Le Book Club de We Culte. Vincent est sélectionné pour participer à la Transcontinental, une course cycliste à travers l’Europe. Tout en pédalant, il va nous raconter sa vie, sa famille, ses espérances. Pendant ce temps, Pauline, son amie d’enfance, le suit à distance. L’occasion pour Lola Nicolle de nous offrir avec « Le grand horizon », une réflexion sur le sens de l’effort et celui de la vie.
« Le grand horizon » : une traversée physique et mentale, un roman d’endurance et d’abandon, une aventure géographique autant qu’intérieure.
Vincent est à Bourgas, en Bulgarie. Il est arrivé la veille en provenance de France, après avoir gagné le droit de participer à une course cycliste, la Transcontinental Race 2019. Il doit rallier Bourgas à Brest, en passant par six check-points définis et sept pays, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, la Slovénie, l’Autriche, l’Italie et la France. Pour le reste, il est libre de son itinéraire.
Ce qu’il ressent ? Un mélange de peur, de bonheur, d’excitation. Un désir qui ressemble à un rêve, dit-il. Et c’est vrai que, dès les premières pages, ce roman file comme une grande échappée.
Pendant que Vincent prépare son vélo – un Genesis Equilibrium – Pauline revient à Paris, en provenance de Madrid où elle vit avec Juan, dessinateur pour le cinéma d’animation. Elle s’est offerte un break, après une année éreintante à l’université, entre ses cours et son travail de recherche. Elle a loué pour quelques semaines un appartement laissé en friche, encombré de livres et de papiers, de souvenirs d’un autre.
Dehors la canicule écrase la capitale, dedans Pauline cherche à se retrouver. Elle se souvient. Elle repense à Vincent, l’ami d’enfance. Elle le retrouve en ligne, découvre qu’il prend le départ d’une course insensée, et s’accroche au fil du GPS comme à une boussole intérieure. Lui avance, elle se pose. Mais tous deux dérivent, à leur manière.
Le récit va alors alterner, de chapitre en chapitre, le parcours de Vincent qui, au petit matin prend le départ de la première étape qui doit le mener à Bouzloudja et celui de Pauline qui voudrait pouvoir recharger ses batteries le temps d’une escapade solitaire. Vincent aussi est plongé dans ses souvenirs, mais surtout pour oublier l’effort et la souffrance.
Il se souvient de son fils, de sa femme Amélie, de Marc, son ami de toujours, resté dans l’entrepôt où il travaille, mais fidèle au poste, à distance. Il pense à ce premier départ, adolescent, avec Aurélien, le copain foudroyé d’un geste. Une virée à vélo entre Lyon et Dijon qui valait tous les rites initiatiques.
Une amitié, une possible histoire d’amour, ou ce qui aurait pu l’être. Les souvenirs remontent avec la fatigue, la douleur, les dénivelés qui n’en finissent pas. Il y a ces gestes minuscules qui sauvent, une parole, un regard d’Anna au stand d’enregistrement, qu’il gardera en tête quand la peur reviendra, quand la colère sourdra, quand il faudra continuer malgré tout. « Le bonheur ; un puzzle dont toutes les pièces seraient enfin réunies ».
Le temps d’une brève promenade autour de la soucoupe, le monument érigé à l’époque communiste, il faut repartir en direction de Sofia.
Pauline, elle, tente de remplir le vide. Elle s’installe, lit des livres au hasard d’une bibliothèque étrangère, s’occupe d’une tortue sur le balcon, observe ses pieds vernis et écaillés. Elle pense à sa grossesse arrêtée avant d’avoir été sue, à cette perte muette, ce sang venu rappeler que même ce qui ne fut pas pèse. Elle déambule, interroge le passé, les choix, les glissements de terrain. Elle voudrait du silence, et c’est Paris au mois d’août qui le lui offre, tout bruissant pourtant de télévisions voisines, de cris d’enfants, de portes qui claquent.
Dans Le Grand Horizon, Lola Nicolle reprend ce qu’elle esquissait déjà dans son premier roman Après la fête : ce moment précis, subtil, fragile, où l’on perd pied, et où le retour à soi demande de passer par les autres.
L’écriture continue de creuser les silences, s’attache aux personnages au bord de la rupture, dans une bascule intime. Ici, la langue s’allège encore, se fait plus lumineuse, plus tendue aussi.
On y retrouve cette manière de faire affleurer l’émotion sans jamais l’asséner, de suivre les corps dans leur fatigue, les esprits dans leur flottement. Le roman épouse la respiration de ses personnages, et sans forcer le trait, parvient à faire naître une tension douce, persistante, qui tient de l’épure.
C’est une traversée physique et mentale, un roman d’endurance et d’abandon, une aventure géographique autant qu’intérieure. On y sent les pavés défoncés de Bourgas sous les pneus, les réveils moites dans des chambres temporaires, le goût du café instantané avant l’effort.
On y entend les silences d’un couple en veille, les cris d’un souvenir d’enfance revenu à la surface. Mais surtout, on y lit le vertige du lien – ce qui se distend, ce qui revient, ce qui vibre encore, même à distance. À deux, il ne pouvait rien leur arriver, pensait Vincent enfant. Reste à savoir s’il est encore temps de le croire.
Henri-Charles Dahlem
- « Le Grand Horizon« Lola Nicolle. Editions Phébus Roman, 20,50 €. Paru le 21/08/2025
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A propos de l’autrice
Née en 1992, Lola Nicolle est éditrice et cofondatrice de la maison d’édition Les Avrils. Elle est l’autrice d’un recueil de poésie, Nous oiseaux de passage (Blancs Volants, 2017), d’un premier roman (Après la fête, 2019) et a participé à l’ouvrage collectif Les Passagers du RER (Les Arènes, 2019). Poétique et politique, son deuxième roman, Le Grand Horizon, se joue des codes du récit d’aventures et sème le trouble dans nos récits universels. (Source : Éditions Phébus)