"R.M.N." : Le petit Rudi ne peut expliquer à son père Matthias (Marin Grigore) et à sa mère Ana (Macrina Barladeanu) ce qui l'a effrayé dans la forêt (©Mobra Films/Le Pacte).

Sortie cinéma. Dans un village de Transylvanie, les habitants accueillent avec hostilité trois migrants sri-lankais venus occuper des emplois que les travailleurs locaux refusent. Tiré d’une histoire vraie, le film roumain R.M.N. de Cristian Mungiu (ce mercredi 19 octobre sur les écrans), sombre et fort, montre la xénophobie ordinaire que connaissent bien des régions d’Europe.


« R.M.N. »: Xénophobie ordinaire en Transylvanie


"R.M.N."
« R.MN. » : un film de Cristian Mungiu (©Mobra Films/Le Pacte)

C’est le sixième film du principal réalisateur roumain, Cristian Mungiu, qui avait reçu la Palme d’or du Festival de Cannes en 2007 pour son deuxième film, 4 MOIS, 3 SEMAINES, 2 JOURS, histoire d’une étudiante tentant de se faire avorter dans la Roumanie de Ceausescu en 1987.

Dilemmes de la société actuelle

Dans R.M.N., il veut montrer « les dilemmes de la société actuelle: la solidarité face à l’individualisme, la tolérance face à l’égoïsme, le politiquement correct face à la sincérité ». Le film, ajoute-t-il, « interroge aussi ce besoin atavique d’appartenance, de s’identifier à son groupe ethnique, à son clan et de considérer naturellement les autres (qu’ils soient d’une autre ethnie, d’une autre religion, d’un autre sexe ou d’une autre classe sociale) avec réserve et suspicion ».

Le personnage principal du film est Matthias (Marin Grigore), un Roumain qui s’est exilé pour aller travailler dans un abattoir en Allemagne. Après s’être fait traiter de « sale Gitan » par son contremaître, il décide de rentrer dans son village natal, peu avant les fêtes de Noël.

Fils mutique

Matthias, macho, violent, homophobe, est séparé de sa femme qui élève seule leur enfant de huit ans, Rudi. Celui-ci a perdu la parole après avoir été effrayé par « quelque chose de mal » dans la forêt –mais on ne sait pas quoi.

Matthias va s’occuper de son fils pendant son séjour, l’emmenant chasser et pêcher. Il revoit aussi son père, éleveur de brebis, fatigué, malade, qu’on doit emmener faire une I.R.M. après un malaise. Et il renoue avec une ex-maîtresse, Csilla (Judith State), chef comptable de la principale entreprise du coin, une boulangerie industrielle.

Trois immigrés sri-lankais

Cette boulangerie a besoin de créer de nouveaux emplois pour bénéficier d’une subvention de l’Union européenne. Mais les ouvriers de la région préfèrent aller travailler à l’étranger, pour de meilleurs salaires. La boulangerie engage alors trois immigrés sri-lankais.



Pays de Dracula, la Transylvanie, dans l’ouest de la Roumanie, est la région la plus multi-ethnique du pays: outre les Roumains « de souche » (majoritairement orthodoxes), elle est habitée par une forte minorité hongroise (majoritairement catholique) et quelques Allemands (majoritairement luthériens). Bien que rivaux, tous se félicitent d’avoir chassé les Roms du village. Alors quand débarquent les trois migrants sri-lankais, la xénophobie latente et le racisme remontent à la surface…

Tableau sombre

Populisme, frustration collective, crispation communautaire, intolérance, xénophobie, peur de l’immigration, conflits latents, paupérisation, méfaits de la mondialisation et des réseaux sociaux, dérives des directives et aides européennes, défiance à l’égard de l’Union européenne: le réalisateur enfile toutes ces perles pour dresser un tableau très sombre de la situation, entrelaçant réalisme social et conte moral, réactions collectives du village et portrait du personnage de Matthias.

Mais cela pourrait se passer ailleurs qu’en Roumanie, comme le montre Cristian Mungiu en évoquant les commentaires racistes, sur les réseaux sociaux, de certains habitants opposés à la présence des migrants: « Ils ont 10 gosses et 3 femmes chacun, et l’UE les finance », dit l’un des messages, qu’on pourrait retrouver dans des forums de discussion de n’importe quel pays européen.

Plans-séquences

Le réalisateur appelle donc à une prise de conscience qui dépasse les frontières de la Roumanie: « Le film ne traite pas d’une situation spécifique à la Transylvanie, ni même du fait que Roumains, Hongrois et Allemands partagent le même territoire. Il parle aussi des Russes et des Ukrainiens, des Blancs et des Noirs, des Sunnites et des Chiites, des riches et des pauvres, voire des grands et des petits… Dès qu’apparaît un autre individu, il est tout de suite perçu comme appartenant à un autre clan et donc comme un ennemi potentiel ».

Toutes les scènes de R.M.N. (qui était en compétition au dernier Festival de Cannes mais n’a reçu aucun prix) ont été tournées en plans-séquences, ce qui renforce le caractère naturaliste et réaliste du film. De ces plans-séquences, le plus remarquable est celui, vers la fin, qui réunit toute la population du village dans la salle des fêtes pour décider du sort des trois Sri-Lankais: la scène dure 17 minutes sans coupure, avec 26 personnes qui parlent, et résume tout le film –avant une fin spectaculaire et intrigante.



I.R.M.

Le titre R.M.N. signifie Rezonanta Magnetica Nucleara, en français I.R.M. (Imagerie par Résonance Magnétique): celle passée par le père de Matthias, qui en regarde les clichés sur son téléphone portable –mais aussi celle, au sens figuré, d’une société malade que décrit le réalisateur.

« Apparemment, l’empathie et d’autres compétences sociales sont générées à la surface du cortex cérébral, tandis que les instincts plus primaires qui ont permis aux humains de survivre occupent les 99% restants du cerveau », dit-il. Avec une I.R.M., ajoute-t-il, « il s’agit d’une investigation du cerveau, un scanner cérébral qui tente de détecter des choses sous la surface ».

Jean-Michel Comte

LA PHRASE : « Chacun sa place dans ce bas monde. Comme Dieu l’a voulu » (le curé du village, opposé, comme les habitants, à la présence des trois migrants sri-lankais).


  • A voir : R.M.N. (Roumanie, 2h05). Réalisation: Cristian Mungiu. Avec Marin Grigore, Judith State, Macrina Barladeanu (Sortie 19 octobre 2022)

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