Théâtre/Louise Vignaud. Nous avons rencontré Louise Vignaud au festival d’Avignon où elle mettait en scène La tête sous l’eau, un spectacle dont nous avons parlé dans We Culte. L’occasion d’échanger avec elle sur les dix ans de son parcours comme metteuse en scène de théâtre qui l’ont conduite de l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre (ENSATT) jusqu’au théâtre de La Criée de Marseille.
Louise Vignaud : « Depuis toujours je voulais faire du théâtre. J’ai été mordue très vite »
Nous l’avons connu à Lyon où elle a dirigé le Théâtre des Clochards Célestes de 2017 à 2022. Elle a mis en scène au TNP de Villeurbanne Le Misanthrope de Molière, Tailleur pour dames de Georges Feydeau au Théâtre des Célestins de Lyon, Phèdre de Sénèque et Le crépuscule des singes avec la Comédie-Française mais aussi deux opéras, La Dame Blanche de Boieldieu et Zaide de Mozart. Depuis juillet 2022 elle est artiste associée à La Criée – Théâtre National de Marseille que dirige Robin Renucci. Rencontre avec une grande metteuse en scène de théâtre.
Quel a été votre parcours et comment êtes-vous venue à la mise en scène de théâtre ?
Louise Vignaud : Ma grand-mère était professeure de lettres. C’était quelqu’un d’extraordinaire. Elle m’emmenait au théâtre car elle pensait que c’est par le théâtre qu’on apprenait le monde. Il y avait déjà là une vision du théâtre publique, du service public par la culture. J’ai été élevée là-dedans. Mes parents architectes adoraient aussi le théâtre où ils avaient vu tous les grands spectacles de Chéreau. Ils m’y emmenaient souvent eux aussi. C’était un milieu humble mais cultivé, et une chance inouïe. Je parlerai d’ailleurs plus d’un matrimoine, car ça venait plutôt de ma mère.
Depuis toujours je voulais donc faire du théâtre. J’ai été mordue très vite. J’ai commencé à en faire au lycée en autodidacte. Plus tard, alors que je travaillais sur les mémoires du théâtre à l’Institut National de l’Audiovisuel, le metteur en scène André Engel m’a proposé de venir voir sa répétition de La petite renard rusée à l’Opéra Bastille. Je suis rentrée dans la salle et j’ai compris que c’était là que je voulais être, pas dans un bureau ni derrière un ordinateur. J’ai regardé quels étaient les concours qui me le permettraient, et j’ai intégré l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théatre (ENSATT).
Que retenez-vous de votre expérience à la tête du théâtre des Clochards Célestes à Lyon ?
Louise Vignaud : Ça a été une expérience fondatrice de rapport au public, de compréhension de la vie d’une maison, de ce qu’étaient les créations et l’accompagnement des artistes. C’était fabuleux d’avoir un toit, une maison, une équipe avec qui défendre un projet et j’espère bien le refaire un jour.. Mais comme je n’aime pas faire les choses à moitié, je me suis rendu compte qu’avec les propositions de mise en scène que je recevais, je ne pouvais plus être là comme je voulais l’être. Et je suis très contente que Martha Spinoux ait pu prendre ma succession.
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Parlez-nous de votre travail au TNP de Villeurbanne où vous avez mis en scène Le Misanthrope de Molière…
Louise Vignaud : Le TNP a été mon expérience fondatrice et fondamentale grâce à la confiance absolue de Christian Schiaretti, son directeur, et de son équipe qui m’ont accompagnée. Faire partie d’une maison, comprendre comment fonctionne un Centre Dramatique National (CDN), c’était passionnant. Grâce à eux j’ai pu mettre en scène des spectacles avec du monde sur les plateaux, et éprouver des expériences fondatrices pour mon travail. Ça a été un ancrage précieux où j’ai rencontré beaucoup de ceux avec qui je travaille encore aujourd’hui comme Robin Renucci qui m’a proposé plus tard de m’associer au Théâtre de la Criée. C’est là aussi que j’ai rencontré Éric Ruf qui m’a invitée à travailler à la Comédie Française. Et tant d’autres : Michel Raskine, Thomas Rortais, Sven Narbonne, Prune Beuchat, Olivier Borle… dont certains avec qui je travaille encore.
