Le festival de chanson francophone, dont la 29e édition vient de s’achever, est devenu le rendez-vous incontournable des artistes québécois et français qui rêvent de voir se développer les liens culturels entre la Belle Province et l’Hexagone
Lundi 12 juin, Montréal. Au cœur du bouillonnant quartier des spectacles, les Francofolies de Montréal font le plein de festivaliers grâce à une dense et éclectique programmation musicale, renforcée par le 375e anniversaire de la ville et les 150 ans du Canada, le pays de la feuille d’érable. En cet après-midi ensoleillé, Marvin Jouno se produit sur la scène gratuite Coors Light, où il dévoile quelques-unes des chansons extraites de son premier album, Extérieur nuit, paru au printemps 2016. Le chanteur originaire de Saint-Brieuc fait partie, avec Baptiste W. Hamon, des deux artistes français sélectionnés par la Sacem, à l’origine des Rendez-Vous pro, en partenariat avec les Francofolies de Montréal, opération de soutien aux jeunes talents qui a lieu à chaque édition du festival : « L’idée est de présenter des artistes qui représentent la francophonie et ont un potentiel d’exportation sur la scène montréalaise », confie Nathalie Roy, chargée de mission au pôle action culturelle de la Sacem. Un projet qui permet d’accompagner des artistes français pour qui se produire au Québec en terres d’Amérique du Nord est un défi : « À Montréal, il y a toute l’Amérique et, en même temps, il y a la langue qui nous est commune », explique Marvin Jouno, ravi de « représenter modestement la France. Il y a une scène francophone tellement riche au Québec qu’on ne nous connaît pas. C’est vraiment un autre monde avec d’autres critères. Pour chacun de nous, c’est comme si on redistribuait les cartes ». En vingt-neuf ans d’existence, le festival de Montréal est devenu le plus grand événement de chanson au monde où l’on défend avec vigueur l’idée de la francophonie. Une manière de résistance pour la Belle Province et ses 7 millions d’habitants qui continuent de parler français, sans rien céder de leur culture francophone face à la pression anglophone dominante.
« Ici, tout est d’apparence américaine, sauf que tout est écrit en français », remarque François Marry, leader du groupe François and the Atlas Mountains, avant son concert au Club Soda : « On est très excité de venir jouer ici. Le public est chaleureux et il y a une scène musicale très proche de la scène nord-américaine qui est assez décomplexée. Je pense aux groupes Corridor ou Chocolat, qui font une espèce de rock garage chanté en français. Ils ont toujours été très attachés aux racines yé-yé. Ils marquent vraiment le modèle de ce qui va suivre en France. Ils ont une longueur d’avance. »
Le Québec et la France, eldorados pour les artistes français et québécois
Cousins dans l’âme, depuis toujours le Québec et la France feraient presque figure d’eldorados respectifs pour les artistes québécois et français, comme pour les professionnels. Mustapha Terki, ancien directeur du réseau découvertes du Printemps de Bourges, s’est installé ici en 1999, où il a fondé le Montréal Électronique Groove (MEG), le plus gros festival de musiques électroniques de Montréal, qui se déroule chaque été : « L’idée a été de monter l’un des premiers festivals électro, avec le projet de faire un pont entre Paris et Montréal en proposant des artistes qui viennent de France et du monde entier. » Pour la 19e édition du MEG, il compte aller encore plus loin en créant la première Électro Parade, qui aura lieu le 2 septembre, avec en invitée d’honneur la Techno Parade de Paris.
