Toutes les musiques de We Culte. Avec « Regarder passer les trains », Cyril Mokaiesh signe un retour puissant et nécessaire. Dans ce morceau coup de poing, le chanteur confronte la réalité d’une époque saturée par les algorithmes et l’hyper-production musicale, mais choisit de transformer le désenchantement en énergie créatrice. Entre autoportrait sensible et chronique de son temps, il ouvre la voie à son nouvel album « Bonne chance pour la suite », prévu pour 2026, qui promet d’allier lucidité et ferveur.
Un hymne à la persistance artistique et à l’intelligence profondément humaine, à découvrir dès maintenant en chansons et en images dans le clip tourné à La Défense Arena.
Cyril Mokaeish : « Regarder passer les trains » est à la fois un brûlot, une confession intime et un autoportrait d’époque. Il réaffirme la valeur de l’intelligence humaine dans un monde qui semble vouloir l’oublier.
Dans le paysage de la chanson française, Cyril Mokaiesh occupe depuis quinze ans une place à part. Ni tout à fait dans la tradition, ni tout à fait hors cadre, l’ancien tennisman de haut niveau devenu poète enragé avance avec la même intensité qu’à ses débuts, lorsqu’il surprenait le public en 2011 avec Communiste. Depuis, il n’a cessé de cartographier ce qu’il appelle lui-même un « monde intranquille » : celui des désillusions politiques, des colères sociales, des combats perdus d’avance mais aussi des amitiés et des élans d’amour qui empêchent de céder au cynisme.
L’ère du trop-plein
Avec Regarder passer les trains, prélude à son prochain album, Mokaiesh frappe fort. Le morceau n’est pas seulement une chanson d’humeur : il est le symptôme d’un mal plus large, celui d’une création musicale engloutie par son propre excès. Plus de 120 000 titres sortent chaque jour sur les plateformes de streaming, dont une proportion croissante conçue par des intelligences artificielles. Dans ce flux incessant, tout semble interchangeable, jetable, privé de valeur. Que devient alors la voix singulière d’un artiste ? À quoi sert de s’exposer, de douter, de créer encore, si l’algorithme impose ses règles et relègue l’humain à l’arrière-plan ?
Cyril Mokaiesh ne se contente pas de poser la question : il la transforme en musique. Sur un piano martial, il livre un autoportrait sans fard, mi-parlé mi-chanté, entre constat amer et autodérision. La citation de Vincent Lindon – « Je fais de mieux en mieux un métier que j’aime de moins en moins » – donne le ton. Mais là où d’autres céderaient à la résignation, lui choisit l’ironie, la lucidité et, finalement, une forme d’espérance.
Entre coup de poing et caresse
Il faut dire que Mokaiesh n’a jamais cessé d’explorer différents territoires. Clôture (2017) marquait la fin d’un cycle introspectif ; Paris-Beyrouth (2020) mêlait électro et musiques traditionnelles pour renouer avec ses racines libanaises ; Dyade (2021) multipliait les duos avec ses pairs ; Le temps de vivre (2023) rendait hommage à Georges Moustaki. Chaque disque, chaque détour enrichit son art, sans jamais diluer sa voix. Regarder passer les trains concentre aujourd’hui toutes ces expériences, comme une somme : chanson d’amour, brûlot, confession intime et autoportrait d’époque à la fois.
Le morceau ne sombre pas dans l’amertume : il invite à continuer, malgré tout. Il parle aux outsiders, aux seconds couteaux, à ceux que le système invisibilise. Il encourage à douter mais à rester debout, à reconnaître la place des autres sans céder à l’envie. Bref, il réaffirme la valeur de l’intelligence humaine dans un monde qui semble vouloir l’oublier.
Un « monde intranquille », une foi persistante
Cyril Mokaiesh n’a jamais cessé d’écrire, poussé par l’urgence de se sentir vivre. Sa rencontre avec Anne Sylvestre l’avait conforté : « Écrire pour ne pas mourir », lui avait-elle soufflé. Avec Regarder passer les trains, il reprend ce flambeau, conscient que l’époque est ingrate mais convaincu que la seule manière d’exister, c’est de continuer à chanter.
Et si la chanson se conclut sur un ironique « Bonne chance pour la suite », elle résonne moins comme une fin que comme une main tendue. Un vœu bienveillant à tous ceux qui, dans ce monde saturé d’images et de sons standardisés, choisissent encore la fragilité de la voix humaine.
Victor Hache