Comment avez-vous vécu cette expérience avec la Comédie Française ?
Louise Vignaud : J’ai pu faire un travail magnifique en deux étapes avec cette magnifique troupe d’acteurs. D’abord il y a eu Phèdre de Sénèque au Studio-Théâtre. C’était la première tragédie que je montais. J’ai travaillé à nouveau avec certains d’entre eux dans Le Crépuscule des singes en juin 2022. La générosité d’Éric Ruf a été incroyable. Il m’avait proposé de participer au 400ème anniversaire de Molière au Vieux Colombier. Je lui ai dit que je voulais travailler sur Boulgakov. Il m’a laissé une carte blanche absolue et c’est exceptionnel comme endroit de travail. On sait qu’on peut chercher et faire ce qu’on a envie de faire. On a écrit Le Crépuscule des singes avec Alison Cosson, une pièce qui parle de la censure et du rôle de l’artiste. Le travail avec la troupe a été formidable. C’était passionnant, et nous avons pu ensemble faire un très beau travail.
Est-il facile de travailler avec de nouveaux acteurs après l’avoir fait avec ceux de la Comédie Française ?
Louise Vignaud : Au plateau j’ai travaillé avec des Rolls-Royce, des comédiens qui jouent beaucoup, qui réfléchissent et proposent, qui travaillent beaucoup. Si je dois travailler maintenant avec des comédiens qui ne fonctionnent pas comme ça, je m’ennuie. Ça me demande donc de trouver des partenaires qui ont cette même exigence de travail. Et il y en a heureusement ! Pour mes prochains projets, j’ai rassemblé une équipe de fidèles compagnons, avec qui j’aime énormément chercher. Ils travaillent comme des fous et aiment se remettre en question. Ils arrivent avec le texte su. C’est une exigence de travail qu’on retrouve d’ailleurs à l’opéra. Cela permet d’aller beaucoup plus loin dans la recherche sur le plateau.
Comment êtes-vous devenue metteuse en scène d’opéras ?
Louise Vignaud : C’est d’abord une rencontre avec Matthieu Rietzler, le directeur de l’Opéra de Rennes, qui était passé par Lyon comme secrétaire général de la Maison de la Danse. Il était venu voir Le Misanthrope que j’avais mis en scène au TNP. Il m’a proposé d’abord de travailler pour la co[opéra]tive, un rassemblement d’opéras et de scènes nationales qui coproduisent ensemble des opéras légers qui peuvent tourner, pour qui j’ai mis en scène La Dame Blanche, un opéra-comique de Boïeldieu. J’ai ensuite adapté et mis en scène Zaïde, un opéra inachevé de Mozart. Pour les deux opéras, j’ai eu la chance de travailler avec Nicolas Simon, un chef formidable avec qui je me suis très bien entendue, car nous avions les mêmes objectifs sur le plateau. C’est extrêmement précieux.
Le travail de mise en scène est-il très différent à l’opéra ?
Louise Vignaud : Ce qui change bien sûr c’est la musique. Car c’est la musique qui décide du rythme. On ne peut pas se battre contre ça. Il faut la laisser s’épanouir et se développer. Il y a donc un travail important de compréhension de la musique, car elle est plus forte. Comprendre ce qu’elle veut raconter pour l’accompagner, la questionner, la raconter. Zaïde est un opéra inachevé, ce qui imposait un gros travail de dramaturgie et de mise en scène avec de la réécriture – et donc un vrai travail théâtral. On a réécrit le livret parlé avec Alison Cosson. Il avait été écrit de façon posthume, et l’opéra ne contenait ni ouverture, ni final, en tout cas écrit par Mozart. Nous avons proposé un conte philosophique moderne inspiré du XVIIe, du rapport à l’autre et à l’ailleurs.
Comment avez-vous monté La tête sous l’eau à Avignon ?
