Cinq ans après sa disparition, nous n’arrivons pas à nous faire à l’idée que Ferrat n’est plus. Nous n’avons pas oublié notre ami Jean et ses chansons continuent d’habiter nos cœurs. Quel plus beau cadeau pour un artiste que d’être ainsi célébré ? Il est question d’amour, bien sûr, pour un homme qui a su magnifiquement incarner nos espoirs, nos luttes et nos désirs de poésie. Ferrat est vivant à jamais chez tous ceux qui l’ont aimé, orphelins de ses mots qui nous ont mille fois aidés à vivre. Samedi après-midi, à la Maison des métallos, à l’invitation de Colette Ferrat, son épouse, et des Amis de l’Humanité, plus de trois cents personnes étaient là pour évoquer la mémoire du chanteur d’Antraigues. Nous n’étions pas venus pour pleurer le poète, mais pour dire combien il a contribué à nous faire avancer vers ce vivre-ensemble dont nous avons tant besoin. Ferrat, c’était la fraternité d’une France aujourd’hui si malmenée et tellement fragmentée.
Bienveillance, sourires, tendresse et amitié, c’était tout ça Ferrat
Dans la salle, on remarque la présence de Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité, député européen, Patrick Bloche, maire du 11e arrondissement, député (PS), et de Christiane Taubira, ministre de la Justice, qui tenait à assister à cet après-midi tout en émotion, resta jusque tard, discutant à bâtons rompus avec les lecteurs du journal, promettant même d’adhérer aux Amis de l’Humanité ! Ferrat était au cœur de ces moments de souvenirs rythmés par les images de Jean au stand des Amis de l’Humanité en 2004, à l’occasion du centenaire du journal et de l’exposition « Jean des Sources, Jean des Encres ». Aujourd’hui, dans ce Paris populaire, que vient-on chercher ? Des regards bienveillants, des sourires pleins de tendresse, de l’amitié. C’était tout cela, Ferrat, que l’on voit chanter Ma France a cappella, dans un stand des Amis bondé. Charles Silvestre et Jean-Emmanuel Ducoin rappellent ces instants de ferveur où l’on aperçoit Roland Leroy, Edmonde Charles-Roux ou le parolier Guy Thomas raconter avec drôlerie son ami Ferrat. Sur la scène de la Maison des métallos, Colette Ferrat se souvient des doux moments passés au côté du chanteur : « J’étais avec lui, cela me suffisait largement. J’étais derrière lui par amour, par fidélité, j’étais avec lui totalement. Jean était l’homme intègre, honnête, droit que vous avez connu, qui n’a jamais changé, avec une grande envie de partage, une générosité. Il était toujours à l’écoute des autres. »
Le peintre Ernest Pignon-Ernest revient, lui, sur la genèse de l’affiche du portrait au fusain de Ferrat qu’il a dessiné dans son atelier d’Ivry. Il évoque les références à l’histoire, le compagnon de route des communistes qui avait une grande exigence intellectuelle. « Il a tellement compté pour nous », souligne le président des Amis de l’Humanité : « Des chansons comme le Bilan et Camarade ont répondu à des trucs qui nous avaient blessés. Quand il dit, à propos du bilan globalement positif, “le passif, c’est combien de millions de morts ?” ou quand il chante “que venez-vous faire camarade ?”, ce sont des choses dont nous avions besoin qu’elles soient dites. Et c’est Jean qui a dû les dire vraiment très fort. Ça a été important. »
Le journaliste Jean-François Kahn a découvert le chanteur lorsqu’il était en Algérie comme envoyé spécial permanent du journal le Monde : « C’était en 1963 et j’ai entendu Ma Môme. Tout à coup on parle du petit peuple, ce qu’on ne faisait plus dans la chanson. Pour moi, c’était important cette chanson qui disait les choses, qui affrontait les problèmes réels. Il y a une époque dont on paie aujourd’hui les résultats où on ne pouvait pas parler du peuple sans être accusé de populiste. Une époque aussi où on ne pouvait pas chanter Ma France sans être accusé de nationaliste. Dans les deux cas, ne serait-ce que pour cela, je trouve qu’il y a une actualité de Jean Ferrat. Il faut retrouver le sens populaire et républicain de la France comme il faut retrouver le sens républicain du peuple. »
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Ferrat portait haut le drapeau de la culture. « Il était un guetteur à qui rien n’échappe, précise Jack Ralite. Il était un manifestant en chanson, en poète, en action. Il a participé des années durant à la bataille pour la culture à travers une militance minutieuse. En politique, Jean Ferrat était un juste. Il fut une luciole, c’était une conscience, un pont, un courageux pour donner un avenir à nos origines. “Se souvenir de l’avenir”, disait Aragon qu’il chanta si bien. Ce chanteur jusqu’au bout de lui a fait ce qu’il a pu. » Marc Perrone, lui aussi, a été marqué par la chanson Ma Môme lorsqu’il était adolescent : « Je l’ai ressentie comme un scénario de cinéma. J’y ai vu le décor dans lequel je vivais. Quand je partais de la cité des 4 000 pour aller au collège ou au lycée à Aubervilliers, je passais devant des murs d’usine. J’ai pris conscience que tous ces murs un peu gris, tristes, ces rues mal pavées, c’était beau et que j’avais de la chance d’habiter là. C’est vrai qu’on pourrait taxer cela de populiste, mais moi je penserais plutôt au mot néoréaliste du cinéma italien. » Il y eut d’autres moments d’émotion lorsque la vibrante Francesca Solleville chanta Je ne suis qu’un cri, Nuit et brouillard, J’entends, j’entends, Que serais-je sans toi ou Aimer à perdre la raison en duo avec François Marthouret. L’acteur dont la belle voix grave nous laisse avec les paroles de Ferrat aux banquets d’Antraigues en 1997, inquiet déjà de l’évolution du monde : « Je ne me résous pas au rejet, je ne me résous pas à la haine, je ne me résous pas à la bêtise du désespoir. » Des mots toujours d’actualité.