Le Book club de We Culte. Avec « Vertu et Rosalinde », Anne Serre, lauréate du Goncourt de la nouvelle 2020, signe un autoportrait fragmenté où l’identité se dédouble dans un jeu de miroirs troublant et fascinant. Trente tableaux dans lesquels la frontière entre fiction et réalité s’estompe délicatement.
« Vertu et Rosalinde » d’Anne Serre : un autoportrait fragmenté où l’identité se dédouble dans un jeu de miroirs troublant et fascinant
Un escalier, Une maison ou encore Un lacet. Trois fragments parmi une trentaine qui mêlent habilement fiction et réalité pour créer une singulière étrangeté. Ainsi cet escalier en colimaçon qui mène à une cave parisienne pour une rencontre littéraire devient rapidement la métaphore d’une exploration des profondeurs psychiques, où l’angoisse affleure et transforme le quotidien en expérience inquiétante. « J’avais l’impression de m’enfoncer dans un puits ».
Puis vient la route où se promènent des hommes terrifiants avant qu’elle ne devienne enchantée, la maison de l’amie Madeleine qui révèle une conscience en perpétuel mouvement. « Je l’imagine dans son salon qui est plus grand que mon petit appartement parisien, elle est assise sur son sofa, de trois quarts dos, et l’ensemble ressemble trait pour trait à un tableau de Matisse ».
L’imagination de la romancière transforme ainsi son séjour en œuvre d’art, en refuge esthétique contre l’angoisse du monde. Chaque épisode fonctionne comme une sonde jetée dans l’inconscient.
Ces trente courts tableaux qui transforment constamment le réel en fiction protectrice, brouillent les frontières entre vécu et imaginé forment au final un autoportrait d’une envoûtante étrangeté. Chaque fragment fonctionne comme un éclat de miroir, reflétant une facette différente de la narratrice.
L’écriture d’Anne Serre révèle une maîtrise remarquable de l’art de la suggestion. Elle ne raconte pas, elle fait ressentir. Collectionneuse d’images mentales, elle montre comment l’esprit humain transforme constamment le réel en matériau de survie, guidant le lecteur dans un labyrinthe psychologique où chaque révélation en cache une autre.
Si l’histoire de Vertu et Rosalinde peut sembler anecdotique, elle révèle en réalité des vérités profondes sur notre rapport à nous-mêmes et aux autres.
Mais ces lignes peuvent aussi se lire comme une réflexion sur les masques que nous portons et sur la multiplicité de nos identités, en questionnant les limites entre soi et l’autre.
Un roman qui s’inscrit naturellement dans l’œuvre de l’autrice qui aime transformer l’anecdote personnelle en méditation universelle sur l’art, l’amitié et la création ou encore revisiter la tragédie antique. Révélateur du fantastique de notre quotidien, ce court roman offre une expérience de lecture singulière, marquée par cette « inquiétante et envoûtante étrangeté ».
Henri-Charles Dahlem
- « Vertu et Rosalinde » Anne Serre. Éditions du Mercure de France. Roman 160 p., 18 €. Paru le 21/08/2025
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A propos de l’autrice
Née en 1960, Anne Serre est l’autrice de dix-huit ouvrages de fiction. Finaliste de l’International Booker Prize 2025 avec la traduction en langue anglaise de son roman Un chapeau léopard (Mercure de France, 2008, prix de la Fondation Cino Del Duca 2008), elle a reçu le Prix Goncourt de la nouvelle en 2020 pour le recueil Au cœur d’un été tout en or. Ses livres sont aujourd’hui traduits et en cours de traduction dans une quinzaine de pays. En 2024, son travail a fait l’objet d’un colloque universitaire (Poitiers) sous la direction d’Alix Tubman-Mary qui le définit ainsi : « La fantaisie et le nonsense anglais, le grotesque fellinien, l’expressionnisme cru et violent de certaines écritures masculines ou féminines d’Autriche ou d’Europe centrale, rejoignent dans la sensibilité et l’écriture d’Anne Serre, un non-conformisme radical, sans concession vis-à-vis des stéréotypes du moment ». (Revue Europe, janvier 2021). Anne Serre vit et travaille à Paris. (Source : Éditions du Mercure de France)