Louise Vignaud : Tous les ans, le Théâtre de La Criée accueille des élèves-apprentis de l’École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille (ERACM) dont toute la promotion est répartie entre plusieurs CDN. J’avais créé La tête sous l’eau de Myriam Boudenia à Lyon en mai 2016 avec le Festival En Acte(s). C’était une opportunité de le retraverser et de développer la mise en scène. C’est un spectacle dédié à la décentralisation, avec les contraintes de légèreté technique et d’efficacité qui vont avec, sans pour autant contraindre le dispositif (vidéo, son, scénographique). Le jouer à Avignon est une expérience formidable pour ces quatre jeunes acteurs, et pour moi la possibilité d’une visibilité de mon travail et de la compagnie.
Comment avec vous vécu le Festival ?
Louise Vignaud : On a beaucoup travaillé pendant le Festival. Les acteurs ont pu trouver la tonalité et le rythme du spectacle, ce que permet une série de représentations comme on le fait à Avignon. C’était aussi une expérience fondamentale par rapport au public. Car qui dit Avignon, dit tractage et rencontre avec le public. Nous prenions le temps de discuter dès que les personnes y étaient disposées, et de vraiment parler du spectacle. C’est aussi l’occasion d’échanger avec les gens sur ce qu’ils viennent faire au Festival, et sur le théâtre qu’ils y cherchent. Beaucoup viennent dans une recherche de divertissement, d’oubli, pour ne pas aller « s’embêter au théâtre » avec des sujets réalises ou compliqués. C’est évidemment tout à fait légitime, mais loin de ce qui me préoccupe. C’était en quelque sorte un choc des réalités, et une expérience tout à fait passionnante.
Tout s’est passé comme vous le souhaitiez ?
Louise Vignaud : On a ressenti un problème du fait de la diversité représentée par les acteurs sur notre plateau. Certains d’entre eux se sont rendus compte qu’on les tractaient jamais par exemple, qu’on n’allait pas vers eux en tant que spectateurs potentiels. La diversité n’est pas partagée par tout le public du festival. Ça a été très violent pour eux. Ce sont de très bons comédiens et comédiennes, qui défendent ici des rôles « normaux », c’est-à-dire où il n’est ni question d’eux, ni de leur origine, ni de leur rapport au racisme. Ça été assez fort pour nous d’affirmer politiquement notre choix de la diversité…
Quels sont vos projets avec La Criée à Marseille ?
Louise Vignaud : Un projet que je porte depuis 2018 va se réaliser en mars 2027. Ce spectacle est une grande fresque que je suis actuellement en train d’écrire : La Rive. Il raconte les destins de quatre femmes d’aujourd’hui autour de la Méditerranée inspirés de quatre tragédies d’Euripide, qui ont des noms de chœursde femmes : Les Troyennes, Les Phéniciennes, Les Suppliantes et Les Bacchantes. À partir de ces chœurs, j’avais envie de tisser une histoire actuelle sur la question des conflits, des murs, des frontières. C’est une pièce pour huit comédiens et comédiennes, dont Rachida Brakni, plus un chœur de femmes amatrices qui sera sur le plateau. C’est un spectacle coproduit par La Résolue, ma compagnie, et le Théâtre de La Criée. Et puis en novembre 2026 je fais un projet plus performatif avec Rachida Brakni, qui s’appellera M à perpétuité. C’est un spectacle autour de Médée et du tabou de l’infanticide, avec du dessin et du violoncelle.
Comment avez-vous commencé à travailler avec Rachida Brakni ?
Louise Vignaud : J’ai vu Rachida jouer la reine dans Ruy Blas à la Comédie Française en 2001 et je ne m’en suis jamais remise ! Je lui ai téléphoné et lui ai dit « je voudrais travailler avec vous ». C’est une rencontre assez fondamentale pour moi. On s’est rencontrée vraiment par la littérature. Je lui ai fait lire un texte que j’avais écrit, elle m’a fait lire Kaddour, un livre bouleversant qu’elle a écrit sur son père. Puis on s’est rencontrées sur le plateau, car on a commencé à travailler les projets tous ensemble en novembre 2024. Et tout ceci n’est que pure joie.
Entretien réalisé par Yves Le Pape