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Jean-Baptiste Andrea, prix Goncourt (à gauche) et Eric Chacour, prix Fémina, en janvier 2024 à Festi'Mots (c) Patricia Bouchet

Interview Jean-Baptiste Andrea et Eric Chacour. Festi’mots est un festival de la lecture à voix haute qui se déroule tous les ans en janvier à Saint-Cyr-au-Mont-d’or, non loin de Lyon. Les invités de Joëlle Guinard et son équipe viennent y lire des extraits de leur plus récent roman, accompagnés par des comédiens ou des musiciens. Jean-Basptiste Andrea, nouveau Goncourt était présent et y a proposé une lecture de son roman en duo avec Eric Chacour, lauréat du prix Femina des lycéens. Ce fut un moment fort de l’ édition 2024. L’occasion pour We Culte d’aller à la rencontre des deux auteurs et d’échanger sur leurs livres respectifs.

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Eric Chacour (à gauche) et Jean-Baptiste Andrea (c) Alain Daltier

Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre ?

Éric Chacour : C’était à la Gare de Lyon, nous nous rendions tous les deux au Festival de Morges Le livre sur les quais, en Suisse. Comme nous étions invités, deux semaines plus

tard, à la même émission de télévision, Jean-Baptiste était en pleine lecture de mon roman et moi du sien. Nous nous sommes retrouvés face à face dans le train et avons discuté pendant tout le trajet. Je venais d’arriver du Québec, où je vis, et j’en étais à mes toutes premières heures de rentrée littéraire. Nous nous sommes découvert plusieurs points communs, il s’est montré plein de bienveillance à mon égard, m’a donné quelques conseils… un vrai coup de foudre humain ! Comme le hasard fait bien les choses, nous nous sommes ensuite recroisés à quatre ou cinq reprises dans différentes villes, au cours des deux semaines qu’a duré mon séjour en France.

Jean-Baptiste Andrea : Je suis allé parler à Éric que j’ai reconnu sur le quai de la gare grâce aux photos qui circulaient au moment de la pré-rentrée littéraire. C’était un 1er septembre. J’étais déjà aux deux tiers de son livre et je lui ai dit « j’adore ton livre ». Je ne suis pas très menteur et si je ne l’avais pas adoré, je ne serais jamais allé lui parler. Cela reste aujourd’hui mon livre préféré de la rentrée littéraire.

Eric Chacour : Moi qui n’étais qu’au début du sien, j’avais l’angoisse inverse ! Le Mimo de son roman devait avoir treize ans au moment de cette rencontre et je ne savais pas grand-chose des émotions qu’il me ferait vivre. J’espérais secrètement que le roman serait à la hauteur de l’humain qui l’avait écrit ; j’ai vécu cette confirmation comme un grand soulagement.

Comment avez-vous abordé tous les deux la conception de vos romans ?

Jean-Baptiste Andrea : Nous travaillons énormément tous les deux la structure de nos livres afin de pouvoir être au plus près des émotions qu’on veut donner à ressentir quand on passe à la phase de l’écriture. Cela nous permet de choisir le mot le plus juste. Chaque phrase peut contenir tout le reste de l’histoire. On a beaucoup parlé ensemble de la structure de nos livres. Et celui d’Éric atteint une sorte de perfection. Il n’y a pas un mot en trop, pas un mot qui manque. Et je me suis dit qu’Éric était comme moi, un type qui travaille la structure.



Quand j’en parle avec d’autres auteurs ou autrices, j’ai remarqué que cela n’est pas la façon la plus commune de procéder. Bien travailler la structure est à mon avis la condition d’un livre réussi. Et la seule chose qui échappe à la structure, c’est le caractère du personnage. Tu sais ce qu’il va faire mais tu ne peux pas dire pourquoi. Contrairement à ce qu’on pense, la structure ne contraint pas mais elle permet l’improvisation et la découverte.

Au départ j’avais la vision de ma statue mystérieuse qui a constitué une sorte de big-bang. C’était un truc très dense et tout petit, et à partir de là j’ai passé huit mois à déployer une histoire. La vision de départ n’était pas forcément une histoire. Construire une histoire, c’est un travail de structure.

Eric Chacour : Je me retrouve dans cette approche. Le plan permet de connaître précisément les actions que vont porter les personnages, celles qui font avancer l’intrigue, mais leurs intentions profondes restent parfois floues. C’est en écrivant que s’affine le caractère de chacun, et tout prend alors sens. Il arrive même que l’on soit touché par l’un d’eux à mesure qu’on entre dans son intimité. Par exemple le personnage de Fatheya, la bonne de mon roman, avait un simple rôle de passeur : elle détenait des informations et j’avais besoin d’elle pour qu’elle les transmette. Mais, à mesure que je l’écrivais, je me suis rendu compte que j’attendais les scènes où elle serait présente. Je l’aimais, elle m’amusait, son drame me touchait, celui d’une femme dont personne n’avait jamais écouté ce qu’elle avait à dire et qui se découvrait sur le tard un auditoire.

