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Dans le nouveau hors-série de l’Humanité consacré aux 70 ans de l’Affiche rouge et au groupe Manouchian, le
chanteur raconte les liens étroits qui unissaient Missak et Mélinée Manouchian à la famille Aznavourian. Entretien.

-Durant la guerre, vos parents ont hébergé Missak et Mélinée Manouchian dans leur appartement parisien, rue de Navarin. Comment s’étaient-ils rencontrés ?

Charles Aznavour : On avait autour de nous des gens comme Missak et Mélinée – que l’on a gardé très longtemps jusqu’à ce qu’elle parte en Arménie – qui étaient des amis intimes. Il y avait un club qui s’appelait la JAF, la Jeunesse Arménienne de France, dont Mélinée (épouse de Manouchian) était la secrétaire. Ils étaient tous les deux orphelins. Cela les avait réunis. Ils étaient devenus un vrai couple totalement engagé dans le Parti communiste et cela nous a engagés aussi. Cela a engagé la famille. Est-ce que c’était uniquement politique? L’Arménie était dans le giron de la Russie communiste et ils ont eu une possibilité de vivre à peu près bien comme dans les autres pays satellites de la Russie. C’était très important pour nous. Ce que l’on faisait était simple, ma mère surtout. Mon père, je ne sais pas. Il a été obligé de fuir Paris parce qu’il était recherché, mais je ne sais pas pourquoi. Ma mère partait avec la voiture d’enfant et des armes dedans. Les armes servaient, ont les remettait dans la voiture, chacun quittait les lieux à toute allure et maman rentrait à la maison. On a été des aides. La  Résistance avait besoin d’aides qui avaient moins d’importance que d’autres, mais qui ont permis d’aider au moment où il fallait aider.

-Vous étiez adolescent. Quel souvenir gardez-vous de la présence de Manouchian?

Charles Aznavour : Quand il était à la maison, il n’avait rien à faire. Il s’était amusé à m’apprendre à jouer aux échecs! (rires). Je suis resté joueur d’échecs longtemps dans ma vie. J’ai arrêté très tard. On était mômes ma sœur et moi,  souvent bloqués à  la maison. Il y avait les rafles, la police qui venait. On a vécu dans un immeuble au 22 rue de Navarin. Le concierge était gendarme ou policier, je ne me souviens plus. Il est certain qu’il savait ce qui se passait parce qu’il voyait des gens arriver en uniforme et repartir en civil. Au rez-de-chaussée, il y avait un couple d’homosexuels juifs. Et ma sœur jouait des morceaux juifs, ça l’amusait, pour eux en bas. Chez nous, on connait la musique de toute la région, iranienne, arménienne, turque, juive. Je me souviens d’un autre couple qui a été fusillé, qui m’a appris les mathématiques. Ils habitaient Belleville. J’allais chez eux pour apprendre les mathématiques parce que je voulais rentrer à l’école centrale de TSF et que sans les maths, je ne pouvais pas. Je n’avais que le Certificat d’études, ce n’était pas suffisant. Je crois qu’ils s’appelaient Aslanian, tous les deux engagés politiquement, tous les deux fusillés.

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-Lors d’une interview à France-Inter en août 2011, vous évoquiez le fait que votre famille était communiste…

Charles Aznavour : Oui, on était communistes. J’avais une petite bague avec la faucille et le marteau ! (rires).  Mes parents baignaient dans une culture de gauche. Je ne fais pas de politique, mais si j’ai une tendance, je dirais «humaine», elle est de gauche. On n’apprend pas ces choses-là, on ne les détruit pas d’un jour à l’autre. Quand vous allez à la Fête de l’Humanité, vous voyez des gens qui ont les yeux grands ouverts et bleus. Ils ont encore une sorte de confiance dans ce communisme qui est dépassé, qui n’existe pour ainsi dire plus, mais eux sont restés les vrais communistes.

-Parlez-nous de votre combat en faveur de l’Arménie…

Charles Aznavour: Je souhaite que le gouvernement turc, depuis cent ans que nous attendons, finisse par admettre qui s’est passé quelque chose. Les Arméniens pendant des années ont fait profil bas. Depuis, il sort au moins un livre par mois dans le monde, en italien, en espagnol, en anglais, en allemand, en français. Combien de temps la jeunesse turque va supporter d’avoir une telle tâche sur son histoire? Dans un journal  «Les nouvelles d’Arménie», j’ai donné mon point de vue où j’ouvre une porte. Maintenant, on me demande d’aller chanter en Turquie. Je suis entre deux feux, mais j’irai quand même. Je veux que tout ça cesse. Nous avons des points communs énormes, les Arméniens de Turquie et les Arméniens de Russie. Je ne veux pas une ouverture politique, mais une ouverture humaine. Je crois être le personnage qui peut, non pas arranger les choses, mais rapprocher un peu les gens.

Entretien réalisé par Victor Hache

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