frederic paulin
Frédéric Paulin inscrit ses romans dans l'histoire contemporaine (photo) Julien Lutt / Agullo

Interview/Livre. Le romancier Frédéric Paulin était présent aux Quais du Polar 2022 à Lyon. L’occasion pour We Culte de parler avec lui de la trilogie qu’il a consacrée au djihadisme islamiste et de son dernier roman, « La Nuit tombée sur nos âmes ». Dans ce livre il évoque les évènements qui se sont déroulés à Gênes en juillet 2001, une réunion des chefs d’état du G8 qui a donné lieu à une contestation massive et à une répression policière ayant entraîné la mort d’un manifestant.


Frédéric Paulin : des romans au cœur de l’histoire contemporaine


frederic paulin
Frédéric Paulin : « Je dispose mes personnages fictionnels et leurs aventures dans ces zones grises de l’Histoire » (photo) Julien Lutt / Agullo

Frédéric Paulin est un romancier qui a choisi d’inscrire ses fictions dans l’histoire contemporaine. C’est particulièrement vrai depuis 2018 et la publication de « La guerre est une ruse », le premier tome de la trilogie dont le personnage central est Tedj Benlazar, un agent des services secrets français. Cet agent va être le témoin, souvent impuissant, de la naissance de ce djihadisme qui va frapper l’Algérie dans les années 90 puis la France depuis l’attentat de la station Saint Michel à Paris en juillet 1995 jusqu’aux attentats de juillet 2015 dans la région parisienne et au Bataclan.

Avec « La Nuit tombée sur nos âmes » qui se déroule à Gênes en 2001 l’auteur évoque un événement dont il a été le témoin. Mais c’est de l’histoire dont il veut rendre compte, se désolant que la mémoire collective ait très vite oublié cet événement qui fut suivi, il est vrai, par les atttentats du 11 septembre aux Etats-Unis.

Pouvez-vous nous présenter Tedj Benlazar, le héros de votre trilogie ?

Frédéric Paulin : Tedj Benlazar est en fait la métaphore des rapports qu’entretiennent depuis des décennies l’Algérie et la France. Son pére est algérien, sa mère est française. Il est agent de la DGSE, les services secrets français, en poste à Blida en Algérie. Il a affaire aux services secrets de l’armée algérienne. Il assiste aux séances de tortures pratiquées par l’armée algérienne sur des opposants islamistes. Mais Benlazar c’est celui qui voit les choses mais ne peux pas les empêcher. Il est considéré comme un fonctionnaire incompétent par les algériens et comme quelqu’un qui pourrait se retourner contre son pays par la DGSE française.

C’est un personnage de roman mais il doit se plier à la réalité. Quand je m’attaque à une trilogie qui porte sur 25 à 30 années, Benlazar va donc vieillir. Au début il est en poste à la DGSE et va passer peu à peu à l’arrière plan de la trilogie, laissant sa place à sa fille Vanessa qui est journaliste et à sa compagne qui est commissaire à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Benlazar voit toujours les choses mais n’arrive pas à avertir sa hiérarchie de ce qui risque d’arriver. Tout au long de sa vie il ne peut donc jamais empêcher le pire d’advenir.

Quelle est votre hypothèse sur l’origine du djihadisme ?

Frédéric Paulin : Des algériens qui avaient combattu l’armée russe en Afghanistan ont rejoint le Groupe islamique armé (GIA) en Algérie et y ont introduit leur djihadisme. Le djihadisme qui va toucher la France naît dans ces conditions. C’est le chaos algérien qui passe la Méditerranée. Il y aura ensuite une sorte de confluence qui va se faire avec ce qui se passe dans les Balkans, l’arrivée d’Al Quaida puis de Daech.

J’avance dans la trilogie la thèse que certains généraux algériens ont manipulé les terroristes et ont fait passer le chaos algérien au-dessus de la Méditerranée pour mettre les Français au pied du mur. Cette thése est étayée par des anciens des services secrets algériens ou de la DGSE qui en ont parlé dans des journaux. Ca n’est donc pas un scoop mais je contextualise l’ensemble. Des responsables algériens ont lu mes livres et je n’ai jamais eu de retour négatif.



Etes-vous allé en Algérie pour commencer cette trilogie ?

Frédéric Paulin : Non je n’y suis jamais allé. Et la trilogie va se passer ensuite dans les Balkans, au Pakistan, en Syrie, puis pendant les printemps arabes. Mais en tant qu’auteur, je suis assez fier : j’ai rencontré des algériens qui avaient fui l’Algérie dans les années 90 parce qu’ils y risquaient leur vie. Ils sont ensuite restés en France et ils m’ont dit «mais vous y êtes allé en Algérie», «on ne parle pas de la casbah comme vous en parlez si on y est pas allé». Ca m’a comblé de joie en tant qu’auteur.

Comment est né ce projet romanesque ?

Frédéric Paulin : Le 14 ou le 15 novembre 2015 je discutais avec des amis de ce qui venait de se passer au Bataclan. Pour ces amis cet événement était une nouveauté, un nouveau monde. Je leur ait dit alors que ça n’était pas le cas. Je me souvenais par exemple de Khaled Kelkal qui avait importé le djihad en France en 1995. Je me suis dit alors qu’il y avait là un sujet à travailler. Raviver cette mémoire qui s’éteint, c’est le but de mon travail en tant que romancier, depuis mon premier bouquin et plus encore maintenant. Je pars donc du 13 novembre 2015 et je remonte jusqu’en Algérie dans les années 90. Mais je ne pensais pas aboutir à une trilogie de 1000 pages. En construisant la documentation qui est chaque fois la base de mes romans, je me suis retrouvé dans une histoire immense qu’il m’a fallu ensuite romancer pour que le lecteur s’y attache.

