Livres. Pour cette rentrée littéraire d’été 2021, pas moins de 521 romans francophones et étrangers paraissent d’ici la fin septembre. En toute subjectivité, dans le domaine étranger, We Culte a retenu les romans de Mariana Enriquez, Leonardo Padura, Kate Reed Petty, Lionel Shriver et Natasha Trethewey. Cinq romans indispensables !
Rentrée littéraire 2021 : nos cinq romans étrangers préférés
MARIANA ENRIQUEZ : « Notre part de nuit »
Le roman phénomène, assure l’éditeur français. Certains évoquent un OLNI- un objet littéraire non identifié, alors que d’autres parlent d’un « grand roman gothique ». Troisième roman (son premier traduit en français) de l’écrivaine argentine Mariana Enríquez, « Notre part de nuit » est un gros pavé bien dense (près de 800 pages !)- ce qui, en soi, ne peut pas en faire un événement de la rentrée littéraire d’été ! Le roman de Mariana Enríquez est bien plus qu’un phénomène. C’est un livre immense… Une sortie de road book, comme il existe des road movies.
On file dans le pas d’un père et de son fils. Ils vont traverser l’Argentine par la route. Peut-être sont-ils en fuite… mais où vont-ils ? Sait-on seulement si les deux veulent échapper à quelque chose, à quelqu’un ? Bien sûr, on sait que le petit garçon se prénomme Gaspar et que sa mère a disparu dans des circonstances qu’on dira étranges. Gaspar a un don. Le même que celui de son père, et son destin est déjà tracé : plus tard, il sera médium pour le compte d’une mystérieuse société secrète qui entre en contact avec les Ténèbres pour percer les mystères de la vie éternelle. Tournant les pages, le lecteur va trembler pour Gaspar et son père, s’interrogera sur Juan, essaiera d’éviter la famille Reyes qui inspire tant et tant d’horreur…
Avec Gaspar et son père, c’est le grand voyage. Sur la route ; dans l’Histoire aussi, la dictature militaire argentine dans les années 1970-80, le psychédélisme dans le Londres des seventies, les années Sida… on croisera aussi David Bowie et des monstres, effrayants bien sûr, sans oublier des sacrifices humains ! Dans « Notre part de nuit », on ne résistera pas à ce personnage qui « n’était pas normal, il était beau à l’intérieur. Toucher son cœur fatigué et hypertrophique avait été pour Bradford une expérience comparable à la vision d’une nymphe dans une forêt sacrée, à une aube lumineuse, à la surprise d’une fleur qui s’ouvre dans la nuit ». Avec Mariana Enríquez, Gaspar et son père, c’est le grand voyage dans les forces occultes des ténèbres. Des contrées où il se pourrait qu’on rencontre Silvina Ocampos, Cormac McCarthy et Stephen King. Entrez, mesdames et messieurs, bienvenue dans notre part de nuit !
- « Notre part de nuit » de Mariana Enríquez. Editions du Sous-sol, 770 pages, 25 €.
LEONARDO PADURA : « Poussière dans le vent »
Le grand roman de la perte, de l’exil et de la dispersion, le voici ! C’est « Poussière dans le vent » de Leonardo Padura, Cubain romancier, essayiste, journaliste, auteur de scénarios pour le cinéma et qui a signé, entre autres, une tétralogie (« Les Quatre Saisons ») et des romans- « L’homme qui aimait les chiens » (2011) et « Hérétiques » (2014). Tout commence avec une photo pour elle qui arrive de New York et lui qui vient de Cuba. Ils ont 20 ans, ils s’aiment, il lui montre donc une photo de groupe- elle a été prise dans le jardin de sa mère. La jeune femme est intriguée, elle se met en quête de savoir qui sont ces jeunes gens.
Au fil des pages, on apprend qu’ils étaient huit amis, très liés depuis la fin des études au lycée. Le monde qui va avec ses soubresauts diplomatico-économiques et ses conséquences sur la vie à Cuba les touchent au plus profond d’eux-mêmes. Il y a eu la grande espérance de la Révolution cubaine, les pénuries de la « Période spéciale » dans années 1990… De ce groupe de huit, certains ont disparu, d’autres sont restés au pays, d’autres sont ou vont partir. En un roman épais (plus de 600 pages) tout en « Poussière dans le vent », Leonardo Padura propose un texte aussi brillant qu’universel, tout empli d’amitié, de loyauté et d’instinct de survie…
- « Poussière dans le vent » de Leonardo Padura. Métailié, 642 pages, 24,20 €.
