Le book club de We Culte/L’été en poche. Loin du tumulte, notre troisième sélection de livres de poche pour cet été parle d’enfance, de mémoire, de filiation, d’exils intimes ou collectifs. Et chacun, à sa manière, nous aide à rester debout dans le désordre du monde. S’ils tiennent dans un sac de plage, ils ouvrent des mondes, des mémoires, des histoires plus vastes que l’été lui-même.
L’été en poche : notre sélection de dix livres de poche, dix voix, dix manières d’éclairer ce que l’été révèle
- Dans 10, villa Gagliardini, Marie Sizun remonte le fil de son enfance dans un appartement du XXe arrondissement de Paris, entre drames discrets et moments d’allégresse. Elle y capte ce qui demeure, malgré les silences, malgré les départs, et restitue dans une langue limpide l’empreinte d’un lieu sur une vie entière. Il y a dans ce récit le parfum d’une nostalgie douce, jamais plaintive, et la force d’une reconstruction par l’écriture.
- Un peu plus loin dans le paysage des origines, Les silences des pères de Rachid Benzine raconte une autre forme de retour : celui d’un fils qui, à la mort de son père, tente de comprendre celui qu’il avait rejeté. Le roman avance à pas feutrés, mais chacun de ses mots pèse, creuse, répare. À travers la redécouverte du passé d’un homme venu d’ailleurs, c’est toute une mémoire familiale et sociale qui ressurgit.
- Plus frontal, plus rageur aussi, L’Enragé de Sorj Chalandon prend pour point de départ une évasion massive d’enfants du bagne de Belle-Île, en 1934. Le romancier s’empare de cette histoire vraie pour y injecter toute sa colère, toute sa tendresse aussi. Dans le sillage de Jules Bonneau, l’un des enfants évadés, c’est une course haletante vers la liberté et la dignité qui s’engage, sur fond de violence institutionnelle et de fraternité clandestine.
- À l’autre bout du spectre, Tenir debout de Melissa Da Costa explore la chute et la résilience. François, devenu paraplégique, tente de redonner sens à sa vie, épaulé par Eléonore, sa compagne. Le roman dit avec une infinie délicatesse la lente réinvention de soi, l’amour qui se réinvente lui aussi, dans un quotidien redessiné. Un récit à la fois pudique et lumineux, qui touche sans jamais forcer l’émotion.
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- Avec Un monde à refaire, Claire Deya nous propulse sur les plages du Sud de la France, en 1945. Des démineurs tentent de nettoyer les rivages des bombes de la guerre. Le danger est partout, mais l’humanité affleure sous la tension. Entre fraternisation et suspicion, l’après-guerre n’est pas un apaisement mais une recomposition. Le roman, nourri de tension morale, est traversé de zones grises et de lueurs inattendues.
- Il est aussi question de reconstruction dans Le vieil incendie d’Elisa Shua Dusapin, qui orchestre les retrouvailles de deux sœurs après la mort de leur père. En vidant la maison familiale, c’est toute une existence qu’elles retournent, mot après mot, geste après geste. Peu de dialogues, peu d’épanchements, mais une tension sourde, presque physique, qui dit tout ce qu’on ne s’est jamais dit.
- Autre maison à revisiter, celle de l’enfance selon Régis Franc. Dans Je vais bien, l’auteur troque ses planches de BD pour une chronique familiale tendre et cabossée, marquée par l’incompréhension paternelle. Il y a là un regard désabusé, lucide, mais jamais amer, et une langue simple qui touche droit au cœur. Ce récit dit l’amour maladroit, les silences étouffés, et cette certitude que l’on reste toujours, d’une certaine manière, l’enfant que l’on fut.
- Dans Vie et mort de Vernon Sullivan, Dimitri Kantcheloff choisit une autre forme de filiation : celle, littéraire, entre Boris Vian et son double sulfureux, Vernon Sullivan. Le roman raconte l’invention de cet auteur fictif, utilisé par Vian pour publier des romans noirs provocants, et la tempête médiatique qui s’ensuit. C’est drôle, érudit, mordant. Et cela interroge avec acuité la porosité entre la fiction et la vie, l’invention et l’identité.
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- Dans un registre plus grave, L’Archiviste d’Alexandra Koszelyk se déroule dans l’Ukraine contemporaine, en pleine guerre. Son héroïne, archiviste dans un musée, tente de sauver les trésors culturels menacés par l’avancée russe. Ce geste de résistance silencieuse devient un combat pour la mémoire, pour la beauté, pour l’avenir. Un roman fort, d’une belle intensité poétique et politique.
- Enfin-, Ce parfum rouge de Theresa Révay mêle l’histoire familiale à la grande Histoire. Dans une Russie bouleversée par la révolution bolchévique, Nine part à la recherche de la vérité sur son père, parfumeur disparu. De Moscou à Paris, c’est une quête sensible, empreinte de passion et de secrets. L’écriture élégante, documentée, donne à ce roman une ampleur rare (à paraître le 20 août prochain).
Dix romans, dix voix, dix manières d’éclairer ce que l’été révèle : nos liens aux autres, à nos origines, à ce que nous avons perdu ou choisi de taire et qui, parfois, font battre le cœur un peu plus fort.
Henri-Charles Dahlem
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