Comment faites vous pour décrire le fonctionnement interne de la DGSE ou de la DGSI ?

Frédéric Paulin : Si un dictateur veut museler un peuple il va fermer les librairies et les bibliothèques. En France on a accés à tout cela. On est dans un pays où il y a des gens qui ont écrit des mémoires sur leur expérience passée à la DGSE ou la DGSI. Et on y a accès. C’est en cela que la France est une démocratie. Au hasard des salons j’ai rencontré un lecteur qui travaillaient à la DGSE et il me dit que je suis lu «à la maison». Mais aucun professionnel n’est venu me dire que ce que j’écrivais était du grand «n’importe quoi».

Comment avez-vous écrit La Nuit tombée sur nos âmes, un événement dont vous avez été le témoin ?

Frédéric Paulin : Depuis 20 ans je me documente sur cet événement dont j’ai été le témoin. Je pensais avoir une certaine légitimité pour en parler. Je connais la ville de Gênes. J’ai vu une partie des évènements. Mais je n’avais pas l’impression de faire quelque chose de très personnel. Quand ma compagne l’a lu, elle m’a dit «là tu as écrit quelque chose d’intime». C’est donc après coup que je me suis rendu compte que j’avais fait quelque chose de très personnel et j’en ai été boulversé. Le héros c’est un peu moi, un thésard en rupture de banc avec l’Université. Comme lui je n’ai jamais fait partie d’un groupe ou d’une chapelle politique. Et la journaliste qui découvre l’envers du décor, c’est un peu moi également.



frederic paulinLes journalistes sont souvent les héros positifs de vos romans. Quel est votre rapport au journalisme ?

Frédéric Paulin : Je crois vraiment en la presse car elle peut empêcher les dérives d’une démocratie. Certes tous les journalistes ne sont pas exempts de reproches mais la plupart d’entre eux font un métier nécessaire et en lequel ils croient. J’aime bien aussi le personnage du journaliste dans un roman parce qu’il peut aller où il veut. Tedj Benlazar, agent de la DGSE en poste en Algérie, ne peut pas décider d’aller tout d’un coup à New York alors que sa fille, journaliste en free lance, peut se déplacer facilement. Le journaliste peut aussi parfois être des deux côtés. Il peut être derrière les flics ou, «sous couverture», avec les mauvais garçons. Bien sûr ça reste le journaliste de roman car la plupart des journalistes sont tenus de rentrer chez eux le soir. Ils ont des enfants, une carrière à mener, un rédacteur en chef. Dans mes livres on est aussi dans le personnage de roman noir qui se permet des choses à la limite de la légalité.

Que voulez-vous dire quand vous expliquez que votre fiction s’inscrit dans les zones grises de l’histoire ?

Frédéric Paulin : C’est comme ça que je « romanesque ». Je dispose mes personnages fictionnels et leurs aventures dans ces zones grises de l’Histoire. Je me documente et ma ligne rouge c’est de ne pas mentir sur la grande histoire. Il y a des moments non chroniqués où je vais pouvoir situer ma fiction et agencer les aventures de mes personnages. Mais je ne suis pas en mesure de théoriser ma propre écriture. La documentation me donne un regard sur l’ensemble et je vois bien qu’il y a des moments sur lesquels les historiens ne se sont pas penchés. Ca me procure des zones de liberté où je vais inscrire ma fiction. Et tout ça vient un peu naturellement. Ma fiction est modelée par la grande histoire. C’est un peu ma pâte à modeler et parfois je suis obligé de la modifier car je ne touche  jamais à l’Histoire.

Avez-vous envisagé d’adapter un jour vos livres pour la télévision ?

Frédéric Paulin : J’ai effectivement travaillé avec un excellent réalisateur, Philippe Triboit, qui a participé à la réalisation d’Engrenages et de Un village français. C’est lui qui m’a contacté et il a suivi toute ma trilogie. Sa société de production a racheté les droits du troisième roman. On a écrit un scénario à partir de ça. Mais il n’est pas sûr que ce projet aboutisse dans ce moment post-covid et de guerre en Ukraine.

Entretien réalisé par Yves Le Pape

  • A lire : « La Nuit tombée sur nos âmes », « Agullo noir », 288 pages 
  • « La guerre est une ruse ». Villenave-d’Ornon : Agullo, coll. « Agullo noir », 09/2018, 368 p. Réédition, Gallimard, coll. «Folio policier » no 905, 03/2020, 448 p.
  • « Prémices de la chute ». Villenave-d’Ornon : Agullo, coll. « Agullo noir », 03/2019, 312 p.
    Réédition, Gallimard, coll. «Folio policier » no 928, 02/2021, 352 p.
  • « La Fabrique de la terreur ». Villenave-d’Ornon : Agullo, coll. « Agullo noir », 03/2020, 512 p. Réédition, Gallimard, coll. «Folio policier » no 949, 01/2022, 416 p.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Laissez un commentaires
Merci d'entrer votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.