Le Book Club de We Culte/Sylvie Le Bihan. Dans L’ami Louis, Sylvie Le Bihan fait revivre la figure lumineuse de Louis Guilloux, écrivain fraternel et discret, prix Renaudot 1949, et son amitié profonde avec Albert Camus. À travers une narration subtile portée par des personnages de fiction, l’autrice explore la fidélité, la transmission et la lumière des mots. Un livre entre mémoire familiale et hommage à une fraternité d’écrivains.
Sylvie Le Bihan : J’ai été biberonnée avec les livres de Guilloux : il était l’écrivain de la famille

L’écrivain Louis Guilloux (1899-1980) qui s’est fait connaître avec Le sang noir et La maison du peuple a été couronné par le Prix Renaudot en 1949 pour Le jeu de patience. Avec son livre L’ami Louis , Sylvie Le Bihan nous fait découvrir la belle relation amicale qu’il a noué avec Albert Camus.
Elle situe cette relation dans la foisonnante vie littéraire de toute une grande période du XXème siècle. C’est Elizabeth, un personnages de fiction, qui va servir de fil conducteur à ce récit. Elle est présentée comme une collaboratrice de Bernard Pivot qui aurait participé à la préparation de deux émissions auxquelles a participé Louis Guilloux, deux émissions passionnantes qu’on peut retrouver sur le site de l’INA.
L’ami Louis a connu un beau parcours dans les sélections du prix Renaudot. Et ce livre a aussi une dimension familiale pour Sylvie Le Bihan comme elle nous l’expliqué dans l’entretien qu’elle nous a accordés.

Qu’est-ce qui vous a conduit à écrire ce livre sur Louis Guilloux ?
Sylvie Le Bihan : Louis Guilloux était l’écrivain de la famille. Mon grand oncle habitait en face de chez lui alors que mon père habitait quelques rues plus loin. C’était l’écrivain de Saint-Brieuc et mon père, pendant l’occupation, s’est occupé avec Louis Guilloux et sa femmes d’enfants dont le père était prisonnier. Ils montaient ensemble des pièces de théâtre, ils faisaient des lectures. Ils s’occupaient de ces enfants pour leur monter une autre lumière pendant ces heures sombres.
Une amitié est donc née entre mon père et Louis Guilloux qui avait trente ans de plus que lui. Guilloux a incité mon père à écrire des pièces de théâtre qui ont été jouées. Jusqu’à la mort de Guilloux mon père est resté très proche de lui. Il est venu à la maison, à manger avec nous. Mes parents sont allés chez lui.
J’ai été biberonnée avec les livres de Guilloux. Mon père m’a très vite fait lire Le pain des rêves, Le sang noir et toute son œuvre. Après avoir croisé l’homme, j’ai apprécié l’écrivain. En creusant plus loin j’ai apprécié ses engagements.
Comment expliquez-vous cette relation entre Lous Guilloux et Albert Camus ?
Sylvie Le Bihan : Guilloux avait été très proche de Camus et il a été son exécuteur testamentaire, c’était son frère. Ils ont eu tous les deux une enfance pauvre et heureuse. Ils ont tous les deux été aimés pendant leur enfance. On leur a dit de ne pas avoir honte de leurs racines, de leur classe sociale. Et les deux sont restés fidèles à leur origines.
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Ils avaient aussi les mêmes engagements : la guerre d’Espagne, la misère, la voix des opprimés sans pour autant lever des étendards. Dans leurs livres ils avaient tous les deux la même façon de faire les choses. Ils décrivaient ce qui se passait tout en étant acteur mais sans prosélytisme. Ils laissaient toujours le lecteur se dire « c’est pas normal, c’est injuste ».
On a l’impression que Camus c’est le soleil et Guilloux c’est la pluie. Mais c’était foncièrement l’inverse. Camus était très sombre à l’intérieur. Il doutait de tout, de lui, de ses écrits. Guilloux, au contraire, était quelqu’un de très solaire, de très joyeux. Avec ses copains, dès qu’il était en confiance, c’était le gai luron de la bande.
Camus et Guilloux c’était l’ombre et la lumière comme dans une arène de corrida.. Et ils se sont reconnus. Quand on lit leur correspondance, Camus va commencer un jour à tutoyer Guilloux comme dans une conversation. Ils ont aussi vraiment collaboré puisque Guilloux a beaucoup corrigé La peste et Camus a fait de même sur Le jeu de patience.
Est-ce vraiment une relation amoureuse que Louis Guilloux a nouée avec l’écrivaine italienne Liliana Magrini ?
Sylvie Le Bihan : J’ai eu accès à la bibliothèque municipale de Saint Brieuc aux lettres adressées à Louis par Liliana. A aucun moment c’est « je t’aime » mais on sentait énormément d’affection. Ce qui était très intéressant c’est qu’ils échangeaient beaucoup sur la littérature, sur la société. Ils s’écrivaient aussi sur des feuillets d’épreuves de chapitres de leurs livres en cours de rédaction. Ils s’écrivaient dans les marges de ces textes. C’est pourquoi ils appelaient cela « les marginales ». C’étaient des lettres magnifiques.
Avez-vous mis beaucoup de vous-même dans le personnage d’Elizabeth ?
Sylvie Le Bihan : J’ai mis beaucoup de moi dans Elizabeth et Carole, sa meilleure amie, deux personnages de fiction de ce livre. Elle a un caractère déterminé, un peu rebelle. J’ai comme elle une Triumph décapotable que j’ai achetée il y a trente ans pour une bouchée de pain. Je l’ai toujours et je la bichonne. J’ai vécu à Sceaux, Elizabeth à Bourg-la-Reine et j’ai été confrontée à ce clan de petit-bourgeois un peu resserrés dans des codes.
Mon père était diplomate et ma mère travaillait chez Mérieux. Ils n’acceptaient pas du tout ces codes là. Ils n’ont jamais voulu s’intégrer à quoi que ce soit, à l’inverse des parents d’Elizabeth dans mon livre dont ils constituent vraiment l’antithèse. La liberté qu’on peut prendre avec ses personnages de fiction, c’est ça qui est sympa dans un roman.
Quel conseil pouvez-vous donner à celles et ceux qui voudraient commencer à lire Louis Guilloux ?
Sylvie Le Bihan : Pour démarrer il y a O.K., Joe !, le livre dans lequel il dénonce le racisme dans l’armée américaine. Il y parle surtout de la libération, des femmes qui sont tondues, des petits règlements de comptes, de la violence qui reprend ses droits. Le second livre serait Le pain perdu qui porte sur son enfance.
C’est un livre très doux sur une enfance pauvre et heureuse avec sa maman et sa famille qui se passe dans les rues de Saint-Brieuc . Et puis après il y a Le sang noir qui se passe pendant la première guerre mondiale. Il parle des mutineries, de l’arrière, de la couardise des notables. C’est un texte magnifique.
Entretien réalisé par Yves Le Pape
- L’Ami Louis Sylvie Le Bihan. Roman, Denoël. 432 pages, 22,50 €





