stadium spectacle
"Stadium" : une formidable performance documentaire sur le monde des supporters du club de football de Lens © Yohanne Lamoulère

Spectacle/Interview. A Lyon le Théâtre de la Croix-Rousse vient de présenter « Stadium », une « performance documentaire » de Mohamed El Kathib, dramaturge et metteur en scène, que We Culte a rencontré. Un spectacle qui nous entraîne dans le monde des supporters du club de football de Lens. C’est passionnant et on en apprend énormément sur le public passionné qui fréquente assidûment le stade Bollært où se joue les matchs du RC Lens. On découvre aussi le milieu des « ultras » lensois, cette organisation de supporters les plus enthousiastes du club. Mais « Stadium » est aussi un spectacle joyeux et très émouvant à l’image de ce public populaire et familial qui vit avec son club depuis des décennies. Entretien.


« Stadium »: Voir des familles entières que le foot réunit, c’est très beau » (Mohamed El Khatib, metteur en scène du spectacle)


« Stadium » : le peuple du foot © Yohanne Lamoulère

« Stadium » a été créé en 2017 et joué déjà plus de 150 fois. Le spectacle est réalisé avec 3 comédiens professionnels et 55 amateurs originaires de Lens. Il a été présenté plusieurs fois à l’étranger et en juin dernier à San Paolo au Brésil avec la participation de supporters des Corinthians, l’équipe locale. Cette façon de travailler est d’ailleurs utilisée chaque fois que c’est possible, y compris à Lyon où une dizaine de figurants était issue du Football Club de la Croix-Roussse, l’idée étant de créer un lien avec le public local dans les villes où il y a une culture footballistique. La troupe est en partance maintenant vers le festival de Naples et parmi les prochaines dates françaises il y aura le 23 septembre l’ouverture de la saison à Bonlieu, la scène nationale d’Annecy.

Le spectacle n’a presque pas changé depuis sa création en 2017, si ce n’est que les participants ont maintenant 6 ans de plus. Un des personnages est décédé, une autre ne peut plus se déplacer. Les autres posent des congés sans solde s’ils ne sont pas au chômage. Et une institutrice a été embauchée pour assurer la classe aux enfants. Tous ces amateurs sont rémunérés, y compris les enfants qui participent au spectacle, mis en scène par Mohamed El Khatib. Entretien.

stadium mohamed el khatib
« Stadium » : auteur et metteur en scène du spectacle Mohamed El Khatib (c) © Yohanne Lamoulère

Comment avez-vous été conduit à réaliser ce spectacle ?

Mohamed El Khatib: J’ai fait du football et j’étais fasciné par le spectacle en tribune, par l’énergie et la générosité qu’on y voit et aussi par la mixité sociale qu’on retrouvait dans les stades. Comme j’étais aussi amateur de théâtre et que je n’y retrouvais pas cette mixité et cette ferveur, j’ai voulu réconcilier ces deux passions.

Comment avez-vous choisi le Racing Club de Lens ?

Mohamed El Khatib: Je suis très sensible à la culture ouvrière du bassin minier. Il y avait donc deux clubs qui me fascinaient, celui de Lens et celui de Saint Etienne, des villes de prolétaires où il y a une vrai culture populaire. Il y a peu de club qui ont comme ceux-là une culture ouvrière et populaire.

Quelle a été votre façon de travailler pour construire ce spectacle ?

Mohamed El Khatib: On a commencé par deux ans d’immersion. On allait voir des matchs au Stade Bollaert et interviewer des gens sur place. On passait des moments avec eux au café ou au stade en passant d’une famille à l’autre. On a engrangé beaucoup de témoignages. A partir de là tout ce qui, pendant le spectacle, est à l’écran en vidéo, c’est 100% documentaire. L’analyse du capo, le leader des ultras, est passionnante quand il parle de la crise du bassin minier de 1990 et de la façon dont le bassin a été déserté sans aucun plan de réindustrialisation. Aujourd’hui on en paye le prix avec 40% de taux de chômage.



Avez-vous séparé totalement l’aspect documentaire et le spectacle lui-même ?

Mohamed El Khatib: Plusieurs des personnes qui apparaissent à l’écran deviennent des personnages sur la scène. Un maire participe à deux dates sur 3 et parle de sa commune qui passe du parti communiste au Front National et il en donne les raisons politiques. Il explique pourquoi des gens qui votaient à Gauche en 2017 votent extrême droite en 2022. Il fait la liste de toutes les capitulations de la gauche depuis le traité européen, la désindustrialisation, et comment les mesures néo-libérales ont un impact plus important dans ces zones là. La disparition des services publiques, à Lyon ou à Paris on n’en est pas affecté. Dès qu’on sort des métropoles c’est très douloureux et les gens se referment sur des questions identitaires.

Le RC Lens est-il un cas particulier dans le football français ?

Mohamed El Khatib: Il y a des endroits où c’est très différent comme à Lyon et à Nice où on a d’avantage à faire à des groupuscules d’extrême-droite. Mais on retrouve une situation équivalente à celle de Lens dans des clubs historiques où il y a un vrai engagement et une culture populaire. C’est le cas par exemple à Nantes, Strasbourg et Saint Etienne.

Qu’est ce qui vous a le plus touché et intéressé dans votre travail d’enquête au sein du public lensois ?

Mohamed El Khatib: C’est d’abord son hospitalité. Ce sont des gens qui n’ont pas grand chose et qui partage tout. Voir des familles entières que le foot réunit, c’est très beau. Et, de façon plus politique, c’est le combat des ultras qui m’était un peu étranger. Ils font un vrai travail militant contre la privatisation des stades. Or certains d’entre eux, sans même avoir accompli le moindre acte répréhensible, se retrouve interdits de stade de façon préventive. Les stades sont devenus des laboratoires sécuritaires et ce qui se joue là on le paye ensuite ailleurs dans la société. Ca n’est pas un combat populiste et c’est extrêmement structuré. C’était rassurant de voir ça. Ils ont un discours construit contre les dérives néo-libérales et contre la gentrification des stades. Aujourd’hui par exemple en Angleterre, les prolos ne peuvent plus aller voir jouer Manchester parce que les abonnements sont à 1700 euros.

Entretien réalisé par Yves Le Pape

  • Zirlib, la compagnie, 108 rue de Bourgogne, 45000 Orléans, structure@zirlib.fr

LAISSER UN COMMENTAIRE

Laissez un commentaires
Merci d'entrer votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.