« Anatomie d’une chute » : Radiographie de la décomposition d’un couple

Sortie cinéma. La voici donc cette Palme d’or du dernier Festival de Cannes, sur les écrans ce mercredi 23 août: dans « ANATOMIE D’UNE CHUTE », un corps tombe dans le vide et s’écrase au sol mais c’est l’implacable décomposition d’un couple que filme avec minutie la réalisatrice française Justine Triet.

Sandra (Sandra Hüller), écrivaine allemande reconnue, et son mari français Samuel (Samuel Theis), professeur et écrivain lui aussi, vivent depuis deux ans dans un chalet isolé, à la montagne, avec leur fils Daniel, 11 ans (Milo Machado Graner), aveugle depuis l’âge de 4 ans.

Un jour, celui-ci va se promener avec son chien, alors que sa mère est interviewée par une étudiante et que son père fait des travaux dans les combles du chalet de deux étages, avec la musique à fond. Quand il revient de sa promenade, il entend toujours la musique mais trouve devant la maison le corps de son père, mort d’une chute.

Indices troublants

Accident, suicide, meurtre? Les enquêteurs trouvent des traces de sang pas compatibles avec la chute et une lésion à la tête antérieure à la chute. Constatent que Sandra a un bleu au bras. Et découvrent sur une clé USB l’enregistrement d’une violente dispute du couple datant de la veille de la mort.

Sandra fait donc figure d’accusée, et fait appel à un ami avocat, Vincent (Swann Arlaud), pour assurer sa défense. Elle se retrouve jugée lors d’un procès dans lequel elle va devoir se confier sur son travail, sa sexualité, sa maternité, mais surtout révéler peu à peu les dysfonctionnements de son couple depuis plusieurs années. Et dans ce processus judiciaire, le témoignage de son fils Daniel va se révéler crucial…

La chute d’un couple

« Je souhaitais faire un film sur la défaite d’un couple. L’idée, c’était de raconter la chute d’un corps, de façon technique, d’en faire l’image de la chute du couple, d’une histoire d’amour », explique la réalisatrice, 45 ans, dont c’est le quatrième film après LA BATAILLE DE SOLFÉRINO (2013), VICTORIA (2016) et SYBIL (2019).

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La construction de ce film de deux heures et demie est une mécanique de précision, dans laquelle les différents éléments de l’histoire se succèdent méthodiquement, sobrement, sans flash-back (à une exception près, la scène de dispute). Le suspense psychologique est constant, et on se demande si on saura la vérité à la fin –mais c’est presque secondaire tant l’histoire de la déliquescence du couple occupe toute la place.

Le personnage de l’enfant

Et dans cette bataille du couple le personnage de l’enfant est au centre du film. « Ce couple a un fils qui découvre l’histoire de ses parents dans un procès –procès qui dissèque méthodiquement leur relation– et ce garçon passe du stade de l’enfance, incarné par la confiance absolue envers sa mère, à celui du doute. Et le film va regarder ce passage », dit Justine Triet.

Les scènes de procès sont longues et nombreuses, mais à chaque fois passionnantes, avec une jouissance de la joute verbale exprimée par un avocat général (Antoine Reinartz) brillamment offensif, aux questions d’une puissance dévastatrice.

Sandra Hüller superbe

Cela contraste avec la sobriété, le calme, la retenue du personnage de Sandra, complexe et presque mystérieux, superbement interprété par l’actrice allemande Sandra Hüller, que le public français avait découverte dans le bon film TONI ERDMANN en 2016 et que Justine Triet a fait tourner dans SYBIL.

« Elle imprime chimiquement le film comme peu d’acteurs », dit d’elle la réalisatrice qui, au Festival de Cannes en mai dernier, est donc devenue la troisième femme à obtenir la Palme d’or, après la Néo-Zélandaise Jane Campion en 1993 pour LA LEÇON DE PIANO (ex-aequo avec le Chinois Ken Kaige pour ADIEU MA CONCUBINE) et la Française Julia Ducournau en 2021 pour TITANE.

Buzz sur la Croisette

Passé le buzz déclenché par son discours très politique lorsqu’elle a reçu son prix sur la Croisette, les spectateurs vont pouvoir maintenant, dans les salles, juger de la qualité de cette ANATOMIE D’UNE CHUTE.

Un film sans artifice ni envolée mais puissant et sérieux, qui lui vaut –il faut éviter les comparaisons, même si chaque époque a le cinéma qu’elle mérite– de figurer sur la liste des Palmes d’or au même titre que LA DOLCE VITA, UN HOMME ET UNE FEMME, TAXI DRIVER ou DANCER IN THE DARK.

Jean-Michel Comte

LA PHRASE : « Parfois, dans un couple, c’est le chaos » (Sandra, lors de son procès).

• A voir :« ANATOMIE D’UNE CHUTE » (France, 2h30) Réalisation: Justine Triet. Avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner (Sortie 23 août 2023)

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