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René Frydmann : "La vie toute entière me passionne" (photo) Térèze Wysocki

Livre / Interview. De A à Z, un dictionnaire pour une vie. Vingt-six chapitres pour évoquer l’essor de la médecine reproductive mais aussi les copains, les ombres et les espoirs… Professeur émérite, grand nom de la médecine d’en France et « père » du premier « bébé-éprouvette » français, René Frydman feuillette, à 78 ans, sa vie. C’est passionnant et bourré d’humanité. C’est un bonheur de lecture.


Pr René Frydman : rencontre avec un homme passionné par la vie


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René Frydmann : « Je fonctionne à l’envie de faire « . (photo) Tereze Wysocki

Il l’assure, le dit et l’écrit : pas question de se livrer au sport de l’époque avec son chariot de révélations intimes à gogo. A 78 ans, René Frydman a accepté de se raconter à la condition d’évoquer « rencontres, voyages, moments forts, combats professionnels ». Résultat : « Le Dictionnaire de ma vie ». Vingt-six chapitres, comme les vingt-six lettres de l’alphabet.

Bien sûr, en point d’orgue, du moins pour le grand public, le chirurgien-gynécologue- obstétricien est avant tout le « père » du premier « bébé-éprouvette » en France- une petite fille née le 24 février 1982 grâce à la FIV (Fécondation in vitro) et prénommée Amandine. Une première en France, peu après la naissance de Louise Brown le 25 juillet 1978, une première mondiale en Grande-Bretagne menée par le Pr Bob Edwards.

Mais, professeur émérite, René Frydman a écrit tant et tant de pages de la médecine. En trente ans comme chef de service, il a accueilli plus de 350 stagiaires qui, pour la plupart, sont à leur tour en responsabilité dans des hôpitaux à travers le monde.

Mû par le souci de l’autre, il a milité, participé à la création d’une ONG (Médecins sans frontières), mené le combat en faveur de la fécondation in vitro, contre l’infertilité masculine, apporté la psychologie dans les services de maternité… La vie du Pr René Frydman est un roman- un dictionnaire que l’on peut feuilleter à tout moment. Rencontre avec un grand homme de médecine, et surtout un homme de bien et d’exception.

        Une vie, on peut la résumer de A à Z ?

        René Frydman. Non ! Avec ses vingt-six lettres, l’alphabet est bien trop court. Il faudrait plusieurs alphabets… Alors, il y a aussi le choix de faire un deuxième dictionnaire ou faire appel à des écritures antiques qui ont plus de lettres mais je ne les connais pas bien, à vrai dire ! Ce « Dictionnaire de ma vie », il a été fait en quatre, cinq mois. Ce sont des histoires- toutes vraies… Le but était de me souvenir d’un certain nombre de moments, et je n’avais pas envie de raconter l’histoire médicale vécue par moi. J’avais plutôt envie de raconter l’histoire autour de la médecine, l’époque, l’humanisme, l’humanitaire, l’engagement… Mais maintenant que c’est fini, que le livre est là, d’autres souvenirs me reviennent…

   Comment avez-vous choisi le thème, le sujet pour chacune des vingt-six lettres ?

     René Frydman. Un peu par association d’idées, d’images, de périodes. Quand je parle de l’Afrique, je n’évoque pas seulement Lambaréné et l’hôpital d’Albert Schweitzer… Ce qui est certain, avec ce livre, ça m’a permis de plonger dans mon histoire, des moments et événements ont resurgi. Entre deux lettres, on peut naviguer, y trouver son bonheur… Des livres, j’en ai écrits. Un ou deux étaient, on dira, plus poétiques… J’ai écrit aussi des livres grand public, je pensais justement qu’il est bon que le public ait connaissance de la médecine. Je suis partisan d’une médecine participatrice avec les patients, et donc la nécessité de leur donner les informations pour la grossesse, pour la reproduction. Et puis, j’ai écrit un livre que j’aime beaucoup. Un livre poétique, « Lettre à une mère » (2003).

 De ce 24 février 1982, un peu plus de quarante ans après, quelle image gardez-vous ?

René Frydman. L’image qui me vient, c’est la découverte de ce nouveau-né au moment où elle passe de la vie cachée à la vie visible… Et puis aussi cette image de la maman, du père, des deux sages-femmes, de l’anesthésiste, tout ce monde qui est autour… C’est comme s’il n’y avait pas de solitude. Une ambiance amicale. Et puis, un petit trésor qui arrive, un trésor dont on va s’assurer que c’est bien un trésor comme un autre…. Ce n’était pas une découverte, faut-il rappeler que la grossesse dure neuf mois, donc on a eu le temps de s’y faire, et qu’avant cette grossesse-là, il y en avait eu qui n’avaient pas tenu… Donc, là, ce jour-là, on n’ouvrait pas une porte sur un terrain inconnu. Mais comme pour toute grossesse, vous ne connaissez pas la bouille de l’enfant. C’est toujours une découverte… Ça a été mené en équipe, il y avait en même temps quelque chose de banal et de nouveau. Il y a eu aussi, peu après, la conférence de presse, une centaine de journalistes… Ça a été un peu un choc pour moi, les journalistes, oui !

