Livre. Avec « La mer Noire dans les Grands Lacs », Annie Lulu signe un premier roman impeccable qui mène le lecteur de Roumanie à Paris puis au Congo. Une jeune femme, née d’une mère roumaine et d’un père congolais, veut percer le secret de sa naissance et de ses racines.
« La mer Noire dans les Grands Lacs », c’est le (beau) roman des origines, le livre des terres. Pour sa première apparition dans le monde des livres, Annie Lulu brille par une écriture profonde et intense, toute en poésie et sensibilité. Un bonheur de lecture !
Une première phrase qui claque. Qui cingle. « J’aurais dû te noyer quand t’es née, j’aurais dû t’écraser avec une brique ». Des mots d’une mère à sa fille, « la fille roumaine de mon père congolais ». Des mots qui vont habiter, rythmer, hanter « La mer Noire dans les Grands Lacs », le premier et impeccable roman d’Annie Lulu, née d’un père congolais et d’une mère roumaine à Iasi (Roumanie) et arrivée très jeune en France où elle a étudié la philosophie avant de se consacrer à l’écriture et de mettre en musique des poèmes de la Harlem Renaissance.
« La mer Noire dans les Grands Lacs », c’est le (beau) roman des origines, le livre des terres, une « lettre à mère »… La primo-romancière confie : « Ce livre est une tentative de réunir tous les mondes », avant d’ajouter que Nili, l’héroïne du roman, « est le fruit de cette jonction improbable entre la Mer Noire maternelle et les Grands Lacs paternels ». Comme Annie Lulu, Nili est née en Roumanie, d’une mère roumaine– Elena Abramovici, et d’un père congolais- Exaucé Makasi Motembe. Elle n’a jamais connu son père, parti (fuyant ? chassé ?) dans les premières années 1990 de ce pays gangréné par la dictature et meurtri par le racisme pour rejoindre son Congo natal.
On lit : « L’idée pour le Conducator c’était surtout de copiner avec tous les autres grands chefs paranos qui pouvaient l’aider à renflouer ses caisses vides, et il en a trouvé qu’il aimait particulièrement, un maréchal assassin à la tête du Congo, ce pays qu’on appelait Zaïre dans le temps, ils étaient copains, comme cul et chemise, voilà pourquoi il y avait plein de jeunes Congolais en tribulation périlleuse en Roumanie dans ces années-là « .
Aux côtés de sa mère, elle grandit à Paris puis, un jour, décide de rallier la terre du père. La quête du père, du secret de sa naissance, de ses racines, de cette Afrique où elle connaîtra l’amour, le combat politique, où elle croisera la guerre civile et la mort. Enceinte, elle s’adresse à son fils annoncé, lui raconte l’exil intérieur, le déracinement et aussi la résurrection. Pour sa première apparition dans le monde des livres, Annie Lulu brille par une écriture profonde et intense, toute en poésie et sensibilité. Un bonheur de lecture !
Serge Bressan
- Lire : « La mer Noire dans les Grands Lacs » d’Annie Lulu. Julliard, 224 pages, 19 €.
EXTRAIT
« J’ai eu une mère, ou plutôt ma mère a longtemps eu honte de moi, et je n’ai pas connu mon père, un étudiant congolais reparti après la révolution en 1990. A l’époque de ma naissance, c’était encore la dictature, le grand Conducator faisait venir des tas d’étudiants dans le pays, des Africains, des Egyptiens, des Syriens, ils venaient apprendre le communisme pour retourner ensuite essayer d’en faire quelque chose de potable chez eux, devenir l’avant-garde éclairée du prolétariat international, les cerveaux de l’égalité mondiale. Enfin l’idée pour le Conducator c’était surtout de copiner avec tous les autres grands chefs paranos qui pouvaient l’aider à renflouer ses caisses vides… »