Toutes les musiques de We Culte. Trente ans de carrière, douze albums, et toujours cette voix éraillée, cette présence brute, cette poésie sans fard qui fait de Miossec un artiste à part. Le 17 octobre, le chanteur brestois posera ses valises au Domaine Le Mezo (Morbihan) pour un concert rare, à la fois intime et incandescent. Miossec viendra rappeler qu’un concert n’est pas un spectacle, mais un partage. Une combustion douce entre un homme et ceux qui l’écoutent. Un moment suspendu, à la fois rugueux et lumineux, où la chanson française retrouve ce qu’elle a de plus vrai : la sincérité.
Miossec : Sur scène, ce qui compte le plus c’est la justesse du moment et du mot prononcé. C’est un énorme avantage dans la vie de ne pas raconter des craques
Sur scène, pas de fioritures, pas de faux-semblants. Miossec vient comme il est : sans costume, sans distance. Il ne joue pas un rôle — il se livre, entier, en équilibre entre fragilité et feu. Sa voix, ressuscitée, se fait alors le fil tendu entre les mots et les émotions. Accompagné de Nicolas Meheust (claviers) et Stéphane Fromentin (guitares), il revisite ses morceaux emblématiques, réinvente son dernier album Simplifier, improvise, cherche la justesse plutôt que la perfection. Chaque concert devient une aventure, un moment unique.
Brest, son port d’attache, n’est jamais loin, dans sa langue, dans ses silences, dans cette manière de regarder le monde avec un mélange d’ironie et de tendresse. On y retrouve le sel, le vent, la mélancolie des ports, mais aussi cette force tranquille qu’il appelle « la justesse du moment ».
Vous avez baptisé votre dernier album « Simplifier ». Faut-il y voir une volonté de revenir à l’essence même de la musique, à l’épure des choses simples de la vie ?
Miossec : A la base, c’est un disque que j’ai fait seul avec un ingénieur du son, qui a enregistré toutes les parties de basse, de boîte à rythmes, de guitares. On ne pouvait pas faire plus simple. Je voulais tenter une expérience en solitaire. L’idée c’était de revenir à la source de ce que je faisais avant l’album « Boire » où j’étais tout seul avec un magnéto huit pistes.
En artisan de la chanson…
Miossec : En artisan ou en clodo (rires). C’est une façon de parler, mais à une époque, je n’avais plus de logement, avant « Boire ». J’avais grillé toutes mes cartouches. En 1992, j’étais à La Réunion et en 1993, ça été le retour sur Brest.
Vous n’aviez pu défendre sur scène les chansons de « Simplifier » au moment de sa sortie (2023), à cause de votre cancer des cordes vocales. Aujourd’hui, est-ce qu’elles prennent une nouvelle vie en live ?
Miossec : Comme elles sont simples et simplissimes par moments, du coup, en live, il n’y a aucun souci pour les jouer, les restituer. Au contraire, elles prennent la dimension du live, ce moment précis sur scène, où elles deviennent vivantes. Cela prend une autre dimension. Je venais de perdre mes parents successivement. Le cancer, j’ai trop bu, j’ai trop fumé, c’est sûr. Enfin, j’ai donné le bâton pour me faire battre, mais en même temps il y a une douleur qui vient se nicher dans la faille et tu te retrouves à l’arrêt. Pour l’album « Simplifier », c’était prémonitoire, parce que j’avais simplifié jusqu’au silence, en fait. Quand tu as des pépins aux cordes vocales, tu as des phases où tu restes pendant un mois sans parler, sans prononcer le moindre mot, c’est assez radical.
Cette période a dû être assez dure…
Miossec : En fait, non. C’est drôle, quand cela vous tombe dessus, on ne s’attend pas du tout à réagir de cette façon-là. L’être humain est assez bizarrement foutu.
Vous n’aimez pas beaucoup quitter vos terres brestoises. Aller à la rencontre du public, est-ce une manière de vous sentir vivre autrement, plus intensément ?
Miossec : Sûrement. C’est très différent comme tournée en ce qui me concerne évidemment, mais même s’agissant de la réaction du public. J’ai pu l’éprouver. Les gens viennent comme si je n’aurais jamais dû refaire de concert. Normalement, c’était ce qui aurait dû se passer, je n’aurais pas dû rechanter. C’est même assez miraculeux d’une certaine façon pour les phoniatres, les spécialistes. Ils sont étonnés que j’ai pu recouvrer ma voix. Il n’y pas eu d’effroi, ni de dépression. Il y a une force en nous qu’on ne soupçonne pas. Je pense qu’on est beaucoup plus forts qu’on ne le croit. L’être humain, quand on le brusque un peu, est capable de choses assez étonnantes.