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Jean-Baptiste Andrea, Joëlle Guinard, organisatrice de Festi’Mots et Eric Chacour (photo Festi’Mots)

Que représente pour vous l’Italie et l’Egypte, la géographie de vos livres ?

Eric Chacour : Ce roman est une longue lettre d’amour à l’Egypte. Je voulais que cette histoire se passe à une époque contemporaine pour y mettre ce que je connaissais du pays, à travers mes voyages ou les récits de mes parents. C’est d’ailleurs plutôt de leur Egypte que de la mienne dont il est ici question, celle des fins de dîners arrosés quand leurs amis se remémorent les souvenirs d’enfance. « Tu te souviens de ce réveillon où on a fait du camping sauvage devant les pyramides ? ». Entendre ce genre de phrases a nourri mon imaginaire.

Mais je ne voulais pas tomber dans l’exotisme, décrire ce qui accroche l’œil de l’occidental qui la visite. J’avais envie de ce dont on ne parle pas habituellement : la gorge serrée par le sable et les odeurs me frappent chaque fois que je m’y rends.

Jean-Baptiste Andrea : Ce n’est pas le fait ou la vérité qui m’intéresse. Je ne fais donc pas beaucoup de recherches. Ce qui m’intéresse c’est la subjectivité, c’est à dire mon expérience d’une ville. Je choisis donc les lieux en fonction de ce que je connais intimement et des émotions qu’ils ont éveillés en moi. Je ne suis pas documentariste. Je suis souvent allé à Florence et c’est pour ça que j’ai choisi d’en parler. J’y vais depuis que je suis adolescent mais je n’y suis pas allé pendant l’écriture du livre. Je tire les descriptions qui sont dans le livre des émotions que j’ai rapportées de ces voyages à Florence et en Italie.

Eric Chacour : Il n’y a pas eu non plus de grande recherche formelle, de mon côté. C’était beaucoup plus de l’ordre de discussions informelles, une tentative de capter l’air du temps à travers des récits. Les dernières fois où je suis allé en Egypte, j’avais mon livre à l’esprit. Dans les conversations que j’avais avec ma famille, là-bas, je lançais parfois un sujet et je laissais parler ma tante ou ma cousine. Je notais ensuite discrètement sur mon iPhone un détail qui m’avait plu pour ne pas l’oublier.

Quelle rôle joue la grande histoire dans vos livres ?

Éric Chacour : La toile de fond historique est importante. On a essayé tous les deux, Jean-Baptiste comme moi, de nouer la grande histoire avec celle de nos personnages. Je ne suis pas historien mais cela m’amusait de raconter une scène de conquête amoureuse et de la coller sur la guerre des six jours, par exemple.

Jean-Baptiste Andrea : J’ai beaucoup étudié le fascisme lors de mes études, il y a longtemps. Ce qui m’intéresse c’est ce qui reste de ces études au sujet de cette folie humaine. J’ai fait des vérifications mais je ne suis pas dans la recherche historique.

Comme le disait Éric, la grande histoire de nos romans c’est la petite histoire de l’intime. L’histoire de nos personnages est liée aux grands évènements. Mais, même dans les périodes de grands chamboulements, les gens continuent à avoir les mêmes problèmes avec leurs relations amoureuses ou leurs deuils.

L’histoire est là, bien présente. C’est une toile de fond qui n’est pas seulement décorative. Comme nous le sommes nous même, nos héros sont les produits de leur temps. Mes héros sont parfois obligés de faire des choix mais leurs choix sont dictés par leurs intérêts immédiats. Parfois ils font de bons choix, parfois ils sont mauvais.

Est-ce qu’il y a un peu de vous dans vos personnages principaux  ?

Jean-Baptiste Andrea : Non je suis beaucoup plus engagé que Mimo. Je suis très écolo et parfois militant. On a la chance de ne pas être obligé d’affronter des choix comme ceux qu’a du affronter mon personnage. S’il a un côté de moi, ce serait peut-être le côté balourd au grand cœur.

Eric Chacour : Tous mes personnages ont une part de moi ou de ce que j’observe chez les autres. Remarquer un trait de caractère chez autrui, cela dit aussi quelque chose de soi. Peut-être que je partage avec Tarek cette tentation de céder à une vie qui peut sembler programmée pour soi… et une tendance à oublier qu’il faut se méfier des questions simples.

Entretien réalisé par Yves Le Pape

A lire : Jean-Baptiste Andrea « Veiller sur elle ». Editions L’iconoclaste, 580 pages

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