc des « soins particuliers »– la mère planque les petits mots adressés par le fils au père : il faut lui « épargner d’être grammaticalement embarrassé ». Et puis, l’éditeur- un peu filou, un peu marlou, les yeux rivés sur les colonnes comptables- mieux, « au nom de la ‘’patrie littérature’’ », il ne serait pas contre le fait que l’ex-femme revienne avec Duarte qui confie : « Les nuits d’abandon, je vais aux putes, que je paye le double pour baiser sans capote, ou que je paye le triple pour ne pas baiser et leur faire écouter de la littérature ». Au Leblon, quartier huppé de Rio de Janeiro, aux innocents les mains pleines mais les têtes sérieusement tourneboulées….

Maître conteur, pour « Ces gens-là », Chico Buarque s’amuse avec l’écriture. La forme avec des chapitres courts, comme le journal intime entrecoupé de choses diverses, comme les courriers du syndic de la résidence. C’est parfois pathétique avec ce personnage d’auteur à la dérive, c’est le plus souvent follement pétillant, délicatement humoristique, sérieusement décapant. C’est beau, oui, comme « Samba e Amor », comme une chanson de Chico Buarque délicieusement jazzy…

Serge Bressan

  • A lire : « Ces gens-là » de Chico Buarque. Traduit par Mathieu Dosse. Gallimard, 170 pages, 20 €.

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EXTRAIT

« Quand j’ai divorcé pour la première fois, il y a plusieurs années, ma femme m’a traité de machiste et de misogyne. Hors d’elle, elle avait parlé sans réfléchir car, connaissant mieux que personne le sens exact et même l’étymologie de chaque mot, elle savait que ceux qu’elle avait prononcés n’étaient pas corrects. Ce n’est pas mon genre de frapper les femmes, et je n’ai aucun plaisir à blesser leur cœur. Je préfère celles qui m’arrivent déjà blessées par un autre homme ; les femmes trompées, par exemple, les femmes en colère, le visage brûlant. Mais rien ne se compare aux épouses aveuvées, encore jeunes et fidèles… »


 

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