milton hatoum pour son livre le fleuve au milieu des eaux
L'écrivain brésilien Milton Hatoum
La Ville au milieu des eaux de l’écrivain brésilien Milton Hatoum. Un recueil de nouvelles qui longe le rio Negro et fait escale à Manaus, la belle endormie.

 

couverture du livre de le fleuve au milieu des eaux de milton hatoumLa Ville au milieu des eaux
Milton Hatoum, nouvelles traduites du portugais (Brésil) par Michel Riaudel.
Actes Sud, 156 pages, 17 euros
Dans « La Ville au milieu des eaux», l’écrivain brésilien Milton Hatoum déroule une Amazonie plurielle, elle vient se nicher dans des recoins de solitude, de doutes face au passage à l’âge adulte

« Ecrire, c’est mettre un point final », disait l’écrivain argentin Jorge Luis Borges. Dans une nouvelle, le point définit la chute de l’histoire. A la fin de chacune de ses parenthèses narratives, l’écrivain brésilien Milton Hatoum permet au lecteur de devenir le narrateur du récit, un démiurge amateur, d’improviser ce qui aurait pu suivre. Ce qui peut s’écrire comme un plaisir de lecture, soit un temps suspendu pour penser à ce qui a été lu. Ainsi, que se passe-t-il derrière les Vérandas d’Eva ? Le personnage va découvrir dans les bras d’une femme les premiers émois du corps, sa plénitude et la disparition soudaine de cette amoureuse d’un soir. Il la retrouve dans un lieu improbable en mère d’un de ces amis au fin fond d’une fazenda et l’imagination du lecteur de s’enflammer de plus belle. L’intérêt d’un recueil de nouvelles réside dans son unité ou dans sa disparité. Ici, l’entre-deux, l’interstice que représente l’étape de l’adolescence se partage avec l’Amazonie, no man’s land miséreux et fascinant. Le fleuve se lit dans la métaphore d’une fin de vie en la personne d’un scientifique japonais attiré par le rio Negro « à la beauté d’un miroir d’eau ». Ses cendres sont confiées à une amie brésilienne qui aura pour tâche de déchiffrer un idéogramme reçu en cadeau : « Au lieu inconnu, demeure le désir. »

Cette terre charrie d’étranges vaisseaux fantomatiques comme la Princessa dans des paysages au réalisme magique

Laissant ses histoires se clorent sur une énigme à décoder, l’auteur sollicite le lecteur, le rend actif de sa lecture, les phrases et les mots résonnent longtemps en apesanteur, au gré des confluences nocturnes de la ville personnage Manaus. Elle est tour à tour dansante, sensuelle ou recroquevillée sur elle-même comme la famille Doherty dont les filles vivaient dans une réclusion absolue. N’en devenant que plus mystérieuse et lointaine pour le jeune adolescent qui observe l’une d’elle Lyria, l’admire,  la rêve. Cette terre charrie d’étranges vaisseaux fantomatiques comme la Princessa dans des paysages au réalisme magique, «dans ce trou perdu du monde, nous n’avons pas d’autre destin que d’attendre ».
Le dernier lien qui noue ces territoires romanesques est l’écriture elle-même ou du moins la posture de l’écrivain. Zefiro cite à son élève en partance pour Paris Verlaine, Rimbaud, Mallarmé; hanté par par la ville Lumière, il retrouve sa vieille masure où trône la carte de la capitale française, ferme les yeux définitivement sans avoir jamais vu la source de ses pensées poétiques, « le vin et la poésie me nourrissent et me ramènent à Paris » sont ses dernières paroles.
l'écrivain brésilien milton hatoumDans La Ville au milieu des eaux, l’auteur déroule une Amazonie plurielle, elle vient se nicher dans des recoins de solitude, de doutes face au passage à l’âge adulte. Une carte du sensible, une peinture de personnages qui se répondent en écho comme si le jeune homme rêveur se voyait en double, en miroir dans le vieux poète aux illusions vivantes et radieuses. A l’heure où le Brésil risque de renouer avec l’extrême-droite de Jair Bolsonaro, Hatoum nous fait revivre un groupe d’exilés persécutés sous la dictature en 1964. Quand des mots s’incarnent en chair dans l’actualité.

LE MOT DE L’ÉDITEUR ACTES SUD:

À l’épicentre géographique, imaginaire ou affectif de ces courtes nouvelles, délicates et nostalgiques : Manaus, la capitale amazonienne de la démesure, le terreau littéraire de Milton Hatoum – “où que j’aille, Manaus me poursuit”.
Si nombre de ces histoires reflètent les pérégrinations de leur auteur entre Paris, Barcelone ou San Francisco, l’errance physique ou existentielle qui détermine leurs personnages porte le sceau de la nostalgie des origines, du bonheur fugace de l’enfance perdue. Parce que cette ville mythique, à la fois une chance et une fatalité, est celle de l’éternel retour, le pan de mémoire où chacun peut recomposer son existence, elle incarne aussi la défaite face au temps qui passe et les désirs irrémédiablement vaincus.
Manaus est le nom d’espoirs qui naissent et vont mourir dans les vapeurs d’alcool, de sueur – parfois de mambo –, et de rêves qui s’abîment dans les eaux noires et limoneuses du rio Negro.

 

-Lire: Le jour où Proust est tombé en pâmoison devant le «petit pan de mur jaune»: https://www.weculte.com/litterature-2/livre-le-jour-ou-proust-est-tombe-en-pamoison-devant-le-petit-pan-de-mur-jaune/

LAISSER UN COMMENTAIRE

Laissez un commentaires
Merci d'entrer votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.