Livre. Enfin, voici la version française d’un livre paru aux Etats-Unis en 1972. C’est « Eve à Hollywood », et son auteure, Eve Babitz, demeure la figure ensorcelante du post-modernisme à la sauce californienne dans les 70s. Résultat : un livre gentiment gai et coloré, souvent acidulé.
Eve Babitz a été une fille libre au 20ème siècle, elle l’est toujours au 21ème siècle. Nombreux sont celles et ceux qui la tiennent pour l’exemple parfait de la fille cool, et d’autres voient en elle la parfaite « it girl » des années 1960 californiennes. Une seule certitude : on est tous babas de Babitz !
Elle fut fan des sixties, un peu baby doll. A 20 ans en 1963, elle ne pose pas en string ni même en bikini mais, courbes aussi laiteuses que la mèche est brune et cache le visage, nue lors d’une (fausse) partie d’échecs face à Marcel Duchamp. Ça ressemble à Lost in L.A., la cité des anges où est née Eve Babitz– père violoniste virtuose à la Twentieth Century Fox, mère artiste. Dans le quartier de Chula Vista où vit la famille, viennent régulièrement Charlie Chaplin, Greta Garbo, Aldous Huxley ou encore le philosophe et prix Nobel Bertrand Russell. Et surtout l’immense Igor Stravinsky et sa femme Vera, « la personne la plus naturellement aristocratique au monde » dont « son génie de l’innocence est si charmant, si sexy et foncièrement vivant » et qui initie l’adolescente d’alors au plaisir du caviar. Plus âgée, Eve Babitz dira, sublime et fière : « Je ressemble à Brigitte Bardot et je suis la filleule de Stravinsky ! » Ce Stravinsky qui, écrit-elle, « était tout petit, joyeux et génial, et il buvait. Il me glissait des verres de scotch sous la table basse quand ma mère avait le dos tourné ; j’avais treize ans… »
Grâce et magie de l’édition, en cette fin d’hiver, enfin nous arrive la version française d’ »Eve à Hollywood « , texte qu’Eve Babitz a publié outre-Atlantique en…1972 ! Figure ensorcelante du post-modernisme, égérie de la scène artistique angelinienne dans les 70s, elle s’y montre auteure débordante d’audace à peine dissimulée dans des courbes de pin-ups californiennes. Babitz, c’est la « coolitude » des plages de Los Angeles habillée par la culture côte Est de New York…
En préface, la traductrice Jakuta Alikavazovic écrit : « Eve en une phrase ? Quelle joie, malgré tout, d’être qui l’on est. Quelle joie d’être qui l’on est et de pouvoir admirer le ciel. Voilà ce qui revient sous sa plume. Voilà pour on l’aime ». Tous babas de Babitz, c’est bien le moins… surtout quand, en début du livre en adresse au lecteur, Eve Babitz lance, magnifique : « Vu que ceci est mon livre et qu’on a connu l’avènement de James Joyce, pourquoi ne pas simplement me laisser faire à ma guise ? Il s’agit de trois fois rien, et imaginez un peu, je pourrai être James Joyce et écrire tout un tas de choses en latin et tout ça »… Que ce soit bien clair, Eve Babitz a été une fille libre au 20ème siècle, elle l’est toujours au 21ème siècle. Nombreux sont celles et ceux qui la tiennent pour l’exemple parfait de la fille cool, et d’autres voient en elle la parfaite « it girl » des années 1960 californiennes.
Eternelle contente, belle et aimant par-dessus tout la beauté, elle n’apprécie pas Paris où « les gens y sont trop petits et trop cachotiers » et adore Los Angeles, plus précisément Hollywood « avec tous ces citronniers et ces fleurs, partout ». Elle passe des jours à s’interroger : « Comment se fait-il que je ne sois pas devenue une musicienne accomplie au lieu d’une blonde, les pieds dans l’eau, sur la plage ? » Avec cette femme, c’est la permanence de la légèreté, cette légèreté élevée au rang des beaux-arts. De sa ressemblance à Brigitte Bardot, de sa splendeur, elle n’en parle jamais comme un cadeau d’essence divine- mais plutôt comme d’un job à temps complet qui occupe ses jours et ses nuits. Ainsi va la vie d’Eve Babitz qui prend plaisir en un peu plus de 330 pages à croquer le microcosme de la Cité des Anges- et qui veille à toujours être en bonne place sur la photo ! C’est la « dolce vita », version California, c’est gentiment gai et coloré, souvent acidulé.
Il y a aussi les amours, vraies ou fantasmées, avec Marlon Brando et Tony Curtis. Son QG, c’était le Château Marmont au 8221 Sunset Boulevard, West Hollywood. La drogue, elle n’en avait pas spécialement besoin, c’était un usage d’insouciance- ce qui lui fera dire devant une commission : « Tous les gens que je connais fument de la marijuana, sauf ma grand-mère ». Et puis, pour Eve Babits, il y a l’écriture qu’elle maîtrise plutôt bien mais jamais elle n’a cherché à faire mieux, parce qu’à L.A., et ça n’a rien de confidentiel, la vie d’Eve c’est avant tout « sea, sex and sun »… Aussi parce que, fille libre, elle a toujours pensé que « les héros et les ingénues doivent être des mutants, car ils ne dépassent jamais le milieu de l’acte trois (à supposer que l’on soit dans une tragédie ce qui est le cas en général) ». Héroïne ou ingénue, Eve ? Allez savoir… Une seule certitude : on est tous babas de Babitz !
Serge Bressan
A lire : « Eve à Hollywood » d’Eve Babitz. Traduction de Jakuta Alikavazovic. Seuil, 338 pages, 22,50 €.
EXTRAIT
« Il n’y a que trois choses à dire sur la cocaïne. D’une, il n’y en a jamais assez, ça, ça n’existe pas. De deux, ce ne sera jamais aussi bien que la première fois. De trois, ces deux premiers faits constituent une tragédie en termes de dépenses et de frais, d’une façon dont on ne peut pas avoir idée avant d’avoir pris de la cocaïne. Les frais encourus ici, c’est le fait de savoir qu’on s’éclate sur le Mont Olympe sans vous et que vous devriez vraiment essayer d’y rester à jamais. Puis le cerveau vient se liquéfier en flaque autour des sinus et on meurt « .