Il y a l’adrénaline du public, mais aussi l’énergie de la Bretagne. Comment expliquez-vous votre amour pour Brest, votre port d’attache ?
Miossec : C’est ce qui me constitue. Évidemment, on a notre famille, mais il y a l’environnement. Plus que la Bretagne, c’est Brest. Je me sens de plus en plus breton avec l’âge. J’étais récemment à un concert de défense de la langue bretonne à Carhaix. J’étais qu’avec des bretonnants. Il y avait vraiment tous les chanteurs bretons qui étaient là, et d’être accepté en tant que non-bretonnant, c’était fabuleux.
Vous serez d’ailleurs le Président des prochaine Victoires de la Bretagne qui auront lieu le 4 décembre à Brest…
Miossec : Je deviens respectueux ! (rires) Du coup, j’en fais un peu trop ! C’est un événement qui récompense plein de projets dans toutes les catégories, qui peut donner des coups de main à pas mal de gens. Ce n’est pas seulement artistique. Il y a 15 catégories, cela va des petites entreprises, aux projets d’associations.
Sauriez-vous dire ce que vous apporte la musique ? Est-ce pour vous un exutoire, quelques chose qui vous aide à vous sentir mieux ?
Miossec : Dans un premier temps, étant un peu tête brûlée et radical, j’ai vraiment tout largué pour me mettre dans la musique. J’ai fait différents boulots, journaliste etc… J’ai eu des bonnes situations, à Gallimard, TF1. Mais j’ai aussi enlevé de l’amiante en fond de cale des bateaux, j’étais peintre en bâtiment, j’ai eu une vie avant la musique qui était vraiment aventurière, parce que mon CV est absolument incompréhensible.
En fait, vous étiez comme les écrivains américains d’une époque qui faisaient mille boulots avant d’écrire?
Miossec : C’est pour cela que quand j’étais adolescent, les écrivains américains me plaisaient, parce que justement, ce n’était pas des mecs de « Normale Sup », d’hypokhâgne ou des gens du 6e arrondissement qui se mettaient à la littérature. Il y avait chez les écrivains américains, toute une vie avant ou pendant l’écriture. Ils voulaient expérimenter et non pas être juste pas être un écrivain de salon. J’ai eu la chance d’avoir un grand frère de six ans mon aîné qui m’a initié au rock et à la musique. C’est comme cela que j’ai monté un groupe, j’avais 13 ans et demi. C’était un peu précoce, mais j’avais déjà lu Kerouac, Bukowski, toute la bande.
Ces écrivains américains voulaient vivre leur vie à fond et ils ne venaient pas forcément d’un milieu social élevé. C’était la débrouille. Mes études, c’est moi qui me les suis payées en travaillant. La musique m’a sauvé, vraiment. Si je me suis mis à la musique, c’est parce qu’avec le monde du travail, cela devenait difficile. J’avais 30 ans et je voyais bien qu’à 40 ans, cela serait très compliqué. Même quand j’ai eu des bonnes propositions, j’ai démissionné.
J’étais un gros bosseur, mais je ne me voyais pas vieillir dans un monde du travail où il y a des supérieurs et tellement de contraintes. Je sentais qu’il y avait une certaine sensibilité qui fait que cela ne va pas bien se passer. Et puis quand tu vois les personnes plus âgées que toi qui vieillissent mal, très mal même, dans des boulots qui sont soi-disant passionnants, cela ne me donnait pas envie de poursuivre.
J’ai arrêté la musique à 18 ans, mais quand je m’y suis recollé à 27 ans, je sentais qu’il y avait, là, un moyen de s’extraire du monde du travail. C’était d’une naïveté telle que j’en parlais à personne. C’était une sorte de truc caché, mais je savais que c’était une porte de sortie.
Vous aimez la littérature, la musique. Qu’est-ce qui compte le plus dans votre démarche : les mots, la poésie, les mélodies ?
Miossec : Je dirais la justesse par rapport à soi-même. La justesse du moment et du mot prononcé. C’est un énorme avantage dans la vie de ne pas raconter des craques. En concert, je suis tel que dans la vie. Ce qui est prononcé, les mots qui sont dits, les sentiments qui sont donnés…Il n’y a pas de distorsion entre ce que je suis et ce qui est.
Vous n’êtes pas dans le spectacle…
Miossec : Non. J’ai même souvent essayé de casser l’idée du spectacle, tellement cela m’énervait. Les concerts j’en ai bouffé depuis gamin. Je vois tout de suite ce qui est fake, tout ce qui est surjoué, fabriqué. Faire le même spectacle soir après soir, c’est d’un ennui absolu.
