Le Book Club de We Culte/« Haute-Folie ». Dans un roman plein de bruit et de fureur, de silences et de secrets, Antoine Wauters raconte les drames qui ont frappé la famille de Blanche et de Gaspard. Et comment leur fils Joseph, après une longue guerre errance, à retrouvé ses racines. Une quête bouleversante.
Haute-Folie : un roman qui console autant qu’il bouleverse. Un livre nécessaire sur la mémoire, l’identité et la transmission du malheur
Un soir d’orage, Gaspard assisté impuissant à l’orage qui va provoquer l’incendie de leur ferme de Haute-Folie que son ivrogne de père à oublié d’assurer. Blanche, son épouse, le verra essayer de lutter toute la nuit avec des moyens dérisoires avant de devoir constater, épuisé, qu’il ne reste que des ruines fumante, quelques oies et huit vaches. Les bêtes et la famille vont trouver asile chez Léo, le frère de Gaspard, et sa femme Anna, le temps de se retourner.
Et pendant que Gaspard cherche un nouveau travail pour nourrir les siens et reconstruire la ferme, Blanche s’occupe de leur fils Josef, né alors que la ferme familiale brûlait.
Quand Jungker offre à Gaspard un pécule lui permettant de lancer les travaux de reconstruction à condition qu’il rénové l’aile ouest de sa ferme, il entrevoit le bout du tunnel. Mais une fois les travaux terminés, il lui offre de lui racheter ses huit vaches en échange d’une somme conséquente. Gaspard va finir par accepter et débuter la reconstruction.
C’est au moment où la famille fête la naissance de leur fille que Jungker débarque avec des hommes de main, exigeant d’être remboursé sous prétexte que ses vaches étaient malades et mourraient l’une après l’autre.
Face à l’injustice Léo ne décolère pas, mais son frère finit par obtempérer et rembourse l’escroc.
Ce faisant, il signe son arrêt de mort. Après avoir tenté en vain de trouver un nouveau travail et sauver sa ferme, il fait le constat de son échec et se pend à la poutre de la grange en laissant un mot pour demander pardon. À côté de sa tombe viendra s’ajouter celle de sa fille, emportée par la maladie.
Un peu plus tard Jungker est retrouvé égorgé au côté de Blanche, qui s’est donné la mort après s’être vengée.
Aux côtés de Léo et Anna, ses parents adoptifs, Josef va grandir en essayant d’occuper ce lourd passé. Seulement voilà, il côtoie un oncle qui ne se pardonne pas la perte de son frère et va sombrer à son tour.
Et quand l’amour vient mettre du baume sur son cœur meurtri avec l’arrivée de Fermine, une jeune fille venue seconder Anne à la ferme, la guerre vient mettre un trait brutal sur leur relation. Il s’enfuit et va chercher à écrire une nouvelle histoire, loin de la Haute-Folie du monde.
Mais ce fantôme reste hanté par ses autres fantômes. Ce roman se lit presque en état de transe. Les mots touchent le cœur et l’âme. Wauters cisèle chaque phrase avec un souci constant du mot juste. Qu’il décrive « les corymbes du pommier changés en brandons roux », les tourments de l’âme ou « l’amour dans les fougères », sa langue irradie.
On pense à Madelaine avant l’aube de Sandrine Collette. Même force des liens familiaux. Même puissance du lieu. Même écriture éblouissante au service d’une tragédie rurale. Mais Wauters va plus loin dans l’exploration de la mémoire. Il écrit depuis « une petite chambre à cheval entre mémoire et oubli ».
Car ce livre pose une question vertigineuse : comment vivre quand toute sa lignée s’est tue ? « Certains êtres ne nous quittent pas, même quand ils meurent », affirme le narrateur. « Ils disparaissent, or ils sont là. » Les morts parlent à travers les vivants. Les lieux hantent ceux qui les ont fuis. « Je ne suis pas loin de croire que ce sont eux qui écrivent nos vies. »
Après Nos mères (Prix Victor Rossel 2013), Pense aux pierres sous tes pas, Ténèbre, et surtout Mahmoud et la montée des eaux (2021), Antoine Wauters s’impose comme une voix majeure de la littérature belge et francophone. Son écriture, d’une densité poétique rare, explore les failles de l’intime et les blessures transgénérationnelles.
Dans ce livre puissant, Josef chemine vers une forme de pureté en se défaisant progressivement « des oripeaux du monde et du poids de sa lignée ». L’errance devient quête. Le silence, parole.
La version audio, dite par Alexandre Pallu, magnifie cette traversée des ténèbres. Sa voix rend la gravité et la force du roman avec une justesse de ton remarquable. Elle donne chair aux fantômes. Elle fait résonner la beauté tragique de ces personnages confrontés au mal de vivre.
Haute-Folie est un roman qui console autant qu’il bouleverse. Un livre nécessaire sur la mémoire, l’identité et la transmission du malheur. Une œuvre lumineuse.
Henri-Charles Dahlem
- Haute-Folie Antoine Wauters. Éditions Gallimard. Roman 176 p., 19 €. Paru le 21/08/2025

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A propos de l’auteur

Antoine Wauters est notamment l’auteur, aux Éditions Verdier, de Mahmoud ou La montée des eaux (prix Wepler – Fondation La Poste, prix du Livre Inter) et, aux Éditions du sous-sol, du Musée des contradictions (prix Goncourt de la nouvelle). Son œuvre est traduite dans de nombreux pays. (Source : Éditions Gallimard)