   Vous aviez conscience quand même que c’était, là, un événement…

        René Frydman. D’accord, mais quand vous vous retrouvez face à tant de personnes, les micros, la télé… La première fois, d’autant que vous n’y êtes pas préparé, c’est évidemment un choc !



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René Frydman : « J’ai le goût de l’innovation » (photo) Térèze Wysocki

  Combien de temps avez-vous mis à vous remettre de cet événement ?

        René Frydman. Jamais ! Les images reviennent de temps en temps. Ce n’est pas obsessionnel, c’est même plutôt sympathique… Et puis, tout de suite après la naissance de la petite fille, se sont enchaînées d’autres préoccupations, des demandes qui ont afflué. Parce que, jusque cette naissance, les gens doutaient- même chez les médecins !

     Quel a été, quel est encore aujourd’hui votre moteur ?

        René Frydman. Le premier qui arrive à un objectif fixé, ça c’est un moteur ! Et moi, j’ai pris un malin plaisir à être le premier. Parce que je fonctionne à l’envie de faire. C’est, chez moi, une espèce d’obsessionnalité… J’ai le goût de l’innovation. Et l’innovation, dans quelque domaine que ce soit, ça crée l’enthousiasme.

  Dans les années 1960, jeune homme, vous avez milité à l’UEC (Union des Etudiants communistes), vous avez fréquenté les cercles trotskistes et maoïstes. Plus tard, vous avez participé à la création de MSF- Médecins Sans Frontières puis de Médecins du Monde. Ces années militantes ont influé votre approche de la médecine ?

        René Frydman. Ma préoccupation a toujours été la même : partout, il existe des gens qui souffrent. J’éprouve un grand intérêt à l’autre. Particulièrement, les plus faibles, les plus démunis… J’ai vu mon premier accouchement à Cuba, et réalisé tout ce qui n’était pas mis en place pour le bien-être des femmes. Ensuite, au cours de mes voyages dans le monde, j’ai vu beaucoup de structures, on y apprend beaucoup, on y prend du recul. Il faut trouver les lignes rouges- et ne pas les franchir…

En trente-six ans de service, savez-vous exactement combien d’accouchements vous avez effectués ?

        René Frydman. Durant toutes ces années, j’ai pratiqué et supervisé entre 70 000 et 75 000 accouchements… Ajoutez-y environ un millier de FIV (Fécondation in vitro) par an, de la chirurgie gynécologique, de la médecine anténatale… Et tout ce temps, avec une certitude : on n’est jamais sûr de ne pas s’être trompé…

        Vous avez souvent dit qu’« avec la venue au monde d’un enfant, on touche au sacré, à l’essentiel »

        René Frydman. Le sacré, c’est souvent l’inconnu… et beaucoup de femmes, beaucoup de couples qui ont un désir d’enfant sont prêts à faire beaucoup de choses…


 


Votre combat du moment, c’est la GPA, la Gestation pour autrui…

        René Frydman. C’est une des lignes rouges du moment. La GPA utilise le corps de la femme et le commercialise. Elle aliène la grande majorité des femmes qui ne s’en sortent pas sans dégâts parce qu’abandonner un enfant sur commande… J’ai accouché deux « mères porteuses », la première a fait une tentative de suicide, son mari était un peu au courant mais ses parents, eux, ne savaient pas. On les a appelés en urgence à l’hôpital, ils ont découvert que leur fille avait accouché un enfant qui n’était pas d’elle et qu’en plus, elle était entre la vie et la mort. Je me suis dit, ça va… et j’essaie que ça ne recommence pas… La GPA, c’est le retour à l’esclavage et ça s’apparente à la prostitution dans la mesure où il s’agit du corps de la femme dont, théoriquement, elle doit pouvoir en disposer. Mais souvent dans l’histoire de la GPA, la femme est prise dans une mafia…

On dit de vous que vous êtes un « iconoclaste humaniste ». Ça vous convient ?

        René Frydman. Oui, parce que j’adore l’innovation. Parce qu’elle apporte un humanisme, une autonomie. Mais je n’oublie pas que pour cette innovation, il y a nécessité de beaucoup chercher et pas d’obligation de trouver.