Parmi les temps forts, l’événement cette année a été la création originale Amours, délices et orgues, du talentueux Pierre Lapointe, présentée à la Maison symphonique. Un spectacle expérimental hors des formats habituels se voulant volontairement déstabilisant, qui, avouons-le, ne nous a pas franchement séduit. Il a le mérite néanmoins d’avoir su prendre des risques grâce à une mise en scène audacieuse tenant à la fois du théâtre, de la danse et du design : « Je reste convaincu que, si un artiste envoie son message d’une manière intéressante, explique Pierre Lapointe, il va réussir à aller chercher tout le monde. C’est un exercice que j’ai commencé il y a presque vingt ans d’habituer les gens à venir essayer des choses, à dire : vous n’aimerez peut-être pas ça, ce n’est pas grave, vous allez vivre une expérience. »
Comment percer ici ? S’il n’y a pas de recette miracle, Vincent Frèrebeau, patron du label français indépendant Tôt ou tard, a fait le déplacement aux Francos de Montréal pour annoncer le lancement d’une filiale baptisée Tôt ou tard Canada, gérée par une équipe locale : « On fait ce lancement pour mieux faire connaître notre catalogue ici et le développer, que ce soit en musique enregistrée ou en live. Au Canada, il y a un vivier de talents dingue, observe-t-il. Créer cette filiale, c’est aussi aller à la rencontre de ces talents. C’est un marché dur et assez fermé. Ce qui me plaît, c’est d’offrir aussi à nos artistes une possibilité supplémentaire. Avoir une filiale canadienne, quand on démarre une nouvelle collaboration, c’est pouvoir proposer à un artiste en France d’avoir directement un pont avec le territoire local. » Vincent Delerm, qui a offert un concert de toute beauté au Théâtre Maisonneuve, est bien conscient que, pour se produire au Québec, il faut pouvoir s’adapter : « Souvent, j’ai eu des spectacles qui étaient trop lourds pour qu’on puisse les importer dans le pays. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas avoir la prétention d’aller sur un territoire sans payer de sa personne. Il faut y passer du temps. » Albin de la Simone était lui à la Cinquième Salle. Le chanteur se réjouit pour sa part de la volonté de créer encore plus de passerelles culturelles entre la France et le Canada : « Ça veut dire que nous, on aura plus de visibilité ici et ça va aussi favoriser la venue de plus de Québécois en France. Je trouve cette possibilité d’échange géniale. »
« Ce n’est pas parce que tu es une star en France que tu l’es au Québec »
Florence Jeux, programmatrice des Francofolies de La Rochelle, se déplace ainsi chaque année à Montréal pour sentir ce qui s’y passe musicalement : « Tous les ans, on a entre cinq et dix artistes québécois qui viennent jouer aux Francos de La Rochelle. Parmi eux, cette année, il y aura Safia Nolin, qui a gagné le prix Félix-Leclerc 2016, ainsi qu’un groupe de hip-hop, Alaclair Ensemble, l’une des révélations ici, qui est très québécois dans le format. »
Mettre en valeur la scène québécoise en France, c’est également la volonté d’Élodie Mermoz, fondatrice avec Florent Bony du festival parisien Aurores Montréal, dont la 5e édition se déroulera cette année du 3 au 9 décembre : « Je trouve la scène québécoise extrêmement vivante. Elle n’a aucune gêne à faire du rock avec une écriture plutôt lettrée. Cette année, on va ouvrir à la Philharmonie avec une création hommage à Lhasa (décédée en 2010 à l’âge de 37 ans — NDLR), figure emblématique de Montréal, dont on fêtera bientôt les 20 ans de son album mythique, la Llorona. » Comment trouver sa place de ce côté-ci de l’Atlantique en tant qu’artiste ? Pour Laurent Saulnier, vice-président de la programmation des Francofolies de Montréal, il faut accepter de repartir de zéro : « Ici, il n’y a rien d’acquis. Ce n’est pas parce que tu es une star en France que tu l’es au Québec. Pour réussir à tourner, il faut une réelle volonté d’y développer un marché. » Un signe d’encouragement pour le chanteur français Barbagallo, dont la pop voyageuse et littéraire a fait sensation au Club Soda : « Venir jouer ici pour les Français, c’est un peu la porte d’entrée du continent américain. Le fait que le Québec soit francophone est une opportunité fantastique pour les groupes de France de traverser l’Atlantique. »