Laurent Mauvignier : une voix majeure de la littérature française

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Laurent Mauvignier : une voix majeure de la littérature française © Matthieu Zazzo

Le Book Club de We Culte. Avec « La maison vide », son nouveau roman, Laurent Mauvignier fouille dans les tiroirs de la maison familiale à la recherche d’une Légion d’honneur. Il y découvre bien plus : l’histoire tragique de trois générations de femmes, de Marie-Ernestine la pianiste empêchée à Marguerite la grand-mère effacée des photos. Un roman qui se dévore comme un thriller intime.

Laurent Mauvignier : « La maison vide« , son nouveau roman, se lit comme un thriller intime

Laurent Mauvignier publie « La Maison vide » © Matthieu Zazzo

S’il faut un peu de courage pour s’attaquer à un roman de 745 pages, je peux vous certifier qu’il ne vous faudra que quelques minutes pour entrer dans ce livre et vous trouver comme dans un cocon, avide de découvrir les secrets de famille que Laurent Mauvignier est allé dénicher dans la maison familiale.

Tout commence par une quête apparemment anodine. Le narrateur cherche la Légion d’honneur de son arrière-grand-père Jules, tombé « en héros » en 1916. Il fouille « partout où j’étais pour ainsi dire sûr de la retrouver les yeux fermés ». Dans les tiroirs de la commode centenaire « avec son plateau de marbre gris et rose fendu à l’angle supérieur gauche », il ne trouve pas la médaille. Mais il découvre des lettres, des photos découpées, des objets qui racontent une tout autre histoire.

Car ce qui se cache dans cette maison, c’est le silence. Le silence autour de Marguerite, la grand-mère dont le visage a été « découpé aux ciseaux » ou « griffonné au stylo à bille jusqu’à ce qu’il disparaisse complètement dans l’encre noire » sur toutes les photos de famille. Pourquoi un tel acharnement ? Quelle faute a-t-elle commise pour être ainsi rayée de la mémoire familiale ?

Si l’enquête ne remonte pas jusqu’à l’ancêtre François, qui aura traversé la Révolution et la période Napoléonienne – qui sera peut-être l’objet d’un prochain roman – elle remonte jus l’arrière-arrière grand-père Firmin et à ses trois enfants, Paul devenu ecclésiastique, Anatole parti à Paris comme vendeur dans un magasin de vêtements et « Boule d’Or », Marie-Ernestine avec laquelle « tout commence ».

Firmin, propriétaire terrien régnant sur La Bassée, l’envoie au couvent où elle découvre le piano. Son professeur, le séduisant Florentin Cabanel, lui fait miroiter le Conservatoire de Paris. Elle se voit déjà pianiste virtuose.
Mais son père en a décidé autrement. Il lui achète un piano à queue, un magnifique Bösendorfer, et lui impose Jules Chichery comme époux.

Marie-Ernestine ne se remettra jamais de ce mariage forcé et de sa vocation brisée. Elle ne pardonnera jamais et sera incapable d’aimer sa fille unique, Marguerite qui naît trois ans avant que Jules ne meure pour la patrie sur le front de l’est.



L’enfant grandit sans attache affective. Elle est placée à 13 ans comme vendeuse dans le magasin Vêtements Claude où le droit de cuissage semble faire partie des règles de la maison. Puis vient la Seconde Guerre mondiale. Son mari André est fait prisonnier. Régulièrement Marguerite se rend auprès des autorités allemandes pour tenter de savoir où se trouve son mari, espérant pouvoir le faire revenir. Jusqu’à commettre l’irréparable et briser les liens familiaux déjà fragiles.

« Cette histoire, des milliers d’hommes l’ont connue en rentrant d’Allemagne ; des milliers de familles détruites l’ont vécue. Et pourtant — ou peut-être parce qu’elle est trop banale et vaste — elle me semble invisible ou indescriptible. » Il reconstruit pourtant cette violence « en l’arrachant à l’impossible », donnant chair à ce qui ne fut que rumeurs et silences.

Le romancier assume la part de fiction nécessaire pour combler les blancs du récit : « C’est parce que je ne connais rien, ou presque rien de mon histoire familiale que j’ai besoin d’en écrire une sur mesure, à partir de faits vérifiés, de gens ayant existé, mais dont les histoires sont tellement lacunaires. » Cette honnêteté traverse tout le livre. Il nous prend par la main, nous montre ses doutes, ses intuitions, ses trouvailles.

Ses phrases coulent comme un fleuve. Elles épousent le mouvement de la mémoire qui hésite, revient en arrière, s’emballe. Sa langue est d’une précision chirurgicale pour décrire les violences ordinaires : celles des hommes sur les femmes, celles de la société sur les individus, celles de l’Histoire sur les destins.

Il n’est pas étonnant que La Maison vide soit favorite pour le Goncourt. Les critiques ont unanimement salué le roman. Le Monde, qui lui a déjà décerné son Prix littéraire, parle d’ « une œuvre magistrale par son style poétique, sa composition claire, sa palette humaine ».

Pour Les Inrocks, c’est « un texte hors norme qui s’inscrit dans la cohérence des précédents tout en les surpassant ». Le Nouvel Obs y voit « l’un des très grands livres de la rentrée ».Des louanges auxquelles je m’associe, car depuis son premier roman Loin d’eux (1999) puis avec Des hommes (2009), qui explorait les traumatismes de la guerre d’Algérie, Continuer (2016) et Histoires de la nuit (2020), une fresques haletante, Laurent Mauvignier s’impose comme l’une des voix majeures de la littérature française.

Henri-Charles Dahlem

  • « La Maison vide«  Laurent Mauvignier. Éditions de Minuit. Roman, 745 p., 25€. Paru le 28/08/2025

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A propos de l’auteur

Laurent Mauvignier © Matthieu Zazzo

Laurent Mauvignier est né à Tours en 1967. Romancier et dramaturge, il a publié toute son œuvre aux Éditions de Minuit, notamment Apprendre à finir (2000, prix du Livre Inter et prix Wepler), Dans la foule (2006), Des hommes (2009), Ce que j’appelle oubli (2011), Continuer (2016) et Histoires de la nuit (2020). En 2025, il fait paraître La Maison vide. (Source : Éditions de Minuit)


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Henri-Charles Dahlem