Entretien réalisé par Serge Bressan

  • A lire : « Le Dictionnaire de ma vie » de René Frydman (avec Maryvonne Ollivry). Kero, 230 pages, 17,50 €.

le dictionnaire de ma vie
René Frydman (photo) Térèze Wysocki

P comme peintre…J comme jardin 

Au fil de la conversation, il glisse : « On ne va pas parler que de médical ! Il y a tant d’autres choses… » Dans « Le Dictionnaire de ma vie », le Pr René Frydman évoque également les copains, Israël, Lambaréné (et l’hôptial d’Albert Schweitzer), les ombres, Soumoulou (village des Pyrénées-Atlantiques, entre Pau et Tarbes), le lac Titicaca entre Pérou et Bolivie à 3 812 mètres d’altitude ou encore le zoo avec les ours blancs à Helsinki, les lamas au Chili et l’immense volière de Melbourne. Dans son livre, l’auteur s’arrête également sur deux mots qui lui sont chers : « Peintre » et « Jardin ».

Ainsi, en ouverture du chapitre « Peintre », on lit : « Vivre avec une peintre, c’est partagé ses angoisses devant la toile vierge ». Sa peintre à lui se prénomme Monique, ils se sont connus dans les années 1960, il faisait médecine, elle était étudiante aux Beaux-Arts à Toulouse. L’un et l’autre fréquentaient assidument l’UEC (Union des Etudiants communistes). Ils se sont rapprochés en Sardaigne « durant cet été de vacances », se sont mariés et ont eu deux enfants. Deux garçons.

Aujourd’hui, à 78 ans, Monique Frydland expose encore et toujours-ces temps-ci dans une galerie parisienne, tout prochainement au Japon. Commentaire de René Frydman : « La peinture lui est chevillée au cœur. Monique devient une artiste de la couleur et de l’abstraction. On peut découvrir ses œuvres dans différents endroits (…). Qu’il s’agisse d’immenses ou de petits tableaux, j’y trouve ce message de sérénité qu’on a tant de mal à partager. Parfois, dans le grand atelier qu’elle a fait construire au milieu de la verdure près de Paris, je m’endors assis dans un fauteuil sous le choc de cette présence picturale ».

Autre mot cher à René Frydman : « jardin ». Il confie : « La vie toute entière me passionne. La vie animale. La vie végétale. Il y a une espèce de renouvellement permanent quoi qu’il en coûte. Le rythme des saisons, c’est inéluctable, c’est une force supérieure. Ça nous rend modeste et curieux ». Parce que, écrit-il, « Ma curiosité n’a pas de limite qu’il s’agisse de l’humain, de l’animal, du végétal ».

Le médecin se rappelle alors les vers de Paul Verlaine : « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, voici mon cœur qui ne bat que pour vous, ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches, et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux ».

Et d’évoquer un souvenir, parmi des milliers : « Un soir d’été rouge, couché sur l’herbe au milieu d’une symphonie de verts, j’ai soudain été envahi par une incroyable sensation de bien-être. Comme si je ne faisais qu’un avec le monde. Mes jambes s’enfonçaient dans la terre meuble tandis que je communiais avec l’air qui m’enveloppait. Rarement j’avais ressenti autant de calme. Un moment intense, et fugace, comme le sont souvent les instants de bonheur ». Et soudain surgit LA question : « comment ai-je pu vivre si longtemps sourd et aveugle aux attraits de la nature ? » Surtout quand Alice y court à perdre haleine ou Peter Pan dans les jardins de Kensington. Sans oublier les insectes dans les arbres ou sous les pierres, et les animaux dans ou au bord de l’eau…



le dictionnaire de ma vie

EXTRAIT 

     N comme Naissance

« La différence entre la naissance et la mort, c’est que l’instant de la naissance est prévisible à quelques secondes près avant qu’il ne se réalise, alors que l’accompagnement d’un mourant le montre : il est très difficile de prévoir l’instant où la mort va frapper. Ces deux moments clés de l’existence se disputent la fragilité de l’être. J’ai toujours pensé que chaque naissance est une victoire sur la mort. La mort passée d’êtres chers, la mort injuste- mais peut-il y avoir une mort juste?-, la mort qui parfois guette le nouveau-né, voire la mère, y compris dans nos sociétés et surtout, bien sûr, à l’échelle planétaire. La naissance n’est pas toujours joie, euphorie, elle peut s’accompagner d’une sensation d’échec, de raté, elle peut même être refusée si la mère n’est pas prête. Néanmoins, pour la majorité d’entre nous, cela ressemble à cette « épuisante splendeur », selon les mots du poète Edouard Glissant. Car quel miracle plus grand que l’engendrement ? »


 

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