Le Book club de We Culte/« Au temps de ma colère ». Dans ce nouveau livre à la narration très originale, Camille de Toledo mêle quête intime, souvenirs de jeunesse et réflexion sur l’évolution de nos sociétés entre deux dates charnières, la chute du mur de Berlin et celle des Tours jumelles à New York.
Camille de Toledo : Mêlant habilement documentaire et fiction, texte et images, l’auteur nous offre une vision saisissante de son et de notre évolution depuis la fin du siècle dernier
Deux dates, deux symboles, deux repères historiques : d’abord, en 1989, la chute du mur de Berlin, un certain 9/11. Puis, en 2001, l’attaque contre les deux tours du World Trade Center à New York, un certain 11/9. Deux dates qui forment les pôles autour desquels s’articule cette quête : le symbole de la fin d’une époque et de l’effondrement des idéologies, et l’entrée dans un nouveau siècle de peur et d’incertitude.
Si ces deux événements servent de toile de fond à la réflexion de l’auteur sur les bouleversements du monde contemporain, ils forment aussi les points de repère d’une quête plus intime, celle de la re-découverte d’écrits de jeunesse et la force de ses engagements.
S’il n’avait que 14 ans quand Berlin célébrait en liesse la réunification d’une ville puis d’un pays, c’est un jeune homme dans la force de l’âge qui assiste à la chute des Twin Towers. Un événement qui va le conforter dans son analyse. Le jeune homme d’alors n’a jamais cru à la Fin de l’histoire décrétée par Francis Fukuyama et de ses disciples affirmant haut et fort que le capitalisme avait vécu.
Il voit bien la montée des périls, l’arrivée de nouveaux conflits, la fin d’un monde à bout de souffle. Devenu JRI, journaliste reporter d’images, il s’en va couvrir les sommets altermondialistes, à Porto Alegre, Seattle, Hambourg, Gènes. Au côté de ces militants qui affirment qu’un autre monde est possible et qui remettent en cause les politiques dévastatrices, le capitalisme tout-puissant qui mène à la faillite.
Maintenant que les années ont passé, qu’il retrouve les textes écrits à vif, on sent tout à la fois l’admiration pour l’idéaliste qui comprend la colère et les emportements qui furent les siens et la nostalgie de cette époque où l’avenir était encore riche de perspectives.
Si tous les auteurs sont un peu schizophrène, Camille de Toledo accentue ici un peu le trait. Il s’adresse à Alexis (le prénom qu’il portait dans ses jeunes années et qu’il a remplacé par l’actuel il y a vingt ans), avec ses yeux d’aujourd’hui.
Pour ce faire, il adopte une écriture très originale, sans majuscules ni points, avec une mise en page audacieuse qui reflète la profondeur de son introspection, parsemant le récit de photos qui documentent les faits évoqués. Son style lyrique et poétique, soutenu par une musique des mots, crée une mélopée envoûtante qui captive le lecteur.
Mêlant habilement documentaire et fiction, texte et images, l’auteur nous offre une vision saisissante de son et de notre évolution depuis la fin du siècle dernier. Un voyage intime qui éclaire le passé vers le présent.
Puissante autant que poétique, cette œuvre est toutefois loin d’être désespérée.
Là où on pourrait voir la fin des illusions, l’auteur s’évertue à jeter des ponts vers un monde plus équilibré, plus juste, plus écologique. En tentant de comprendre les complexités de notre monde, il en esquisse aussi les possibilités de reconstruction.
Henri-Charles Dahlem
- « Au temps de ma colère » Camille de Toledo. Éditions Verdier. Roman 160 p., 18,50 €. Paru le 01/08/2025
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A propos de l’auteur
Camille de Toledo est né à Lyon, et il vit à Berlin. Père de trois enfants, écrivain, diplômé de sciences politiques, docteur en littérature comparée, il a enseigné pendant dix ans la littérature (l’écriture créative) à l’École nationale supérieure des arts visuels (La Cambre), à Bruxelles.
Après la mort de son père, il a suivi un chemin de retour au judaïsme sanctionné par une décision du Beit Din (tribunal rabbinique) de l’association juive libérale basée à Paris « Judaïsme en mouvement ». Il est actuellement chercheur associé à l’Institut d’études avancées de Nantes pour un projet transdisciplinaire autour des droits de la nature.
Son travail entre 2019 et 2021 pour concevoir un parlement du fleuve Loire, qu’il raconte dans Le fleuve qui voulait écrire (2021), a inspiré de nombreuses formes collectives dans les territoires pour donner le statut de sujet juridique aux rivières. Finaliste du prix Goncourt 2021, lauréat du prix Franz-Hessel et du prix de la création de l’Académie française pour Thésée, sa vie nouvelle ; lauréat de la Villa Médicis (2004), de la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature (2019), il fut l’un des fondateurs en 2008 de la Société européenne des auteurs dédiée à une « Europe des traductions ».
Il a également écrit pour l’opéra, La Chute de Fukuyama (2013), pour le théâtre, notamment Sur une île. En 2025 et 2026, il sera auteur associé du Théâtre Vidy, à Lausanne (Suisse), où son roman, Thésée, sa vie nouvelle, sera adapté pour la scène par la comédienne Valérie Dréville et le metteur en scène Guy Cassiers. Jusqu’en 2028, il portera en tant qu’artiste associé l’un des projets phare de Bourges Capitale européenne de la culture : L’Internationale des rivières, également titre d’un récit de bifurcation à paraître aux éditions Verdier. Camille de Toledo travaille aussi comme thérapeute, avec une méthode basée sur la logothérapie de Viktor Frankl, l’EMDR et la traumatologie. Il traite de ce qu’il nomme les « corps-mémoire ». (Source : Éditions Verdier)