« La Sultane » : André Manoukian, entre mémoire et métissage

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"La Sultane" : Avec son nouvel album André Manoukian poursuit son exploration des terres intérieures et des horizons lointains ©Jerome JuvBauer

Toutes les musiques de We Culte. André Manoukian revient avec La Sultane et poursuit son exploration des terres intérieures et des horizons lointains. Entre jazz et musiques du monde, piano et tablas, Orient et Occident et harmonies arméniennes, le pianiste livre un album vibrant où se rejoignent mémoire, féminité et liberté. Une invitation au voyage sonore, portée par un musicien qui n’a jamais cessé de chercher le lien entre les peuples et les âmes.

« La Sultane » : le nouvel album d’André Manoukian est un hommage intime aux femmes de sa famille, à leur douceur, leur force, leur beauté souveraine

Avec La Sultane, André Manoukian déroule le le long fil de sa mémoire musicale. Après Anouch (2022), dédié à sa grand-mère rescapée du génocide arménien, le pianiste revient avec un album inspiré, plus rythmique, plus incarné, où se mêlent les parfums d’Orient et les accents du jazz. L’œuvre est un voyage : un carrefour de cultures où les frontières s’effacent pour laisser place à un dialogue entre les peuples et les sons.

« Ma sultane, c’était le mot que ma mère employait pour parler tendrement à ma sœur », confie Manoukian. Derrière ce titre, se cache un hommage intime aux femmes de sa famille, à leur douceur, leur force, leur beauté souveraine. De cet amour filial naît un disque lumineux, traversé d’émotions et d’images, où le piano dialogue avec les tablas de Mosin Kawa, les cordes de l’Orchestre Appassionato dirigé par Mathieu Herzog, et les voix venues d’Arménie, comme celle bouleversante d’Arpi Alto.



L’album s’ouvre sur Joydance, une explosion de rythmes indiens inspirée par le groupe mythique Shakti de John McLaughlin. Puis, au fil des morceaux, la musique se fait tantôt méditative, tantôt envoûtante : Sorhag, berceuse arménienne, évoque l’enfant que seule la force d’un faucon parvient à apaiser ; Watergame coule comme une rivière ravelienne, fluide et cristalline ; Dancing Djinn invite à la transe, entre Orient et jazz. Plus loin, Bohemian Waltz esquisse une valse « à la porte de l’Orient », tandis que Spanish Fugue fait souffler les vents arabo-andalous et la nostalgie des mélodies européennes.

Chaque morceau raconte une histoire, chaque note tisse un lien. La belle d’Avril, pièce émouvante, rend hommage aux femmes d’Anatolie, aux mères qui ont traversé l’Histoire en portant la vie malgré la tragédie. Dans Semiramis, c’est une reine babylonienne, figure de puissance et de désir, qui prend le relais — comme un écho à ces femmes mythiques et réelles qui hantent la mémoire du compositeur.

André Manoukian s’inscrit ici dans une tradition de passeurs, d’artisans du son. Il explore les textures, les rythmes, les résonances, mêlant le souffle du jazz aux couleurs du classique et aux timbres du sacré. Son piano qui puise dans le folklore pour créer du neuf, n’impose pas : il interroge, il caresse, il écoute, en cherchant la nuance plus que l’éclat.

Victor Hache


Portrait d’un musicien du monde

Pianiste avant tout, André Manoukian a commencé l’instrument à six ans, avant de se perfectionner à la Berklee College of Music de Boston. Né à Lyon dans une famille arménienne, il grandit entre deux cultures : celle de ses ancêtres du Caucase et celle du jazz, sa première patrie musicale. L’improvisation devient très tôt son langage naturel, une manière d’habiter le monde avec curiosité et liberté.

S’il est devenu une figure familière du grand public — juré de la Nouvelle Star, chroniqueur sur France Inter, animateur —, Manoukian n’a jamais cessé de chercher, d’apprendre, de relier. Ses compositions sont traversées de ces influences qui se répondent : les mélismes orientaux, les rythmes balkaniques, les harmonies impressionnistes.
Dans son œuvre, le jazz devient la langue universelle des exilés, celle qui permet à tous les peuples de se comprendre au-delà des blessures de l’histoire.

Proche de Charles Aznavour, passionné par la voix et la féminité, André Manoukian aime la musique comme on aime une langue ancienne : en la parlant à voix basse, en la laissant résonner avec le monde d’aujourd’hui. Avec La Sultane, il signe un album de réconciliation et d’amour, où le souvenir devient mélodie et où la douleur se transforme en beauté.


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Victor Hache