« L’Engloutie » : Un huis clos montagnard entre raison et légendes

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"L'Engloutie" : Aimée (Galatea Bellugi) arrive dans un hameau enneigé des Hautes-Alpes pour faire l'institutrice pendant l'hiver (©Take Shelter/Arte France Cinéma).

Sortie cinéma/L’Engloutie. Un hameau sous la neige tout là-haut dans les montagnes, des villageois qui se rassemblent autour d’un feu de cheminée, un personnage extérieur qui débarque, le réveillon qui approche: non, L’ENGLOUTIE (mercredi 24 décembre sur les écrans) n’est pas un conte de Noël, c’est un film blanc et sombre, intello et mystérieux, atypique.

L’ENGLOUTIE est le premier long-métrage de Louise Hémon. Il a été présenté à la Quinzaine des cinéastes lors du dernier Festival de Cannes.

C’est la fin de l’année 1899. Par une nuit de tempête, Aimée (Galatea Bellugi), jeune institutrice républicaine, arrive dans un hameau enneigé perché dans les montagnes des Hautes-Alpes.

Le hameau, composé de quatre maisons, est habité par des hommes, des enfants et des femmes âgées. Les mères et épouses passent l’hiver dans la vallée, comme domestiques. Aimée est donc venue s’occuper de l’éducation et de la santé des quatre enfants du hameau.

Patois occitan-alpin

Sa maison, un peu à l’écart, est en partie une étable, elle dort à côté des vaches. Malgré les réticences initiales des habitants, dont certains ne parlent que le patois occitan-alpin, la jeune femme veut leur enseigner le savoir (lecture, écriture, géographie) et la logique cartésienne.

« Lire et écrire, c’est penser par soi-même et ne pas se faire avoir », dit-elle aux enfants. Mais quand elle écrit les histoires et légendes qu’on lui raconte, elle court le risque de les faire disparaître, lui reprochent les vieilles, qui brûlent son cahier.

Vie recluse

Tant bien que mal Aimée s’habitue à cette vie recluse. Quand le doyen, pépé Jupiter, meurt, on place son cercueil sur le toit en attendant les beaux jours car le sol est trop gelé pour qu’on l’enterre. Au réveillon du passage à l’an 1900, on fait rôtir un chamois, on chante et on danse autour du feu de cheminée.



Mais, alors que la jeune institutrice s’éveille à la sexualité, sous les regards un peu intéressés de deux des jeunes hommes du hameau, Pépin (Samuel Kirchin) et Enoch (Matthieu Lucci), une première avalanche vient frapper le hameau…

Premier film

Présenté à la Quinzaine des cinéastes lors du dernier Festival de Cannes, L’ENGLOUTIE est le premier long-métrage de Louise Hémon, 42 ans, qui jusqu’à présent avait réalisé des documentaires et des mises en scène de théâtre. Le film s’inspire en grande partie de faits et de récits transmis au sein de sa famille. « Du côté de ma mère, je suis issue d’une famille où se sont succédé plusieurs générations d’institutrices, envoyées pour leur premier poste dans des villages alpins coupés du monde durant les longs mois d’hiver », explique-t-elle.

« Comme Aimée, ces jeunes femmes, animées par un idéal laïc et républicain, étaient missionnées pour apprendre aux enfants à lire et écrire… avant que la neige ne fonde et qu’ils ne retournent aider leurs parents aux travaux agricoles. Mon imaginaire a donc baigné dans ces histoires d’hivernage ».

Acteurs non-professionnels

Elle a tourné avec quelques acteurs professionnels au milieu de non-professionnels, de véritables montagnards, éleveurs de brebis, parlant le patois occitan-alpin. Et le tournage, dans la neige, n’a pas été de tout repos: « Avec le réchauffement climatique, on a dû tourner plus haut que prévu, à près de 2.000 mètres d’altitude, pour être sûrs d’avoir un bon niveau de neige ».

La jeune actrice Galatea Bellugi, remarquée notamment dans Chien de la casse et La Condition, est convaincante et énergique dans ce rôle d’institutrice engagée, plongée dans des scènes sombres à l’intérieur des maisons et illuminées par la neige à l’extérieur, sous une bande-son baroque et envoûtante et dans des décors naturels superbes.

L’ENGLOUTIE est un film à petit budget mais de qualité, qui respire l’authenticité, sobre, singulier, parfois austère, rustique, naturaliste mais intrigant, cérébral et contemplatif, dont l’atmosphère importe plus que les événements qui s’y déroulent. Quoique.

Huis clos hivernal et montagnard

Car dans ce huis clos hivernal et montagnard, pendant une heure il ne se passe pas grand-chose, les personnages s’ennuient autant que les spectateurs, puis dans la dernière demi-heure le film change un peu de direction. Le personnage d’Aimée, assez sage et conventionnel au départ, suscite peu à peu l’interrogation.

Ce qui donne lieu à un épilogue troublant: fin réelle ou allégorique, naturalisme ou fantastique, chronique ou conte, blanche comme neige ou sorcière cachée? « Tout reste possible », répond la réalisatrice. « Je cherche à créer de l’incertitude, c’est ce que j’aime au cinéma. (…) Avec L’Engloutie, j’ai voulu réaliser un film qui se poursuit dans la tête du public quand les lumières se rallument. Quand ça flotte dans la tête, j’adore ça ». Nous aussi.

Jean-Michel Comte

LA PHRASE : « Le temps passe différemment pour chacun » (Aimée).

  • L’Engloutie (France, 1h37). Réalisation: Louise Hémon. Avec Galatea Bellugi, Matthieu Lucci, Samuel Kircher (Sortie 24 décembre 2025)

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