Livre. A 74 ans, l’icône de la pop-rock music flotte encore et toujours entre le rêve et la réalité. Admiratrice de Rimbaud, Patti Smith est aussi une magnifique écrivaine – ce qu’elle démontre à nouveau avec son nouveau texte consacré à l’année 2016. La fameuse année du singe, selon le calendrier chinois…
« L’Année du singe », c’est aussi et surtout l’éloge de la vie. Et dans ce journal du temps, dans cette œuvre intime et de l’intime, dans cet « éternel film de l’humanité », Patti Smith de poser la question définitive : « Qui sait ce qui est réel, qui le sait ? »

Au hasard des pages, on apprend que Patti Smith ne dort pas très bien. Elle flotte souvent, très souvent entre rêve et réalité. Se lance dans des promenades matinales, en quête de cafés où s’asseoir, regarder, écouter les autres… Les titres de ses précédents livres sont des voyages, du moins des invitations à voyager : « M Train », « Babel », « La Mer de corail »… De souvenirs : « Glaneurs de rêves », « Just Kids », « Devotion »… Des pages hantées par les proches (son mari Frederick Dewey Smith, 1948- 1994) et amis ou ex-petits amis (l’acteur Sam Shepard, le photographe Robert Mapplethorpe)…
De ses voyages dopés à la caféine avec toujours un livre d’Allen Ginsberg dans le sac, on ne sait jamais trop s’ils sont rêve, s’ils sont réalité. L’ouest américain, Lisbonne (qui le 13 mai, « jour de la fête de Jeanne d’Arc, traditionnellement un jour d’optimisme forcé », n’est plus la capitale du Portugal mais « la ville de Pessoa »), Paris, qu’importe… « Des chiens aboyaient, et plus loin, à Santa Cruz, l’aboiement guttural de la reine des otaries se répercutait sur l’embarcadère pendant que les autres dormaient. Il y avait un sifflement grave. L’aboiement s’est fait de plus en plus ténu. Je pouvais presque entendre le prélude de Parsifal s’élevant de cette brume surnaturelle. Une photo est tombée de mon portefeuille, un petit garçon avec une femme vêtue de crêpe foncé… »

L’auteure l’avoue : cette image, cette scène, elle l’a déjà vue- était-ce dans un film ? peut-être… Et de voir un tapis ondoyant de fleurs minuscules. Non, en fait, c’est « le volant d’une robe illuminée par une voiture qui passait. J’ai glissé ma main sous l’oreiller et touché le sachet, pour m’assurer de sa présence. Oui, ai-je prononcé d’une voix somnolente, puis j’ai fermé les yeux, enveloppée dans une palpitation floue d’images : le cygne, la lance et l’Innocent au cœur pur ».
« Une folie mortelle s’empare du monde », selon Antonin Artaud. Pour Patti Smith, c’est bien ce qui s’est passé en cette Année du singe, en cette année 2016 avec l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. « Annus horribilis » pour la chanteuse-romancière-poétesse-photographe et tant d’autres. Ce qui lui fait noter au sujet de celui qu’elle surnomme « l’insupportable escroc aux cheveux jaunes » : « Et ce qui était la vérité persistait à être la vérité »– des mots posés sur la feuille la veille de l’investiture de l’ancien entrepreneur- animateur télé… Parce que, peut-être bloquée au » new age », Patti Smith prône encore et toujours la communion, la communauté.
Alors, elle raconte aussi et surtout ses morts : « Sam [Shepard, Ndlr] est mort. Mon frère est mort. Ma mère est morte. Mon père est mort. Mon mari est mort. Mon chat est mort. Et mon chien, mort en 1957, est toujours mort. Et pourtant je persiste à penser que quelque chose de merveilleux est sur le point de se produire. Demain peut-être… »

« L’Année du singe », c’est aussi et surtout l’éloge de la vie. Et dans ce journal du temps, dans cette œuvre intime et de l’intime, dans cet « éternel film de l’humanité », Patti Smith de poser la question définitive : « Qui sait ce qui est réel, qui le sait ? »
Serge Bressan
- A lire : « L’Année du singe » de Patti Smith. Traduit par Nicolas Richard. Gallimard, 194 pages, 18 €
Extrait
« La lisière du rêve, une lisière qui évoluait, en plus ! Peut-être davantage une visite, une prescience des choses à venir, comme un énorme essaim de moucherons, des nuages noirs obscurcissant les chemins sur lesquels des enfants chancelaient à bicyclette. Les frontières de la réalité s’étaient recomposées de telle manière qu’il semblait nécessaire de tracer la carte de cette topographie en patchwork. Ce qu’il fallait c’était un brin de pensée géométrique pour dessiner tout cela. Au fond du tiroir du bureau se trouvaient un ou deux pansements, une carte-postale décolorée, un bâtonnet de charbon et une feuille pliée de papier calque, ce qui semblait être une chance incroyable… »