KATE REED PETTY : « True Story »
Parmi les premiers romans de cette rentrée littéraire d’été 2021, certainement l’un des meilleurs. Titré « True Story », il est signé Kate Reed Petty. Diplômée de l’université de St Andrews (Écosse), elle vit à Baltimore, dans le Maryland. Elle a publié dans plusieurs magazines, et ses courts métrages ont été montrés au Maryland Film Festival. Co-auteure de la bande dessinée pour enfants « Chasma Knights », elle fait une entrée remarquée en littérature romanesque. De son premier roman, elle dit : « C’est un livre qui parle des femmes, des hommes et aussi de la manière dont on construit une histoire ».
Un magazine américain a évoqué « un roman qui se joue des genres ». Un roman avec, en personnage principal, Alice Lovett. On lui reconnait un certain talent qui lui fait prêter sa plume pour écrire les histoires des autres. On la connaît aussi solitaire. Mais voilà, une histoire, une seule, lui échappe encore et encore. En été 1999, deux ados légèrement alcoolisés ont lancé une rumeur qui a bouleversé toute la communauté. Oui, Alice n’a toujours pas percé ce mystère : que s’est-il vraiment passé ce soir-là sur la banquette arrière de la voiture quand les deux ados l’ont ramenée chez elle, endormie ? Tout y passe, tout est dit, où est le vrai, où est le faux dans toutes ces accusations, rejets, dénis, faux-semblants… Un roman entre fiction et réalité…
- « True Story » de Kate Reed Pett. Gallmeister, 448 pages, 24,60 €.
LIONEL SHRIVER : « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes »
On la dit acerbe- ce qu’elle est. On la dit fine observatrice de l’aujourd’hui, de la vie qui va (pas toujours bien)- ce qu’elle est également. Auteure du best-seller mondial « Il faut qu’on parle de Kevin » (2006), l’Américaine Lionel Shriver brille à pointer un monde où réconfort et romantisme ont, depuis un moment, disparu- ce qu’elle fait une fois encore avec son huitième roman traduit en français, « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes ». Comme avec « Les Mandible : Une famille, 2029-2047 » (paru en 2017), la romancière dégoupille avec élégance, sans avoir l’air d’y toucher.
Un matin, Remington, la soixantaine, annonce à sa femme Serenata son intention de courir prochainement un marathon et, plus tard, prendre part à un triathlon. Ils sont mariés depuis trente-cinq ans, elle désapprouve son mari dans son projet et le lui indique. On apprend, au hasard des pages, qu’elle a été une dingue d’exercices physiques, elle spécialisée dans le doublage et les voix off, que lui, après tant et tant d’années de loyaux services, a été viré pour racisme- ce qui entraîne une perte financière conséquente pour sa retraite. Il ne lâche pas l’affaire et s’adjoint les services d’une coach- ultra-sexy, détestée par sa femme… Un grand et implacable roman qui démonte le culte du corps et les dangers de la pratique sportive à outrance.
- « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes » de Lionel Shriver. Belfond, 386 pages, 22 €.
NATASHA TRETHEWEY : « Memorial Drive »
Elle se l’était juré : ne jamais revenir à Atlanta. En quittant la capitale de l’Etat de Géorgie, elle emporte « ce que j’avais cultivé durant toutes ces années : l’évitement muet de mon passé, le silence et l’amnésie choisie, enfouis comme une racine au plus profond de moi ». Pourtant, pour des raisons professionnelles, la jeune femme doit se rendre à Atlanta. Et elle raconte. C’est « Memorial Drive », le roman de l’Américaine Natasha Trethewey, enseignante, écrivaine et surtout poétesse de grand renom outre-Atlantique où elle a récompensée par deux Poet Laureate et un prix Pulitzer.
L’auteure est donc retournée à Atlanta, la ville de Martin Luther King et aussi de ses parents mais prend soin d’éviter Memorial Drive, l’autoroute qu’empruntait sa mère Gwendolyn Ann Turnbough. D’un premier mariage interracial est née Natasha. Quand ses parents se séparent, la mère refait sa vie avec Joe, un « vétéran » du Vietnam surnommé « Big Joe ». En 1985, celui-ci tue Gwendolyn- Natasha a tout juste 19 ans… Dans les pages de ce roman étourdissant, se mêlent, se chevauchent deux trajectoires : celle d’une femme noire mariée à un homme blanc à une époque où une telle situation était pour le moins mal acceptée, et celle d’une Amérique des années 1960-70 en proie à ses démons.
- « Memorial Drive » de Natasha Trethewey. Editions de l’Olivier, 226 pages, 21,50 €.
Serge Bressan