Les livres du week-end. Pour cette semaine de lecture, trois suggestions. On commence avec « Un geste vers le bas » du créateur du Théâtre Zingaro, l’immense écuyer Bartabas, qui nous raconte sa rencontre avec la danseuse et chorégraphe Pina Bausch. On enchaîne avec « L’origine des larmes » du prix Goncourt 2019, le toujours impeccable Jean-Paul Dubois pour un texte empli de tragique et d’autodérision. On boucle la semaine avec « Depuis toujours nous aimons les dimanches » de la délicieuse Lydie Salvayre qui souhaite prôner l’art de la paresse, surtout le dimanche !
BARTABAS : « Un geste vers le bas »
Qu’il passe en Inde, au Japon ou en Irlande ou qu’il se promène dans son théâtre Zingaro en immédiate banlieue parisienne, Bartabas cultive le goût de l’accident. De la rencontre, aussi. Fondateur d’un théâtre équestre unique au monde, il est aussi depuis 2021 écrivain. Et quel écrivain ! ces temps-ci, il publie son troisième et éblouissant livre, « Un geste vers le bas ».
Après « D’un cheval l’autre » et « Les cantiques du corbeau », il évoque cette fois un souvenir datant de 1990. Une rencontre qui va donner naissance à une forte amitié avec l’immense chorégraphe allemande Pina Bausch (1940- 2009).
A l’issue d’un spectacle, celle-ci demande à voir le maître écuyer- il lui présentera le cheval Micha Figa. Pour Bartabas, aucun doute : ce cheval est le partenaire idéal pour révéler la personnalité profonde (et unique) de la danseuse-chorégraphe. Pendant plus de dix ans, ils vont partager une aventure artistique et initiatique.
Mieux, lors de nuits volées, sous la bienveillance du maître écuyer seul témoin, une vertigineuse complicité s’installe entre Pina et Micha Figa- un spectacle devait voir le jour, le destin en a décidé autrement enlevant Pina Bausch à la vie. Une fois encore, avec « Un geste vers le bas », Bartabas prouve qu’il est mieux qu’un grand écrivain…
- « Un geste vers le bas » de Bartabas. Gallimard, 112 pages, 17 €.
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JEAN-PAUL DUBOIS : « L’origine des larmes »
Cinq années de silence éditorial dans la foulée d’un prix Goncourt pour « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon »… et Jean-Paul Dubois s’en revient avec un nouveau roman, « L’origine des larmes ». Critiques enchanteresses, ventes au plus haut- le romancier n’a rien perdu de son talent pendant son absence des grandes librairies et des petites papeteries.
Pour son retour, il emmène lectrices et lecteurs en 2031. Dérèglement climatique, conséquence il pleut… et son héros, Paul Sorensen, en fin de la cinquantaine, file à la morgue près de Toulouse. De deux balles dans le crâne, il y tue son père, Thomas Lanski, rapatrié du Canada où il est mort. Problème pour les flics et la justice : peut-on parler d’un parricide quand le père avait déjà trépassé ? Le juge dit à Paul : retour en France, et un an de traitement psychologique.
Et le voilà donc en séance chez le psy, le Dr Guzman. Au cours des séances de soins, on apprend que le père était une « belle ordure », pourri jusqu’à la moëlle ; que la mère est morte lors de l’accouchement durant lequel un frère jumeau de Paul est mort… Que ce même Paul a hérité de sa belle-mère une petite entreprise de housses funéraires et qu’il a une compagne, une IA (intelligence artificielle) nommée Un.O… C’est tragique, avec des pointes d’autodérision avec un Dubois à son meilleur niveau !
- « L’origine des larmes » de Jean-Paul Dubois. Editions de l’Olivier, 256 pages, 21 €.
LYDIE SALVAYRE : « Depuis toujours nous aimons les dimanches »
Au fil de ses différents livres, elle conseille de « pas pleurer », de « rêver debout ». Elle règle aussi son compte à la maladie et à la haine. Et là, en ce carrefour hiver- printemps, Lydie Salvayre (prix Goncourt 2014) assure que « Depuis toujours nous aimons les dimanches », joli titre-programme pour un texte aussi (im)pertinent qu’impeccable.
Dans un texte qui mêle le drôle, le joyeux et le politique, l’auteure tout en pétillance nous conte sa vénération du dimanche, ce 7ème jour de la semaine, ce jour de pause pour bon nombre. Ce jour de la glandouille, de la paresse- laquelle a « mille vertus » dont celle « aussi de nous ouvrir à la pensée. C’est Henri Michaux qui disait : la paresse permet à l’âme de nager »… Délicieux programme : « lanterner, buller, extravaguer dans un parfait insouci du temps ».
« Vivement dimanche », filmait François Truffaut quand d’autres se contentent de passer leur début d’après-midi dominical sur un canapé rouge… Et Lydie Salvayre de rappeler, convoquant Baudelaire, Proust ou encore l’utopiste Fourier, que la paresse est une « façon légère, gourmande et infiniment libre d’habiter le monde ». Toutefois, l’auteure ne manque pas l’occasion de pointer les « apologistes-du-travail-des-autres », les tenants du toujours-plus-de-fric. Un livre salutaire !
- « Depuis toujours nous aimons les dimanches » de Lydie Salvayre. Seuil, 144 p, 16,50 €.
Serge Bressan