Ce que je cherche, c’est la sincérité du moment. C’est ce qui permet de décoller. Mes mélodies et ma voix ne sont pas terribles, mais il y a une profondeur, quelque chose de l’ordre de la sincérité peut-être, que les gens viennent chercher. Du coup, quand on joue avec la sincérité, on joue avec le feu. Le métier n’est pas vraiment le même car il n’ y a pas de distance. Je suis au premier degré quand je suis en concert, il n’y a pas de costume. J’aime quand je me suis consumé et que je me sens en combustion au niveau du corps et de la tête. C’est ce que je viens chercher. Cela devient une sorte de drogue. Cela aide énormément dans la vie, dans le sens où chanter me permet de m’exprimer, alors que dans la vie normale, je suis plutôt celui qui écoute.
Dans la chanson « Message », vous dites « où est la lumière ? ». Que pensez-vous de cette société où l’horizon et l’espoir semblent avoir disparu ?
Miossec : J’ai l’impression que toutes les époques sont aussi terrifiantes les unes que les autres, dans l’histoire de l’humanité. Les Trente Glorieuses ou les années folles… c’est Arletty qui disait « Les années folles, je voudrais bien vous y voir ! » (Rires) C’était pas fou pour tout le monde. Mais c’est vrai qu’on a toujours l’impression qu’il y a un instant présent et qu’on arrive à l’Apocalypse. Dans ma famille, beaucoup ont participé aux guerres. Quand je vois ce que j’ai à la maison en reliques, en écrits, en poésie, du grand-père disparu en mer à l’arrière grand-père. Et puis les petits écrits de 1914- 18, de gens qui meurent à 22 ans et qui écrivent de la poésie dans les tranchées à Verdun… On va se dire, on se calme un peu.
On sent pourtant une sorte de déprime ambiante…
Miossec : Chacun a sa théorie là-dessus, mais pour moi, le portable qui devait nous relier nous a séparés. On n’est plus les mêmes. Je vais sur mes 61 ans, j’ai quand même eu le temps de profiter de la vie, d’avant le portable. Avant il y avait des cabines téléphoniques et on se donnait rendez-vous. Il me semble qu’on était plus connectés les uns aux autres, donc il y avait un plaisir à se retrouver. Je ne suis pas sur les réseaux, mais de mon point de vue, cette ultra-connectivité, les gens rivés sur les écrans qui comparent leur vie, c’est une catastrophe mentale absolue pour l’être humain.
Trente ans ont passé depuis vos débuts. Souvent vous dites : « je suis étonné d’être encore là ». Que vous évoque votre parcours ?
Miossec : La satisfaction, c’est quelque chose qui m’est étranger. Au départ, quand « Boire » est arrivé, il y avait énormément de gens qui étaient concernés et enthousiasmés par ce que je faisais. Parce que la chanson française de l’époque, c’était toujours un peu le style rive gauche Je crois que la chance que j’ai eue, c’est qu’on n’était pas distribués dans les supermarchés. Malgré cela, le disque s’est vraiment bien vendu, car il a été énormément dupliqué en cassettes par les étudiants parce qu’on ne le trouvait pas dans le commerce.
J’ai l’impression d’avoir pu continuer à faire du braconnage depuis le début. Je voulais juste faire des concerts et gagner ma croûte. On ne fait pas un premier album sans batterie en 1995, si on aspire au succès, car sans batterie, un disque ne peut pas passer à la radio. Pour moi, c’était de la musique « indé » et j’étais conscient que cela ne pouvait pas remplir les Zénith.
Etre un chanteur populaire, tourner avec des semi-remorques, employer beaucoup de gens, cela induit des responsabilités… Ne pas pouvoir marcher tranquillement dans la rue, ce n’est pas marrant (rires). Moi, je peux me trimballer partout, je n’ai pas besoin de quoique ce soit. Je suis quelqu’un de libre.
Qu’allez-vous chanter pour votre concert très attendu au Domaine Le Mezo ? Quelle formule proposerez vous ?
Miossec : La tournée est en train de changer. Au début l’idée était d’épurer au maximum. Là, on est en train de changer. Je joue avec Nicolas Meheust (claviers) et Stéphane Fromentin (guitares). En ce moment, je sens que je suis dans un bon mood et on fait de bons concerts. On ne va pas dans le sens du poil.
On joue l’album « Simplifier », mais on introduit aussi des morceaux emblématiques dans des versions qui sont méconnaissable. On improvise et on ne fait pas que des morceaux finis. Il y a vraiment de la liberté, le public le voit et sent qu’on se balade. On ne duplique pas les concerts, cela permet des moments uniques. On ressort de là, on a fait un voyage qui n’est pas le même que celui de la veille. Humainement et musicalement, c’est très plaisant.
Entretien réalisé par Victor Hache
- Miossec en concert vendredi 17 octobre. Château du Mézo, 127 Le Mezo D, 56880 Ploeren (Morbihan).